« Le Pacte vert pour l’Europe balise aussi bien la nouvelle stratégie de croissance de l’UE que les mesures à prendre pour faire de l’Europe le premier continent neutre sur le plan climatique d’ici 2050.»1 Si le Pacte vert (Green Deal) est avant tout un programme de transformation structurelle au niveau national, il stipule également que toutes les actions et politiques de l’UE devront contribuer à atteindre ses objectifs. Qu’est-ce que cela implique pour l’action extérieure de l’UE ? On a longtemps reproché à l’Europe de ne pas proposer de vision claire du projet politique qui sous-tend les partenariats qu’elle propose au reste du monde, contrairement, par exemple, à l’Initiative Belt and Road en Chine. Le pacte vert a le mérite d’être un projet non seulement pour l’Europe, mais aussi pour l’Europe dans le monde. Quelles sont les conditions pour que le pacte vert engage les partenaires de l’Europe, et en particulier l’Afrique, dans des partenariats à termes égaux ?

Un agenda diplomatique

Une première analyse du Pacte vert et de la communication « Vers une stratégie globale avec l’Afrique » permet de dégager quelques idées qui semblent prometteuses, mais qui devront être suivies d’actions et d’efforts diplomatiques pour convaincre les partenaires qu’une action extérieure au service du Pacte vert est dans leur intérêt.

Le Pacte vert considère que l’UE doit montrer l’exemple. D’une part, il entend lui donner une longueur d’avance dans la transition verte, par exemple en termes d’innovation ou de développement de normes (telles que la taxonomie sur la finance durable), qu’elle pourra exporter. Ce projet de transformation structurelle de l’économie de l’ensemble du continent est censé éviter d’exporter la non durabilité vers les pays en développement. D’autre part, le Pacte vert vise à déclencher un nivellement par le haut, grâce à un relèvement des normes à l’échelle mondiale sur le long terme, et pas seulement au niveau de l’UE. Le leadership pris par l’UE pourrait évoluer pour devenir un projet visant à développer une nouvelle vision de la mondialisation qui ne soit plus une question de concurrence pour attirer les investisseurs à n’importe quel coût social et environnemental, mais porte davantage sur la coopération permettant de relever les normes à tous les niveaux, en renouvelant la notion de soft power, et ne s’appuyant plus uniquement sur l’ampleur du marché intérieur.
Cela implique que le Pacte vert soit également un instrument diplomatique actif. Une communication de la Commission de décembre dernier parle d’une « diplomatie du Pacte vert »2 et du besoin de forger des alliances. Elle mentionne en particulier une alliance avec la Chine, et envisage le sommet UE-Chine prévu en septembre prochain comme un levier d’action. Et affirme l’importance de développer une alliance UE-Afrique dans le cadre d’une stratégie qui prenne plus particulièrement en compte les questions climatiques et environnementales.

La communication « Vers une stratégie globale avec l’Afrique » clarifie, d’un point de vue diplomatique, les attentes de l’UE en matière de coopération multilatérale et d’agendas communs autour d’intérêts mutuels, parmi lesquels elle cite l’action climatique et la gouvernance du numérique. « L’Afrique et l’Europe forment, ensemble, le plus grand bloc électoral au sein des Nations unies », poursuit la stratégie, et ces forces devraient être unies pour continuer à soutenir la mise en œuvre de l’Agenda 2030 pour le développement durable et de l’Accord de Paris sur le climat. Concrètement, l’UE propose d’établir une coopération trilatérale structurée entre l’UA, l’UE et l’ONU dans le cadre de ces intérêts communs et offre en retour de soutenir les moyens permettant de donner à l’Afrique une voix plus forte aux Nations unies, ainsi que la demande de l’Union africaine d’obtenir un statut d’observateur renforcé à l’OMC.

Une marque européenne pour les partenariats internationaux ?

Comme l’indique la stratégie UE-Afrique, l’UE et ses États membres constituent le premier partenaire de l’Afrique « dans tous les domaines, que ce soit au niveau des investissements, des échanges  commerciaux, de l’aide publique au développement ou de la sécurité ». Cependant, l’« offre » européenne au continent africain est assez dispersée et manque d’une marque claire par rapport à d’autres partenaires tels que la Chine (offre claire sur le développement des infrastructures). Le Pacte vert pourrait devenir un élément déterminant de cette marque européenne pour les partenariats internationaux. Bien que le Pacte vert ne soit explicitement mentionné qu’une seule fois, la stratégie UE-Afrique souligne que le partenariat doit reposer sur une compréhension claire de l’intérêt mutuel et place le développement d’un modèle de croissance verte en haut de sa longue liste d’intérêts communs. En outre, l’UE propose d’élaborer sa stratégie globale avec l’Afrique autour de cinq partenariats : « transition verte et accès à l’énergie », « transformation numérique », « croissance et emplois durables », « paix et gouvernance », et « migration et mobilité ».
L’objectif global du partenariat pour la transition verte et l’accès à l’énergie est de permettre aux pays africains de suivre une « trajectoire de croissance verte, sobre en carbone et résiliente face au changement climatique », ce qui signifie concrètement éviter de s’enfermer dans des technologies inefficaces et à forte intensité de carbone, orienter les investissements vers le renforcement des capacités scientifiques et résister aux nouveaux investissements dans les centrales au charbon. Selon le document, cela signifie également qu’il faut s’appuyer sur le vaste capital naturel de l’Afrique pour trouver des solutions fondées sur la nature en matière d’atténuation du changement climatique et d’adaptation à celui-ci, mais aussi réduire la pression sur ce capital naturel par le lancement de l’initiative « NaturAfrica ». En outre, la stratégie fait du développement d’une économie circulaire une priorité qui exige une coopération pour mettre en place un secteur des matières premières responsable et des chaînes de valeur industrielles propres et dotées de normes environnementales et climatiques élevées.

De plus, la stratégie annonce un soutien de l’UE aux modèles d’urbanisation « intelligents » (smart) pour lutter contre la pollution. Par ailleurs, une proposition de partenariat pour l’agriculture est formulée de manière globale, qui rappelle les dernières recommandations du Rapport mondial sur le développement durable3 . La stratégie souligne le besoin pour les deux continents de travailler ensemble à la mise en œuvre de l’ODD no.2 sur l’élimination de la faim et la sécurité alimentaire tout en développant des systèmes agroalimentaires durables. Elle explique que l’UE soutiendra ainsi les pratiques respectueuses de l’environnement et prendra en compte les préoccupations en matière de biodiversité, tout en encourageant la production locale. Elle indique également que les accords commerciaux devraient être utilisés comme une opportunité de soutenir des systèmes alimentaires durables.

Si le partenariat pour la transition verte et l’accès à l’énergie dépeint de manière assez claire et ambitieuse ce que l’UE peut offrir, la possibilité que le Pacte vert devienne réellement la marque européenne pour les affaires extérieures dépend aussi de la capacité des autres partenariats à soutenir, ou non, les ambitions de ce premier partenariat.
Dans sa globalité, la stratégie EU-Afrique concerne l’ensemble de la transformation économique structurelle des pays du continent, et pas seulement certains sous-secteurs spécifiques. La nouvelle Commission fait preuve d’une réelle volonté de développer un nouveau partenariat avec l’Afrique, comme en témoignent les deux voyages qu’Ursula von der Leyen a effectués au siège de l’Union africaine au cours des 100 premiers jours de son mandat.
Pour ce qui est de l’Afrique, un rapport de la CEA4 met en lumière les besoins et priorités suivants : la transformation structurelle des économies ; l’impulsion donnée par le projet de zone de libre-échange continentale5 ; l’accès à l’emploi et la lutte contre les inégalités comme enjeu majeur en plus de la pauvreté, ce qui implique le renforcement des institutions et notamment de l’espace fiscal ; des infrastructures pour la connectivité et l’accès durable à la nourriture, à l’énergie, à l’eau ; l’adaptation au changement climatique ; un espace économique pour l’Afrique dans la mondialisation. Bien que les intérêts se chevauchent, l’ordre des priorités peut être different : d’abord, les questions de paix et de sécurité, puis la mise en œuvre de l’accord de libre-échange du continent africain et le développement des infrastructures connexes6 .

Pourquoi un partenariat qui privilégie l’économie verte serait-il attrayant pour les pays africains, alors qu’ils pourraient vouloir privilégier l’accès rapide et bon marché à l’électricité grâce au charbon, ou exploiter le pétrole et le gaz offshore comme relais de développement, et choisir des normes de durabilité moins strictes en matière d’infrastructures pour les développer plus rapidement ? L’établissement d’un partenariat UE-Afrique autour du Pacte vert peut donner aux deux parties un avantage comparatif et éviter aux pays africains le risque de s’enfermer dans des voies de développement non durables qui ne seront pas rentables à long terme. La diversification de l’économie est essentielle à cet égard, car une trop grande dépendance envers l’extraction de combustibles fossiles ou d’autres ressources non renouvelables peut en réalité constituer un désavantage. Dans le secteur de l’énergie, le Pacte vert a beaucoup à offrir, et pas seulement grâce aux avancées liées aux échanges technologiques sur les énergies renouvelables. Par exemple, la production non centralisée d’énergie renouvelable peut rendre l’accès à l’électricité plus équitable que la production centralisée d’énergie fossile intensive. En outre, la coopération en matière d’efficacité énergétique, qui est une dimension essentielle de l’équilibre énergétique dans le développement de l’Afrique, a beaucoup à offrir. Quant au développement des infrastructures, l’intégration de critères de durabilité pourrait être considérée non pas uniquement comme une charge administrative, mais aussi comme une opportunité d’améliorer la qualité du projet.
Enfin, en ce qui concerne l’agriculture, l’UE a encore un long chemin à parcourir pour transformer son propre système agroalimentaire de manière à ce qu’il réponde à la fois aux ODD no.2, 3, 15 et 13. C’est là que réside le défi pour la stratégie « de la ferme à la table »7 du Pacte vert, et l’UE et l’Afrique pourraient apprendre ensemble et entretenir un dialogue structuré sur ce que cette transformation signifie à la fois pour leurs marchés intérieurs et en termes de relations commerciales entre les deux continents. Il en va de même pour les autres transformations structurelles que l’UE doit mener pour que le Pacte vert soit effectivement suivi d’actions concrètes.
Par conséquent, un dialogue approfondi est nécessaire pour convaincre tous les partenaires que l’atténuation du changement climatique et la durabilité ne sont pas des contraintes au développement, mais bien des déclencheurs permettant de remettre en question les répercussions sociales et à long terme des choix de développement, sur les deux continents.

Financement des trajectoires de développement durable

Une fois que ce dialogue aura permis de dégager des pistes claires, il faudra que la question du financement suive. Le Pacte vert réaffirme la volonté d’introduire un objectif d’intégration dans le prochain budget de l’Union consacrant 25 % à l’action climatique. Cet objectif devrait également s’appliquer à l’instrument de voisinage, de développement et de coopération internationale (NDICI, Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument). Et la société civile réclame un objectif plus ambitieux de 50 % de dépenses consacrées au climat et à l’environnement8 . Même si le chiffre le plus élevé possible est le bienvenu, il est important de ne pas discuter des choses dans le mauvais ordre. Plus qu’une définition d’objectifs « par le haut », la priorité devrait être de déclencher un dialogue sur les trajectoires de développement durable à long terme. Une action extérieure de l’UE au service du Pacte vert devrait donc consister à soutenir un dialogue structuré, inclusif et scientifique dans les pays partenaires autour de l’élaboration de telles stratégies. Dans le Programme d’action d’Addis-Abeba, les États membres se sont mis d’accord pour que leur action s’articule « autour de stratégies de développement durable cohérentes, pilotées par les pays et s’inscrivant dans des cadres de financement nationaux intégrés ». Comme le souligne le rapport de 2019 du Groupe de réflexion interinstitutions sur le financement du développement (Inter-Agency Task Force on Financing for Development), ces cadres de financement nationaux « recensent l’ensemble des sources de financement et des moyens de mise en œuvre autres que financiers dont disposent les pays et définissent une stratégie de financement pour mobiliser des ressources, gérer les risques et réaliser les priorités du développement durable ». Jusqu’à présent, seuls quelques pays ont développé de tels cadres intégrés9 et l’UE pourrait dans un premier temps aider les pays à structurer ce dialogue sur les priorités du développement durable, puis à élaborer ces cadres intégrés. La stratégie préconise également une approche plus concertée entre les instruments financiers de l’UE et les institutions européennes de financement du développement.

Ces cadres pourraient alors également guider les investissements. L’UE est le premier investisseur en Afrique (avec un stock d’investissements directs étrangers atteignant 222 milliards d’euros selon la stratégie UE-Afrique). Les instruments de l’UE, tels que le mandat de prêt extérieur, la facilité d’investissement pour les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et, plus récemment, le plan d’investissement extérieur de l’Union européenne, ont débloqué de nouveaux investissements en Afrique. La stratégie indique clairement qu’ils comprennent des investissements dans les énergies propres, mais admet également qu’il faut accélérer la « transition vers des investissements plus responsables et neutres du point de vue climatique ».

Les transformations structurelles entreprises en Europe dans le cadre du Pacte vert devraient avoir et auront un impact sur l’action extérieure de l’UE. Dans ce contexte, il est encourageant de constater que le besoin d’une diplomatie du Pacte vert et d’alliances soit reconnu, et que ces priorités soient placées en tête de l’agenda de la stratégie UE-Afrique. Un dialogue est désormais nécessaire sur les implications pour l’action extérieure de l’UE, notamment en matière de commerce, de coopération internationale et d’investissements. Un exposé convaincant des avantages pour les partenaires africains est également nécessaire pour maintenir ces priorités à l’ordre du jour du prochain sommet UE-Afrique.