La cinquantième réunion des organes subsidiaires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) s’est réunie à Bonn du 17 au 27 juin dernier1 . Après l’effort intense de négociation des règles de mise en œuvre de l’Accord de Paris adoptées à Katowice (décembre 2018) lors de la COP 24, cette session centrée sur un plus petit nombre de sujets techniques n’a pas vu de grandes avancées, mais permis de révéler des enjeux et tensions politiques qui seront clés pour le succès du Sommet climat en septembre à New York, placé sous l’égide du secrétaire général de l’ONU, et de la COP 25 qui se tiendra au Chili deux mois plus tard.

  • 1Les organes subsidiaires (organe de conseil scientifique et technologique, ou SBSTA ; organe de mise en œuvre, ou SBI) se réunissent traditionnellement deux fois par an, au siège de la CCNUCC à Bonn en juin, et en parallèle des COP en fin d’année.

La session de négociations de Bonn a permis à divers pays, notamment la présidence chilienne, d’échanger informellement sur le thème de l’ambition2 , en amont du G7 sous présidence française à Biarritz en août, du sommet de l’action climatique à New York et de la réunion reconstitution du Fonds vert pour le climat, autant d’échéances cruciales de la rentrée pour préparer un relèvement ambitieux des contributions nationales l’an prochain. Sur le plan formel, cette session devait aussi poser des jalons techniques, mais elle n’a pas eu le succès espéré. Ce billet décrypte plus spécifiquement trois thèmes à l’agenda : les règles de mise en œuvre des marchés carbone internationaux, la prise en considération du rapport 1,5°C du Giec et la revue du mécanisme de Varsovie dédié aux pertes et préjudices.

Mécanismes de marchés carbone

L’Accord de Paris (Art. 6) permet aux pays qui le souhaitent de s’engager dans des « coopérations » qui donnent lieu à des réductions d’émissions de CO2, lesquelles peuvent ensuite être transférées au niveau international. Héritière des mécanismes de crédits carbone internationaux crées sous le protocole de Kyoto, l’approche de « compensation » doit être réinventée dans une ère où tous les pays (et non seulement les plus développés) sont engagés via l’Accord de Paris dans la comptabilisation et la réduction de leurs émissions. Les règles d’application de cet article sont les seules qui n’ont pas été adoptées par la CCNUCC au sein du Katowice Package, dont nous décryptons par ailleurs les enjeux et implications pour le cadre de transparence ici. Malgré un temps de négociation disponible plus important, certains négociateurs ont refusé de repartir de la base de discussion établie à Katowice, et n’ont collectivement pas réussi à se mettre d’accord sur une nouvelle version du texte qui servirait de point de départ des négociations au Chili lors de la COP 25. Ce manque de clarté obère la possibilité de faire remonter des compromis possibles au niveau politique d’ici à la réunion ministérielle de pré-COP qui se tiendra au Costa Rica, ou à la COP25, et laisse la possibilité d’une session supplémentaire de négociation ciblée, comme cela avait été le cas l’an passé à Bangkok.

Au cœur de ces discussions se trouve l’enjeu d’assurer l’intégrité environnementale et d’éviter les doubles comptages lors des transferts internationaux de crédits carbone, mais aussi le statut des mécanismes hérités de Kyoto comme le mécanisme de développement propre (MDP)3 . Sans des règles robustes, ces mécanismes pourraient contribuer à gonfler artificiellement les progrès réalisés par les États en matière de réduction d’émissions, et ainsi fausser les exercices institutionnels comme académiques d’évaluation et de mesure, ou à inonder le marché de crédits de sorte à faire baisser leur prix et rendre le système inopérant.

Rapport spécial du Giec sur les impacts d’un réchauffement de 1,5°C4

À la suite de la réception tiède du rapport 1,5°C à la COP 24, la réunion de Bonn offrait une nouvelle opportunité pour reconnaître formellement la nécessité pour les pays d’utiliser les travaux du Giec pour informer le relèvement de leurs contributions en 2020, que ce soit via leur engagements à 2030 (NDCs) ou leurs stratégies de développement à 2050. Las, le compromis obtenu parvient à peine à reconnaître que des échanges de points de vue ont eu lieu, et que le rapport du Giec représente le meilleur état possible des connaissances scientifiques sur le sujet (best available science). L’Arabie saoudite et l’Iran ont activement œuvré pour que ces conclusions restent largement procédurales et n’opèrent aucun lien explicite avec la soumission de nouveaux engagements en 2020. Néanmoins la reconnaissance formelle du rapport comme best available science peut servir d’aiguillon implicite, car l’Accord de Paris (Art. 4.1) encourage les pays à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre « conformément aux meilleures données scientifiques disponibles ».

S’il n’est malheureusement pas étonnant, ce résultat consacre les capacités de blocage formel d’une minorité, qui souhaitait même, comme en témoigne une version provisoire (voir art. 7), semer le doute sur la solidité des conclusions du Giec et décourager leur utilisation par les États. Mais cette tension a aussi permis pour l’immense majorité des pays de réaffirmer leur attachement au rôle de la science comme aiguillon de l’action climatique ; charge à eux de joindre les actes aux paroles en 2020. 

Pertes et préjudices

L’Accord de Paris (Art. 8), reconnaissant que les manifestations du changement climatique (évènements extrêmes et phénomènes qui se manifestent lentement [slow onset events]) peuvent causer des pertes et des dommages à la fois matériels/financiers et immatériels irréversibles, ouvre un champ de coopération international distinct de l’adaptation pour les prévenir et les atténuer ; il ferme en revanche la porte à toute notion de responsabilité (à qui imputer les dégâts) ou d’indemnisation (à qui demander réparation). Le « Mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices liés aux incidences des changements climatiques » a été créé, à l’appel des pays en développement, et se cantonne actuellement à un rôle de collecte et diffusion d’informations sur le thème ; après cinq ans d’activité, le mécanisme de Varsovie doit être révisé à la COP 25. La discussion à Bonn a donc porté sur les termes de référence de cette revue ; le texte final précise les moyens et le calendrier de cette revue, mais reste à dessein assez vague quant à ses objectifs, masquant les débats animés sur ce sujet. 

Outre une évaluation de l'efficacité de la structure de gouvernance globale du mécanisme, nombre de pays en développement veulent utiliser cette revue pour permettre à ce mécanisme de devenir un outil de financement dédié, additionnel aux fonds alloués à l’adaptation, en considérant que le manque de progrès collectif sur l’atténuation va mécaniquement augmenter la part des impacts du changement climatique auxquels ils ne pourront faire face.

Les résistances visibles lors de cette session de la CCNUCC témoignent du défi que représente l’atteinte de la neutralité carbone à l’échelle mondiale en 2050, un objectif que le Giec a rendu incontournable pour limiter le réchauffement à 1,5°C et auquel les pays devront répondre l’an prochain en révisant la contribution qu’ils avaient chacun présentée en amont de la COP 21 à Paris. Pour que des processus politiques nationaux de relèvement de l’ambition soient prêts à porter leurs fruits en 2020 avec de nouveaux engagements, les moments clés de cet automne devront imprimer une importante émulation entre États, avec l’appui, voire la pression d’autres acteurs comme le secteur privé ou les collectivités territoriales (villes, régions, etc.) et des mobilisations citoyennes. Cela inclut le Sommet action climat de New York ou la réunion de reconstitution du Fonds vert pour le climat qui cherchent chacun, à leur manière, à illustrer, à encourager ou rendre possible une action climatique ambitieuse.