Le Forum politique de haut niveau (FPHN) des Nations unies se tiendra les 24 et 25 septembre 2019 sous les auspices de l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) pour la première fois depuis l’adoption des Objectifs de développement durable (ODD) en 2015. Cet événement spécial, baptisé Sommet des ODD, sera un test décisif pour l’Agenda 2030 pour le développement durable. Marquant la fin d’un cycle d’examen quadriennal des 17 ODD, le sommet permettra de dresser un premier bilan des progrès réalisés jusqu’à présent et des défis à venir et, espérons-le, de passer à l’action. 

Les ODD tiennent-ils leurs promesses ?  

Le monde n’est pas sur la bonne voie pour atteindre les ODD. Même si le taux d’extrême pauvreté continue de baisser, cette tendance positive s’est ralentie. Au rythme actuel, 6 % de la population mondiale vivra en situation d’extrême pauvreté en 2030, et l’objectif d’élimination de ce fléau ne sera pas atteint1 . Entre 2015 et 2017, la consommation mondiale de matières premières est passée de 87 à 92,1 milliards de tonnes2 . Des efforts beaucoup plus importants sont nécessaires pour atteindre les objectifs en matière de biodiversité3 , de climat4 ou encore d’inégalités5 . L’ODD 10 sur les inégalités, nouvel objectif qui n’a pas été débattu en tant que tel par la communauté internationale avant l’adoption de l’Agenda 2030, ne fait pas encore l’objet d’une attention suffisante. Il est également inquiétant de constater que certains ODD qui montraient des évolutions positives sur le long terme sont actuellement en recul. Pour la troisième année consécutive, la faim dans le monde augmente à nouveau. De nouvelles solutions sont nécessaires pour répondre à ces tendances inquiétantes de manière cohérente, par exemple atteindre l’ODD 2 d’élimination de la faim et de promotion de systèmes alimentaires durables tout en mettant fin au déclin massif de la biodiversité.

L’Agenda 2030 promettait des solutions intégrées, un leadership de tous les pays et des contributions des différents acteurs. Grâce à ses objectifs et indicateurs concrets, il promettait également de rendre plus opérationnel le concept abstrait de développement durable. En introduisant un objectif de production et de consommation durables, il promettait un projet de transformation structurelle. C’est un programme ambitieux, mais nécessaire. « La crédibilité du multilatéralisme est au cœur même de l’Agenda 2030 », a déclaré Maria Fernandes Espinosa Garces, présidente de l’Assemblée générale6 . Et le secrétaire général des Nations unies, dans son discours prononcé à l’occasion de l’édition de juillet du FPHN, a indiqué que les ODD restaient au premier rang de ses priorités. Il a qualifié de « bouleversante » la situation actuelle et le manque de progrès, notamment en ce qui concerne les inégalités croissantes et l’inaction en matière de climat7

Les réponses jusqu’à présent 

L’étude Europe’s approach to implementing the SDGs : good practices and the way forward8  montre que la plupart des pays de l’UE ont mis en place de nouvelles stratégies, mécanismes de coordination et processus de participation des parties prenantes pour mettre en œuvre les ODD, mais que ces mécanismes et processus ne sont pas toujours opérationnels. Le risque est que les ODD ne deviennent qu’un silo bureaucratique supplémentaire. Les ODD ont peu de sens s’ils sont déconnectés des arbitrages sectoriels et des débats budgétaires, où ils pourraient devenir un outil de planification stratégique à long terme et un nouveau mode de prise de décision prenant en compte les impacts sur des aspects négligés jusqu’à présent. Des innovations intéressantes ont toutefois vu le jour dans un certain nombre de pays (Finlande, Allemagne et Afrique du Sud notamment), et l’intérêt croissant des parlementaires et des institutions de contrôle des finances pourrait accroître la pression pour agir9 . Mais ces réponses sont loin d’être suffisantes pour tenir les promesses de l’Agenda 2030.

Qu’en est-il des autres acteurs ? Les ONG ont créé de nouvelles coalitions réunissant des acteurs de différents secteurs, ouvrant de nouvelles voies pour discuter des priorités des pays où elles opèrent10 . Des villes comme Helsinki, Buenos Aires, Los Angeles ou New York ont commencé à présenter des revues locales volontaires de leurs efforts pour devenir championnes des ODD11 . Les grandes entreprises se font de plus en plus entendre sur les ODD. Dans l’idéal, les futurs FPHN devraient assurer le suivi de ces appels et engagements afin d’en évaluer l’opérationnalité et de vérifier s’ils peuvent satisfaire aux exigences des ODD qui ont pris du retard, en particulier l’action pour le climat, la biodiversité, les inégalités et les modes de consommation et de production durables, notamment dans le système alimentaire.

Que se passera-t-il au Sommet des ODD ?

Jusqu’à présent, on a pu constater une absence de leadership politique et d’orientation au niveau international. Ce premier Sommet des ODD sous les auspices de l’AGNU devrait changer la donne. Des champions des ODD sont nécessaires. Une déclaration politique sera adoptée réaffirmant l’engagement des pays vis-à-vis des ODD et appelant à des actions volontaires. Bien que le projet de déclaration ne soit pas encore concret, on peut se féliciter que tous les pays, y compris les États-Unis, l’aient accepté, compte tenu des vives discussions ayant entouré les précédentes déclarations politiques relatives aux ODD ne pouvant être adoptées que par un vote ; toutefois, le fait même qu’une telle déclaration politique ait été adoptée sans réelle controverse peut également être interprété comme une faible appropriation du programme des ODD, dans le contexte mouvementé actuel du multilatéralisme.

Au cœur du programme du sommet, les « dialogues entre dirigeants » seront l’occasion pour les pays de démontrer leur détermination et leur leadership par une représentation au plus haut niveau et l’annonce d’engagements concrets. Toutefois, compte tenu du grand nombre de sujets abordés et du temps limité dont disposeront les leaders nationaux dans le contexte du sommet, les attentes doivent être tempérées. Les dialogues porteront sur six thèmes : grandes tendances ayant une incidence sur la réalisation des ODD ; accélérer la réalisation des ODD : par où commencer ; tirer parti des progrès accomplis dans la réalisation des ODD ; localiser les ODD ; partenariat pour le développement durable ; définir une vision pour 2020-2030. Ces six sujets s’inspirent de l’édition spéciale du rapport annuel sur l’état d’avancement des ODD du secrétaire général des Nations unies et du Rapport mondial sur le développement durable (GSDR) de 2019. Le GSDR a été rédigé par 15 scientifiques et sera officiellement rendu public à l’occasion de l’ouverture du sommet. Il présentera six points d’entrée critiques pour les transformations majeures devant être accélérées12 .

De l’évaluation à l’action

Jusqu’à présent, le FPHN a fonctionné davantage comme une plateforme d’évaluation qu’en tant que plateforme d’action. Le Sommet des ODD cherche à inverser cette tendance en invitant les pays, et les autres acteurs, à présenter les actions permettant d’accélérer les ODD. La réussite du sommet dépendra largement de la volonté des pays, entreprises et autres acteurs de mettre en application cette intention. Les mesures d’accélération des ODD peuvent être enregistrées sur le site Internet du Sommet des ODD, et il est encourageant de voir que des critères de sélection ont été mis en place pour valoriser uniquement les efforts supplémentaires, en considérant uniquement les actions visant à intensifier les initiatives existantes ou à en introduire de nouvelles. Cela peut éviter la solution de facilité consistant à recycler les initiatives existantes, une logique qui caractérise trop souvent les stratégies publiques et privées en matière d’ODD. À l’avenir, les Nations unies pourraient aller encore plus loin en appelant à des initiatives portant sur des défis ou des objectifs transversaux spécifiques liés aux ODD qui sont encore loin d’être atteints.

Le premier Sommet des ODD offre la possibilité de doter l’Agenda 2030 du leadership politique qu’il mérite. Sa réussite dépendra essentiellement du fait que certains dirigeants se positionnent, ou non, en tant que champions des ODD et que les leviers de progrès discutés débouchent sur des engagements concrets et ouvrent la voie vers une transformation structurelle. Pour que l’Agenda 2030 devienne la feuille de route mondiale, il est temps de sortir du consensus mou et de placer ce programme au cœur des débats, particulièrement lorsqu’ils sont difficiles et complexes. Cela impliquera que le débat sur les politiques sectorielles se fasse à la lumière de l’Agenda 2030, notamment en matière de commerce.

> Lire, sur le même sujet, « Sommets climat et ODD à New York, 23-25 septembre 2019 », un article produit par l'Iddri pour le Parlement européen