En mars 2022, entre les deux tours de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron annonçait une mesure phare : un leasing social de véhicules électriques à 100 euros par mois. Après une longue période de gestation, le dispositif a été ouvert au public le 1er janvier 2024 avant d’être refermé après six semaines seulement, victime d’un trop grand nombre de demandes, au regard notamment de l’enveloppe budgétaire envisagée et de l’offre de véhicules disponibles. Le succès rencontré démontre la pertinence de la mesure et justifie qu’elle prenne de l’ampleur dans les années à venir, mais impose également que le dispositif évolue pour tenir compte des enjeux mis en lumière par cette première édition. Dans ce billet de blog, l’Institut Mobilités en transition dresse un bilan de cette première phase de mise en œuvre et propose des pistes d’évolution pour faire du leasing social un outil efficace de transition, contribuant notamment à la résolution de problèmes structurels de précarité ou de dépendance des ménages concernés. 

Leasing social : caractéristiques et arbitrages budgétaires

En janvier 2024, après une large consultation, le gouvernement dévoile les modalités de ce nouveau dispositif. Il sera réservé aux 50 % des Français les plus modestes, qui sont dépendants de leur véhicule dans le cadre de leur activité professionnelle quotidienne1 . Le schéma retenu est celui soutenu par les acteurs historiques du leasing d’une LLD (location longue durée) ou d’une LOA (location avec option d’achat) classique. La prime de l’État peut atteindre jusqu’à 13 000 € et permet de couvrir entièrement l’apport initial requis. Les mensualités varient entre 70 et 150 € selon les modèles de véhicules. Les véhicules éligibles doivent tous atteindre un score environnemental minimal (correspondant à celui défini par l’Ademe2 pour l’octroi du bonus écologique), ce qui exclut quasiment tous les modèles produits en Chine. Enfin, la durée du contrat devra être de trois ans, renouvelable une fois, avec la possibilité de résilier sans frais par anticipation en cas de perte d’emploi. 

La proposition est attractive, et séduit rapidement un grand nombre de Français, alors que le gouvernement s’est montré plutôt prudent en prévoyant initialement 25 000 véhicules pour le lancement du dispositif. En six semaines, le leasing social est victime de son succès – la plateforme a enregistré 90 000 demandes – et le gouvernement doit très vite geler le dispositif d’enregistrement qui dépasse le dimensionnement initialement prévu, tant en termes de volumes disponibles côté constructeurs (ces derniers proposent les modèles qu’ils souhaitent introduire dans le dispositif et s’engagent sur des volumes) qu’en termes budgétaires (environ 650 millions d’€). 

En effet, le leasing social est inclus au même titre que la prime à la conversion et le bonus écologique dans l’enveloppe consacrée aux aides pour le verdissement du parc de véhicules, dotée de 1,5 milliard d’euros dans la loi de finance 2024. Pour le ministère des Finances, répondre à l’engouement en assurant le financement des 50 000 commandes finalement validées, tout en restant dans l’enveloppe budgétaire allouée, a conduit à amputer d’autres dispositifs. Les arbitrages se sont portés sur une baisse de 1 000 euros des montants du bonus réservé aux particuliers pour l’achat de véhicules électriques (profitant généralement aux ménages les plus aisés) et sur une suppression des aides à l’achat pour les entreprises. Dans ces conditions, comment renouveler le dispositif en 2025 et résoudre la difficile équation budgétaire ? 

Quelques orientations pour la nouvelle édition

Considérer et tester un modèle ajusté en termes de durée et de coût

Dans nos propositions (T&E, Iddri, 2023)  nous préconisions un modèle sensiblement différent de celui retenu, notamment (1) sur le point de l’éligibilité des ménages que nous ciblions sur des populations plus contraintes, appartenant aux déciles 1 à 4, et surtout (2) sur la durée, non pas de l’engagement des ménages, mais du maintien du véhicule dans le dispositif (10 années), avec un véhicule qui pouvait passer d’un ménage à un autre (en occasion donc, mais toujours sous la forme d’un leasing social), avec des montants de remise en état intégrés dans le budget entre chaque contrat. Cette proposition, qui conduit à réduire en partie l’enjeu de l’incertitude autour de la valeur résiduelle à trois ans, permet d’obtenir des loyers mensuels sensiblement identiques, mais avec une prime d’entrée pour la puissance publique divisée par deux. Enfin, de même que pour le dispositif gouvernemental, nous avions imaginé la couverture de l’État pour les impayés. Nos motivations et préoccupations sur ces deux points étaient de limiter le coût du dispositif par ménage éligible ou par véhicule entrant dans le dispositif, et donc d’en multiplier le nombre. 

On pourrait donc se demander pourquoi un montage finalement très proche des pratiques traditionnelles des entreprises de leasing actuelles a été retenu. Cela s’explique par la volonté des loueurs de préserver leur position et leur modèle d’affaire en se positionnant comme les porteurs naturels du dispositif, et par la réticence des constructeurs, inquiets de la perturbation du marché de l’occasion ou de la réduction de leurs bénéfices, qui a entravé la co-construction d’un projet industriel. On peut comprendre que pour ce premier exercice, les pouvoirs publics aient choisi de s’en remettre à l’analyse des acteurs traditionnels qui maîtrisent leur modèle d’affaire3 .

Néanmoins, au regard de l’engouement, nous considérons que nos propositions (durée du véhicule dans dispositif et ciblage plus exigeant) restent valables pour l’évolution du dispositif en 2025. 

Renforcer le ciblage du dispositif vers les bénéficiaires les plus fragiles et les plus affectés par la transition 

Le conditionnement de cette aide à des critères de dépendance et de précarité est essentiel pour réorienter la dépense fiscale et créer un narratif positif autour d’une transition juste. Ainsi, réserver le leasing social aux quatre premiers déciles de revenus (versus cinq premiers actuellement) permet de maximiser l’impact social et environnemental de la mesure. En effet, les ménages les plus modestes sont en moyenne détenteurs de véhicules plus anciens, le passage au leasing électrique représente donc une réduction des coûts d’usage plus importante, ainsi que des gains environnementaux plus élevés. De la même façon, au sein des déciles 1 à 4, réserver un quota significatif de véhicules aux usagers détenteurs de véhicules Crit’Air élevés, affectés par la mise en place des ZFE, permet d’apporter une solution concrète contribuant à réduire les émissions de polluants. 

S’appuyer sur les collectivités territoriales concernées par les ZFE 

En plus de subir les conséquences d’une pollution locale trop élevée, les collectivités territoriales sont en première ligne des difficultés et des tensions liées à la mise en place des ZFE. Construire le leasing social comme un partenariat entre l’État et les collectivités est un moyen d’apaiser le dialogue entre les parties prenantes. Pour les collectivités territoriales, il s’agit de proposer une alternative crédible à l’exclusion de certains véhicules, et pour l’État de s’appuyer sur un relais local, autant pour atteindre le public cible que pour partager la charge financière. En effet, les aides à la conversion proposées actuellement par les collectivités dans le cadre des ZFE pourraient devenir des compléments du dispositif de base. De même, le lien de proximité avec les potentiels bénéficiaires et les acteurs locaux de l’écosystème mobilité fait des collectivités un acteur légitime pour contribuer à la gouvernance et au suivi du dispositif. 

Assurer un suivi et une évaluation transparente 

Le leasing social est un outil nouveau, qui doit nécessairement s’accompagner d’un rapportage et d’un suivi pour en évaluer l’efficacité, tant d’un point de vue social (profils des bénéficiaires, évolution du budget mobilité, etc.), industriel (impact sur le marché de l’occasion et évolution des valeurs résiduelles) qu’environnemental (nature des véhicules remplacés par le dispositif, nombre de km parcourus en électrique vs thermique, etc.). Ces éléments sont indispensables pour garantir l’impact et l’évolution du dispositif sur plusieurs années. Cette évaluation devra être établie en toute transparence par un tiers de confiance, par exemple le Commissariat général au développement durable (CGDD).

Faire du leasing social un levier pour promouvoir de nouvelles pratiques de mobilité

La transition des mobilités repose sur une combinaison de leviers complémentaires. L’électrification est centrale, mais d’autres leviers tels que le report modal ou la réduction des kilomètres parcourus ont un rôle à jouer. Parmi eux, l’optimisation de l’usage du système routier actuel par l'amélioration du taux d'occupation présente un potentiel significatif. Le leasing social pourrait donc être fléché en partie vers les détenteurs s’engageant dans une démarche de covoiturage régulier. Cette condition permettrait de maximiser l’efficience environnementale du dispositif et de démultiplier l’offre de mobilité partagée.

Construire ce dispositif comme un projet à visée industrielle

Une programmation pluriannuelle, avec un engagement financier constant sur plusieurs années (intégré à la stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique) permettrait de construire une trajectoire pour un marché additionnel et largement anticipable pour les constructeurs. Le renforcement des critères environnementaux pour les véhicules éligibles (score environnemental, réparabilité des véhicules ou des batteries) est de nature à sécuriser des décisions d’offre dans les gammes, de localisations industrielles et de choix de conception, pour lesquels les constructeurs nationaux sont souvent bien positionnés.

Finalement, le leasing social est devenu une réalité et un succès en France. Il est intéressant de noter que les dirigeants des deux constructeurs nationaux le présentent désormais comme un outil utile et présentant un potentiel au niveau européen. Néanmoins, c’est une innovation qui doit pouvoir s’ajuster et s’inscrire dans une programmation pluriannuelle pour réellement dévoiler tous ses avantages, y compris sur le plan industriel et sur l’émergence d’une offre de véhicules ad hoc. 

  • 1 Les conditions d’éligibilité : avoir un revenu fiscal de référence (RFR) par part inférieur à 15 400 euros (d’après les statistiques du 07/05/2022 de la DGFIP, ce RFR correspond se situe entre les déciles 5 et 6) et pouvoir justifier de plus de 8 000 kilomètres annuels réalisés dans le cadre d’une activité professionnelle ou d’un trajet domicile-travail supérieur à 15 kilomètres.
  • 2 La méthode d'évaluation de l'éligibilité des voitures particulières électriques neuves aux aides susmentionnées au titre du score environnemental est définie aux articles D. 251-1-A et R.251-1-B du code de l'énergie et dans l’Arrêté du 7 octobre 2023.
  • 3 Ce point est détaillé dans la version longue de ce billet, disponible sur le site de l’IMT.