Le récent sommet des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) n’est que le premier d’une série de grands événements internationaux organisés cet automne dont l’initiative ou la présidence revient à de grands pays émergents. Un nouveau Sud, de plus en plus structuré en coalitions et alliances, est à la manœuvre pour définir et cadrer l’agenda international, au moment même où les conflits entre Nord et Sud, Est et Ouest, risquent d’empêcher l’accélération de la transition écologique et de la coopération internationale qui lui est indispensable. Ce rééquilibrage dans la prise en main de l’agenda international peut-il permettre de réduire les tensions ? Est-il un premier signe d’une nouvelle manière de faire communauté internationale ou annonce-t-il au contraire une division du monde, chaque partie avec ses propres institutions et règles de coopération ?

BRICS+ 

L’élargissement du club des BRICS à six nouveaux pays1 a marqué l’actualité récente comme un signal fort de recomposition des lignes de force dans l’espace politique international. L’importance de cet événement est autant symbolique que concrète. Symboliquement majeur, il est la première manifestation formelle d’une organisation du non-alignement sur les États-Unis et leurs alliés occidentaux, même si les membres du club ont des orientations politiquement extrêmement diverses, voire étaient il y a peu encore les meilleurs ennemis. Avec la Russie en son sein, ce n’est certes pas l’essence du Sud global, et ce n’est pas non plus le renouvellement du mouvement des non-alignés. Mais concrètement, c’est sur un sujet central de la gouvernance mondiale que les BRICS+ mettent l’accent : l’ambition de construire une alternative à la gouvernance actuelle du système financier international (centralité du dollar, du FMI, de la Banque mondiale), dominé par les pays occidentaux. De nombreux pays, au-delà de leurs divergences politiques, attendent probablement de ce club élargi, qui représente une part majeure de l’économie mondiale2 , qu’il réponde mieux que les institutions existantes à leurs besoins d’accès au financement pour leur développement durable. Les BRICS se sont par exemple dotés d’une banque de développement (la New Development Bank), encore dans une phase de montée en puissance.

Afrique, Amérique latine

Sous l’impulsion du président kényan William Ruto, le Sommet africain sur le climat (4 au 6 septembre, Nairobi) est passé du statut de simple événement régional habituel à celui d’étape clé dans la reconfiguration du système financier international. Alors que la France a donné au Sommet de Paris de juin pour un nouveau pacte financier mondial une impulsion pour accélérer la recherche de solutions aux besoins immenses de financement des pays vulnérables, c’est le président Ruto qui a la plus clairement indiqué que cet agenda était dorénavant porté haut et fort par le Sud, par l’Afrique, et en l’occurrence par le Kenya. Il ne sera pas facile que ce sommet, deux mois et demi après Paris, fasse franchir une étape décisive à des négociations extrêmement complexes et imbriquées. Mais l’insistance du président Ruto sur la réduction des inégalités mondiales grâce à de nouvelles formes de fiscalité internationale est illustrative de la volonté et de la capacité des pays du Sud à définir l’agenda en fonction de leurs propres besoins et de leurs propres grilles d’analyse : un sommet par et pour les pays et sociétés africaines, pour définir leurs priorités. 

Au même moment, la Colombie sera la puissance invitante et organisatrice du Sommet Finance en Commun (Carthagène, 4 au 6 septembre), qui mettra la vision et les enjeux des pays latino-américains au cœur des discussions internationales entre banques publiques de développement, outil majeur des solutions à ces enjeux de financement.

Grands émergents et transformation de Bretton Woods

Le G20 lui-même est au milieu d’une séquence de présidences par de grands émergents (l’Inde après l’Indonésie, avant le Brésil puis l’Afrique du Sud). Le G20 indien sur le climat et l’environnement a été bloqué par des affrontements sur les enjeux des énergies fossiles et n’a pas abouti à un engagement fort à ce sujet. Mais il est encore possible que la réunion des chefs d’État du G20 des 9 et 10 septembre fasse progresser la réforme de la Banque mondiale. Alors que les enjeux de sobriété pour la transition étaient surtout portés par le Giec ou les ONG du Nord, la mise à l’agenda du G20 par le gouvernement indien de la question des modes de vie n’a pas débouché sur une dynamique internationale notable.

Autre fait marquant, l’accueil par le Maroc des assemblées annuelles de la Banque et du FMI (Marrakech, du 9 au 15 octobre), première délocalisation de ces assemblées sur le continent africain. Le Maroc accueillera aussi, sous l’égide du Policy Centre for the New South (think tank marocain de premier plan, dont le nom sonne comme un programme) et du Centre for Global Development (think tank américain, fondamental sur les sujets de développement), un grand forum des think tanks du Sud global (Global South) sur la réforme du système financier international (11 et 12 septembre, Rabat).

Le président brésilien Lula s’est emparé de l’agenda international pour scander une série d’étapes tout au long de son mandat, depuis le sommet de l’organisation du traité de coopération amazonienne début août à Belém, en passant par la présidence brésilienne du G20 en 2024, puis l’accueil de la COP 30 sur le climat en Amazonie en 2025. Entrelaçant les enjeux de financement des besoins d’investissement au Sud et ceux de protection du climat et de la biodiversité, cette séquence permet au Brésil de se situer à la fois comme un partenaire des pays occidentaux et comme un des promoteurs d’alternatives développées avec les autres pays du Sud (la New Development Bank présidée par l’ancienne présidente Dilma Rousseff, l’annonce de la dédollarisation des échanges commerciaux Sud/Sud, etc.). Il sera essentiel que le Brésil réussisse à faire l’accord sur le fait que les demandes de soutien financier pour l’Amazonie, grande réserve de biodiversité et de carbone, ne sont pas des compensations pour non-développement, mais des investissements, pour un développement durable des populations autochtones et des communautés locales, préservant biodiversité et stocks de carbone. 

Climat et développement : un seul et même agenda ?

La COP 28 sur le climat, sous présidence émiratie, est également devenue une étape clé dans la négociation sur la réforme du système financier international : par quelles nouvelles contributions et nouvelles taxes pourrait-on financer le nouveau fonds créé à la COP 27 sur les pertes et préjudices ? Comment accélérer le déploiement des énergies renouvelables dans les pays les plus pauvres, où l’accès à l’électricité est attendu comme un déclencheur de trajectoires d’industrialisation et de développement, mais où les taux d’intérêt pour ces projets sont jusqu’à six fois plus importants que pour les mêmes projets dans les pays industrialisés ? À la manœuvre de l’agenda de cette COP, la position des États du Golfe, producteurs de pétrole et potentiels grands pourvoyeurs de financement, sera scrutée avec beaucoup d’attention : y a-t-il la moindre chance que ce rôle de présidence les fasse accepter de promouvoir dans les négociations une ambition collective de sortie de l’ensemble des énergies fossiles ? Les solutions de financement qu’ils mettront en avant seront-elles intégrées dans le cadre multilatéral existant ou mises au service de la construction d’alternatives totalement distinctes ?

Si en matière de défense et sécurité, et de commerce, les relations entre Chine et États-Unis sont très conflictuelles, la Chine a donné des signes de son soutien aux institutions multilatérales, dans le champ environnemental, notamment à la COP 15 sur la biodiversité en décembre dernier. Cet automne chargé où s’entrecroisent le climat et le financement du développement sera un moment clé pour scruter si elle endosse un nouveau rôle de facilitateur dans la réforme des institutions existantes plutôt que de créer d’autres dynamiques ailleurs.

Quelle place pour l’Europe ?

Que signifie tout cela pour l’Europe ? L’Union européenne, et en particulier la France en son sein, est en train d’accepter la réduction inéluctable de son importance économique, démographique, et politique. Ce processus passe par des mises au pilori, liées notamment à l’histoire coloniale, qui peuvent être difficiles à accepter, et qui touchent tous les champs de coopération, y compris l’environnement. Les ouvertures dont elle pourra prendre l’initiative pour donner plus de place au nouveau Sud dans la gouvernance du monde, et notamment en matière financière, seront déterminantes pour éviter l’affrontement et renouveler le dialogue. Elles sont d’ailleurs inévitables si on veut que les nouveaux contributeurs, parmi les émergents les plus riches, s’inscrivent dans les institutions existantes de solidarité internationale plutôt que de créer leur propre système financier international.