Un article consacré aux capacités et moyens de s’adapter au changement climatique, changement que l’on ne peut encore prévoir ni définir précisément, et, par conséquent, aux initiatives qui vont permettre d’éviter les « maladaptations » au changement
climatique, c’est-à-dire de ne pas aggraver les problèmes dans le futur.

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De nombreuses initiatives labélisées d’adaptation au changement climatique voient désormais le jour, dans les pays en développement comme développés. Elles couvrent une large gamme d’échelles territoriales : des projets développés au niveau micro-local aux initiatives régionales (Pacifique, Europe, Sud-ouest de l’océan Indien, etc.), en passant par les politiques nationales. À l’échelle internationale également, les négociateurs débattent des montants et de l’architecture de fonds mondiaux pour l’adaptation. Cela dénote une certaine prise de conscience, au cours des deux dernières décennies, de l’importance du volet adaptation de la lutte contre le changement climatique. Encourageant, mais pas suffisant puisque les modalités et les formes concrètes de sa mise en œuvre restent un sujet relativement obscur. Qu’est-ce qu’un « bon » projet ou une « bonne » politique d’adaptation ?

S’adapter suppose, d’une part, de maintenir ou renforcer sa résilience face à des perturbations actuelles et, d’autre part, d’être capable de se projeter sur le long terme (Magnan, 2013). Sur ce dernier point notamment, il s’agit de parier sur les bénéfices ultérieurs d’initiatives à engager dès maintenant. Il est toutefois extrêmement complexe de savoir à l’avance si une initiative engagée maintenant répondra aux enjeux de demain. À cette incertitude s’ajoute bien entendu celle liée à l’intensité et à la fréquence des impacts futurs du changement climatique aux échelles régionales à locales (Meehl et al., 2007). Au-delà des objectifs affichés « sur le papier », la question reste récurrente de savoir comment s’adapter à des changements que l’on ne peut encore définir précisément. La tentation est grande d’attendre que la science (du climat, des impacts et de la vulnérabilité) apporte des informations plus fines. Bien que compréhensible sous certains aspects, cette position attentiste n’est pas tenable. D’abord, parce qu’il est loin d’être certain que l’incertitude va se réduire avec le temps, et cela pour trois raisons principales : les progrès de la science du climat peuvent conduire à l’accroissement des incertitudes, en particulier lorsque de nouveaux processus sont identifiés (rétroactions entre paramètres et points de rupture) ; l’ampleur du changement climatique futur va très fortement dépendre des émissions de gaz à effet de serre à venir, et par conséquent de décisions qui ne sont pas encore prises ; et les impacts futurs se déploieront sur les sociétés futures dont il n’est pas possible de connaître les caractéristiques précises plusieurs décennies à l’avance. Ensuite, parce que relever le défi du changement climatique suppose une modification profonde de nos modes de développement et de nos rapports aux contraintes environnementales. Or, de telles transformations requièrent du temps et elles doivent être initiées au plus vite pour avoir une chance d’être effectives.

Dans un tel contexte, un point de départ intéressant consiste à focaliser l’attention, non pas sur la définition des caractéristiques de l’initiative d’adaptation « idéale », mais plutôt sur celles qui vont permettre d’éviter les « maladaptations » au changement climatique, c’est-à-dire de ne pas aggraver les problèmes dans le futur. C’est un premier pas vers l’adaptation au sens plus large, et ce texte propose quelques principes directeurs allant dans ce sens.

  • UNE DÉFINITION DE LA MALADAPTATION

L’usage du concept de maladaptation dans la sphère du changement climatique remonte à la fin des années 1990. Scheraga et Gramsch (1998) y font indirectement référence au travers de 9 principes de caractérisation d’une bonne adaptation, parmi lesquels l’importance de prendre en compte « les effets négatifs potentiels des stratégies d’adaptation afin d’éviter les solutions qui soient pires que le problème ». Pour eux, « la maladaptation peut résulter en des effets négatifs qui sont aussi sérieux que les impacts du changement climatique que l’on cherche à éviter ». Le terme apparaît également dans le troisième rapport d’évaluation du GIEC, qui définit la maladaptation comme étant « une adaptation qui échoue à réduire la vulnérabilité, mais au contraire, l’accroît » (IPCC 2001: 990). Smithers et Smit (1997) ou encore Schipper (2009) mentionnent également le terme de maladaptation dans leurs travaux. Plus récemment, Barnett et O’Neill (2010), s’intéressant aux réponses de l’ingénierie au stress hydrique dans la ville de Melbourne (Australie), parlaient d’« une action visant apparemment à éviter ou réduire la vulnérabilité au changement climatique, mais qui affecte négativement ou accroît la vulnérabilité d’autres systèmes, secteurs ou groupes sociaux » (p. 211). En novembre 2012, 16 experts se sont réunis pour proposer une définition améliorée, que l’on retiendra ici :

La maladaptation désigne un processus d’adaptation qui résulte directement en un accroissement de la vulnérabilité à la variabilité et au changement climatiques et/ou en une altération des capacités et des opportunités actuelles et futures d’adaptation.

En parlant de processus, cette définition renvoie aux diverses échelles de temps de la mise en œuvre de l’adaptation, incluant les initiatives entreprises aujourd’hui, mais dont des effets négatifs pourront survenir ultérieurement. Elle invite donc à dépasser le problème de l’incertitude sur les conditions climatiques et environnementales futures, à partir d’une réflexion sur les effets pervers potentiels d’une initiative que l’on engagerait maintenant au titre de l’adaptation. Autrement dit, et partant du constat désormais largement partagé que le changement climatique va essentiellement consister en une exacerbation de problèmes que l’on connaît déjà, une initiative ne peut être considérée comme relevant de l’adaptation dès lors qu’elle ne réduit pas significativement la vulnérabilité du système aux aléas naturels. Schématiquement, cela revient à limiter l’exposition des sociétés aux aléas actuels (par exemple, en évitant l’urbanisation trop près du rivage), à limiter leur sensibilité ainsi que celle des écosystèmes dont elles dépendent aux stress climatiques d’aujourd’hui (par exemple en réduisant les pollutions, ou en diversifiant les activités économiques) et à renforcer leurs capacités d’adaptation (par exemple en réduisant les inégalités sociales, ou en améliorant les systèmes de gestion des risques). On retrouve là les trois piliers (exposition, sensibilité, capacité d’adaptation) de la définition du GIEC de la vulnérabilité. À ceci près qu’ici, l’angle d’entrée est celui de la réduction des contraintes actuelles, avec l’idée sous-jacente que ces dernières sont des vecteurs potentiels de maladaptation.

  • PRINCIPES DIRECTEURS

Le thème de l’adaptation impose que la dimension changement climatique soit au centre d’une démarche plus globale de développement durable (préserver l’environnement, réduire la pauvreté, etc.). Cela peut concrètement se traduire en 11 principes directeurs qui visent principalement à éviter les maladaptations environnementales, sociales et économiques.

Ces principes directeurs s’appliquent aux différentes formes de la mise en œuvre de l’adaptation (politiques, plans, projets). Ils n’ont pas pour but de permettre d’évaluer ex post les bénéfices et les manques de démarches entreprises au titre de l’adaptation, mais davantage d’informer l’élaboration des politiques, plans et projets d’adaptation en amont de leur mise en œuvre (démarche ex ante).

  • MALADAPTATION ENVIRONNEMENTALE

Une part importante des marges de manœuvre des sociétés face à des perturbations naturelles ou anthropiques déstabilisantes pour les activités économiques et de subsistance repose sur les équilibres environnementaux en place. Un objectif central consiste donc d’abord à éviter de porter préjudice à l’environnement tant au niveau du territoire dans lequel l’initiative est développée que d’autres territoires, proches ou éloignés. On considère ici qu’une initiative d’adaptation qui déplace les pressions environnementales ailleurs relève de la maladaptation en ce sens qu’elle délocalise plus qu’elle ne réduit les composantes de sa vulnérabilité. Pour être d’adaptation, une initiative doit nécessairement être en cohérence avec la nature et les dynamiques des écosystèmes en place, de même qu’elle doit tenir compte des menaces potentielles du changement climatique sur l’évolution des conditions environnementales (impacts directs et indirects sur les ressources). Cinq principes directeurs soutiennent cet objectif :

(1) Éviter les dégradations engendrant des effets de retour négatifs in situ, c’est-à-dire sur le territoire dans lequel l’initiative est mise en œuvre (environnement direct). Le cas idéal est bien sûr celui d’une initiative ayant un effet atténuateur, ou a minima n’ayant aucun effet collatéral, sur la surexploitation des ressources, la dégradation des habitats ou encore la pollution des écosystèmes. Cela n’est cependant pas toujours envisageable sur le terrain, car il est souvent nécessaire d’opérer un arbitrage entre enjeux de développement et enjeux environnementaux (quand il faut protéger une grande ville côtière, par exemple). Dans ce cas, l’initiative ne peut être considérée « d’adaptation » que si elle prend en compte l’existence de ses propres effets négatifs in situ et si elle déploie en parallèle des mécanismes de compensation.

(2) Éviter le report des pressions sur d’autres environnements (espaces limitrophes ou connectés d’un point de vue écologique ou socioéconomique) : le but initial de toute démarche d’adaptation étant de réduire les pressions, et non de les déplacer, la mise en œuvre d’une initiative sur un territoire donné ne peut pas, dans une configuration idéale, entraîner ailleurs des pressions accrues sur l’environnement. Il faut cependant avoir conscience qu’éviter ce report de pressions n’est pas toujours possible et que dès lors, il est ici aussi indispensable que l’initiative tienne compte de cette contrainte et engage en parallèle des mécanismes de compensation.

(3) Soutien à la fonction protectrice des écosystèmes face aux aléas naturels actuels et futurs, afin de maintenir une capacité d’amortissement naturel des aléas et de leurs impacts directs. Un exemple classique est le maintien des dunes côtières qui, lorsque qu’elles sont en bon état (continuité du cordon dunaire et présence d’une végétation fixante), jouent un rôle tampon face aux houles de tempête.

(4) Prise en compte des incertitudes sur les impacts du changement climatique et sur la réaction des écosystèmes, de façon à conserver des marges de manoeuvre pour ajuster les activités au fil des changements environnementaux et des nouvelles connaissances scientifiques. La notion de flexibilité est ici invoquée en tant que pilier majeur de la capacité à s’adapter (Magnan, 2013).

(5) Vocation première à promouvoir l’adaptation aux changements environnementaux plutôt qu’à réduire les émissions de gaz à effet de serre : si l’initiative peut concourir à l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, elle doit avant tout viser la résilience et la réduction de la vulnérabilité des populations aux aléas naturels (soudains comme graduels). Ce principe vise à éviter la confusion, encore très courante sur le terrain, entre mesures d’adaptation et d’atténuation.

  • MALADAPTATION SOCIOCULTURELLE

Les marges de manœuvre des sociétés face à des perturbations naturelles ou anthropiques vont également reposer sur des caractéristiques humaines. L’initiative d’adaptation doit dès lors être en cohérence avec les caractéristiques sociales et les valeurs culturelles de la population concernée, de même qu’elle doit reposer sur les capacités et les savoirs locaux dans le champ de l’environnement et des risques naturels. Ici, il s’agit en premier lieu d’éviter de porter préjudice aux équilibres socioculturels en valorisant les compétences de la population, afin également de générer ou de maintenir une mobilisation collective. On peut retenir trois principes directeurs :

(6) Prise en compte des caractéristiques sociales et des valeurs culturelles locales : l’initiative doit tenir compte des attentes de la population en termes de conditions de vie matérielles et immatérielles, actuelles et futures.

(7) Prise en compte et valorisation des compétences et savoir locaux, afin de soutenir l’implication des membres de la société dans et/ou autour de l’initiative.

(8) Appel à de nouvelles compétences appropriables par la population : le principe précédent n’implique pas nécessairement de limiter la population aux compétences et savoirs qu’elle a déjà. D’abord, parce que ceux-ci ne sont pas toujours favorables aux équilibres environnementaux. Ensuite, parce que de nouveaux besoins peuvent se faire jour, et l’acquisition de nouveaux savoir et savoir-faire est un élément d’adaptation.

  • MALADAPTATION ÉCONOMIQUE

C’est généralement la dimension la mieux appréhendée par les travaux d’analyse des initiatives d’adaptation. Très schématiquement, l’idée d’ensemble est d’éviter que l’initiative ne génère d’une part de la pauvreté, d’autre part des irréversibilités en termes d’investissements (ceux mobilisés à un moment ne pouvant plus servir pour plus tard). Trois principes directeurs renvoient à des questions de viabilité et de diversification :

(9) Favoriser la réduction des inégalités socioéconomiques : dans l’idéal, l’initiative ne doit pas affaiblir les revenus actuels que divers groupes tirent d’activités économiques et/ou de subsistance, et au mieux être source de nouveaux revenus. Il est cependant fondamental de ne pas ignorer que dans la très grande majorité des situations, il est quasiment inévitable qu’il y ait « des gagnants et des perdants », c’est-à-dire que le redéploiement ou le développement d’activités ne soit pas également profitable à tous les groupes concernés. Admettre cette réalité est une pré-condition à la durabilité de l’initiative, donc à sa pertinence du point de vue de l’adaptation au changement climatique. Dès lors, un enjeu crucial consiste à réduire cet écart gagnants/perdants, ou a minima à ne pas l’accroître. Cela renvoie à la question de la réduction des inégalités, bien connues pour nuire à la durabilité d’initiatives spécifiques ou de processus de développement en général.

(10) Soutien à une relative diversification des activités (économiques et/ou de subsistance) et des sources de revenus : en évitant que toutes les activités ne soient menacées par les mêmes aléas, la diversification va permettre à la société d’acquérir ou de maintenir certaines marges de manœuvre face aux perturbations environnementales qui, avec le changement climatique, vont affecter diverses ressources naturelles et divers moyens de production. (11) Prise en compte de l’évolution potentielle des activités économiques et de subsistance sous l’effet du changement climatique : il est ici question d’éviter de développer des activités qui demandent des investissements (en argent, en temps et en énergie) lourds alors qu’ils vont rapidement devenir obsolètes du fait du changement climatique.

  • CONCLUSION

Nous soutenons ici que l’analyse ex ante des initiatives d’adaptation est tout aussi importante que leur évaluation ex post. Si ces dernières permettent un suivi de l’efficacité de la mise en œuvre de l’adaptation et de l’utilisation des fonds dédiés, les analyses ex ante participent également d’une amélioration des efforts pour l’adaptation, principalement parce qu’elles permettent d’éviter les maladaptations. Dans ce but, 11 principes directeurs sont proposés. Ils mènent au constat que l’un des grands enjeux de la mise en œuvre de l’adaptation passe par commencer par bien faire ce que l’on fait mal.

Cette approche est porteuse d’une nouvelle positive pour les décideurs et les praticiens en charge des démarches d’adaptation. En effet, éviter les maladaptations repose en grande partie sur la non reproduction des erreurs passées et actuelles en matière d’aménagement du territoire et de gestion des risques naturels, par exemple. Cela signifie que ces acteurs bénéficient déjà d’une expérience empirique pour commencer à s’adapter, et qu’ils disposent donc déjà de moyens pour s’affranchir partiellement du problème des incertitudes sur les impacts du changement climatique.

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