L'expérience de la première phase (2005-2007) du système communautaire d'échange de quotas d'émissions (SCEQE) a montré les limites de l'allocation gratuite de ces derniers (difficultés d'harmonisation générant une sur-allocation, distorsions de compétitivité, profits indus pour le secteur électrique). La question se pose aujourd'hui de savoir dans quelles proportions l’allocation des quotas à titre onéreux doit être retenue pour les prochaines phases du SCEQE. C’est la méthode d’allocation préférée des économistes, qui permet de maximi- ser le caractère incitatif du SCEQE, tout en limitant les effets pervers observés sur la première phase. Si la mise aux enchères permet de trouver un prix d’équilibre, c’est aussi la méthode qui reflète le mieux le principe du pollueur payeur inscrit à l’article 174 du Traité CE (et, en droit français, dans la Charte constitutionnelle de l’environnement, et à l’article L. 110-1 du Code de l’environnement).

Cette méthode pose toutefois la question de l’uti- lisation des revenus de la mise aux enchères des quotas, nouvelle recette qui peut s’élever à environ 20 milliards d’euros par an1 et pourrait contribuer au financement des coûts d’une transition néces- saire vers une économie faiblement carbonée. C’est aussi un argument potentiel dans le cadre des négo- ciations internationales, pour signifier aux pays en développement que l’UE se dote des ressources nécessaires pour financer la diffusion de techno- logies existantes et le développement de technolo- gies nouvelles, l’adaptation aux conséquences du changement climatique ou encore le renforcement des capacités à développer des politiques et mesu- res d’atténuation efficaces2.

Enfin, une attention particulière doit être accor- dée aux effets éventuellement pervers de la redis- tribution des revenus des enchères sous forme d’aides d’État, susceptibles de générer des distor- sions de concurrence.

Que propose la Commission ?

La Commission propose d’ériger la mise aux enchè- res au rang de principe de base pour l’allocation des quotas, au nom de la nécessaire harmonisation des règles d’allocation, de la transparence et de la simplicité dont le marché a besoin pour bien fonc- tionner et de l’efficience économique en vue d’éviter les effets de redistribution qui ont été constatés pendant la première phase du SCEQE.

La Commission propose qu’au moins 20% du pro- duit de la mise aux enchères des quotas soit utilisé pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, s’adapter aux conséquences du changement clima- tique, financer des activités de recherche et de déve- loppement, développer les énergies renouvelables, promouvoir la capture et le stockage géologique des gaz à effet de serre, contribuer au Fonds mondial pour la promotion de l’efficacité énergétique et des éner- gies renouvelables, éviter le déboisement et faciliter l’adaptation dans les pays en voie de développement, et enfin tenir compte d’aspects sociaux, tels que les effets d’une hausse potentielle des prix de l’électricité sur les ménages à revenus faibles et moyens.

Compte tenu des enjeux financiers et des atten- tes des États membres, la question de savoir si le niveau communautaire serait le plus efficace, tant pour organiser les enchères que pour utiliser les revenus en résultant ne se pose pas frontalement dans le contexte de la négociation du Paquet « Cli- mat et Énergie ». La Commission a été particuliè- rement prudente dans la formulation de sa proposition, notamment en reconnaissant d’emblée que les enchères seront organisées par les États mem- bres sur la base d’une répartition des droits de mise aux enchères définie au niveau communautaire. Les revenus générés relèvent des recettes natio- nales, la Commission n’ayant aucun droit ni com- pétence directe quant à leur affectation. Les États membres n’auraient aucune obligation de résultat, mais simplement une obligation de moyen d’affec- ter la portion de ces revenus (20 %) aux mesures d’atténuation, d’adaptation ou de renforcement des capacités évoquées ci-dessus.

État des lieux des négociations

À ce jour, la Commission est restée prudente concernant l’utilisation des revenus des enchères en maintenant sa proposition initiale.

Au Parlement, le rapport de la Commission ITRE a été adopté le 11 septembre, et le rapport Doyle de la Commission ENVI (chef de file), le 7 octobre. Les amendements de compromis 11 et 12 du rap- port Doyle proposent une approche beaucoup plus contraignante tant en termes de volume de res- sources que d’obligation pour les États membres. L’amendement de compromis 11 prévoit d’allouer au minimum 50 % du revenu des enchères à un fonds international33 destiné aux pays en dévelop- pement qui ratifieront le prochain accord interna- tional. Un quart du fonds serait alloué à des projets forestiers, un autre quart à la réduction des émis- sions et au transfert de technologie, et enfin une moitié à l’adaptation au changement climatique. L’amendement 12 prévoit que la partie restante du revenu des enchères, gérée par les États, sera obli- gatoirement utilisée pour la lutte contre le change- ment climatique (10 axes similaires à ceux propo- sés par la Commission).

Au Conseil, onze États membres rejettent l’idée de « flécher »4 – c’est-à-dire d’affecter obligatoire- ment – les revenus des enchères, préférant inscrire dans la Directive un simple encouragement. L’Al- lemagne et la Grande-Bretagne vont plus loin en demandant la suppression du texte proposé par la Commission, ce qui reviendrait à leur reconnaître une marge de manoeuvre totalement discrétion- naire quant à l’utilisation des revenus5. Certains nouveaux États membres expriment aussi des réti- cences à prévoir une affectation des recettes atten- dues des enchères au bénéfice d’activités ou de pays situés en dehors de l’UE6. Tant les conclusions du Sommet européen des 15 et 16 octobre que cel- les du Conseil Environnement du 20 octobre reflè- tent ces réticences de la part d’une majorité d’Etats membres, en marquant la marge discrétionnaire dont ils devraient bénéficier pour utiliser les reve- nus des enchères7.

Analyse des points de négociation

À titre liminaire, il est important de noter le précé- dent que constitue l’accord entre le Parlement et le Conseil, le 26 juin dernier, pour adopter la Direc- tive incluant le secteur de l’aviation dans le SCEQE. Celle-ci prévoit que les États membres mettent aux enchères une certaine quantité de quotas, et les invite (obligation de moyens) à affecter les revenus générés à la lutte contre le changement climati- que dans l’UE et dans les pays tiers ainsi qu’à la couverture des coûts administratifs du SCEQE. Ce précédent met le curseur des négociations pour la révision du SCEQE vers une obligation de moyens à la charge des États membres.

L’utilisation des revenus des enchères est un des points les plus sensibles de la négociation qui pré- sente au moins deux enjeux majeurs.

L’enjeu du cadrage de l’utilisation des revenus des enchères est de taille car l’intégrité environne- mentale et économique du dispositif serait remise en cause si les sommes étaient réaffectées aux entreprises assujetties au SCEQE à la totale dis- crétion des États membres. Cela laisserait la porte ouverte à des négociations entre États et entrepri- ses similaires à celles observées pour les allocations gratuites des périodes 2005-2007 et 2008-2012 et reviendrait à rendre d’une main ce qui est pris de l’autre, avec de probables effets de redistribution et de distorsion de concurrence.

C’est pourquoi des règles harmonisées sont néces- saires pour compenser l’impact des surcoûts direc- tement supportés par les entreprises assujetties au SCEQE. En ce qui concerne les surcoûts indirects (impact inflationniste du SCEQE sur les prix de l’électricité), la proposition de la Commission - sou- tenue par le Parlement - prévoit des dispositions en faveur des ménages, du transport ferroviaire et des sites de démonstration ou de recherche dans les technologies propres. Les autres activités indus- trielles sont soumises au régime des aides d’État en matière d’environnement qui encadre strictement toute compensation financière directe ou indirecte sous forme de soutien à l’investissement ou au fonctionnement, y compris pour préserver la com- pétitivité des entreprises européennes8. Il n’est pas opportun d’un point de vue juridique de vouloir utiliser le revenu des enchères pour compenser directement les surcoûts indirects des industries grosses consommatrices d’électricité telles que le secteur de l’aluminium pour réduire les risques de fuites de carbone comme l’ont envisagé certains États membres.

Le nouvel encadrement des aides d’État en matière d’environnement, qui a été adopté le 23 janvier 2008, n’est pas couvert par la négociation, bien qu’il ait été présenté comme faisant partie intégrante du paquet « Climat et Énergie ». Le texte est une simple Communication de la Commission, acte non législatif par lequel celle-ci expose la manière dont elle entend user des prérogatives par- ticulières que lui confèrent les Traités en matière de concurrence. Pour soutenir les priorités établies par la Commission en matière d’utilisation du revenu des enchères, les nouvelles règles facilitent l’affec- tation de l’argent public vers les investissements en technologies propres au sein de l’UE, telles que la capture et le stockage du carbone, les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique. La solu- tion pour compenser les surcoûts indirects réside donc avant tout dans le soutien qui pourrait être accordé à certaines entreprises grosses consomma- trices d’électricité pour investir dans de nouvelles technologies, l’amélioration de l’efficacité énergéti- que et le développement de l’électricité à partir de sources d’énergies renouvelables, contribuant ainsi à renforcer la synergie entre les différents éléments du Paquet « Climat et Énergie ».

Le second grand enjeu lié à l’utilisation des reve- nus des enchères réside dans le message à l’atten- tion des pays en développement dans le cadre des négociations internationales : le fonds internatio- nal proposé par la Commission ENVI permettrait de transférer jusqu’à 10 milliards d’euros par an9 aux pays qui ratifieront un futur accord inter- national. On peut alternativement envisager d’augmenter le volume de crédits MOC/MDP si un accord international satisfaisant est adopté10. Au-delà de la question de la gouvernance, et notamment de savoir quel serait le Fonds inter- national le plus approprié pour gérer ces fonds en provenance des États membres, mobiliser le financement sera au cœur des négociations tant les attentes des pays en développement sont for- tes sur ce point. Une obligation de moyens sur le principe de l’accord trouvé pour l’aviation, solution sans doute la plus acceptable pour les États membres dans le cadre d’un compromis avec le Parlement, permettrait de renforcer la crédibilité de l’UE à l’égard des autres parties à la négocia- tion internationale

En définitive, laisser toute discrétion aux États membres sur l’utilisation des revenus des enchè- res affecte la crédibilité de l’UE dans les négocia- tions internationales mais, en outre, comporte le germe de risques de distorsions de concurrence intra-communautaire. Il est donc souhaitable d’harmoniser et d’encadrer au maximum les modalités d’affectation de ces revenus, même dans l’hypothèse d’un échec de la négociation internationale sur le climat.

 

 

1 Hypothèse : vente aux enchères de 50 % du total du volume annuel moyen de quotas 2013-2020 à un prix de 30 euros par tonne.

2 L’acronyme MRV (measurable, verifiable, reportable) qui conditionne la validation – et donc de financement - des mesures de politique climatique, semble s’être substitué à « additionel » qui a perdu en crédibilité depuis les récentes études sur le MDP, notamment A Realistic Policy on Inter- national Carbon Offsets, par Michael W. Wara and David G. Victor de Stanford, Avril 2008.

3 Une précédente version de cet amendement proposait de faire abonder ce fonds sur la base du volontariat et n’émet- tait qu’une simple recommandation quant à l’usage des sommes conservées par les États. Cette proposition avait le mérite de mettre certains grands États face à leurs respon- sabilités : l’Allemagne et la Grande Bretagne qui refusent toute consigne sur l’affectation du revenu des enchères ne passeraient pas inaperçues de leurs partenaires du Sud en refusant de contribuer à un fonds européen dont elles seraient parmi les principaux donateurs.

4 Pour certains il serait anticonstitutionnel de laisser l’UE décider de l’allocation de leur revenu, ce qui n’est pas juri- diquement recevable compte tenu de la primauté du droit communautaire, même dérivé, sur le droit national.

5 Cette position relève notamment de la crainte de créer un précédent en matière d’utilisation de recettes nationales, l’Allemagne et la Grande Bretagne envisageant par ailleurs de nombreux investissements liés à politique du climat

6 Ces États bénéficient d’une redistribution favorable de quotas aux fins de solidarité et de croissance européenne et anticipent des surcoûts importants dans le secteur élec- trique.

7 Presidency guidelines for further work on the energy/cli- mate package, Brussels, 14 octobre 2008.

8 Déclaration de la Commission lors de la rencontre informelle des ministres de l’Environnement des 3 et 4 juillet 2008:« The State aid rules do not allow direct operat- ing aid for avoiding relocation of production and carbon leakage. This is one of the worst type of State aid, both from an EU-state aid policy perspective as under WTO-subsidies rules.»

9 À titre de comparaison, l’aide publique au développement des États-Unis s’élevait en 2007 à environ 15 Md d’euros devant l’Allemagne (12,3), la France (9,9), le Royaume-Uni (9,9) et le Japon (7,7) ; par ailleurs, affecter 50 % du fonds à l’adaptation et 25 % aux forêts doit permettre de cibler les pays les moins avancés qui ont jusqu’ici été les grands oubliés du Mécanisme de développement propre, qui pro- fite essentiellement aux pays en développement les plus avancés (Chine et Inde).

10 Qui passe, en moyenne annuelle estimée sur la période 2013-2020, de 108 Mt à 374 Mt en cas d’accord soit plus de 7 Md d’euros si l’on évalue le CER à 20 euros.

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