La présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) commence à un moment charnière pour le Pacte vert. À mi-mandat de la Commission et du Parlement européens, le rôle de la présidence sera d’abord d’organiser les débats afin de faire émerger les compromis entre États membres sur des propositions législatives importantes, en particulier le paquet législatif « Fit for 55 ». Cette présidence pourra également impulser un nécessaire renforcement de la politique de coopération de l’UE mettant le Pacte vert au centre de la diplomatie européenne, et mettre à l’agenda des sujets de plus long terme pour réussir la transition écologique, parmi lesquels la poursuite des investissements verts issus du plan de relance européen via le verdissement du cadre macroéconomique européen ou la transformation du modèle agricole européen vers une agriculture plus durable.

Des objectifs climatiques au cœur de la PFUE

La première tâche de la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne que la France exerce pour six mois est d’organiser la délibération entre les gouvernements des États membres pour trouver des compromis sur les propositions législatives européennes, compromis qui seront ensuite mis en négociation avec le Parlement européen. Cette présidence arrive aussi alors que les négociations sur le paquet de mesures pour le renforcement de l’objectif climatique de l’UE de -55 % en 2030 entrent dans le vif du sujet et qu’il reste du chemin pour faire converger les positions des États membres. Faire progresser les douze propositions législatives sans perdre le niveau d’ambition est une urgence pour deux raisons. D’une part, le calendrier est serré, certaines mesures sont prévues pour entrer en vigueur en 2023 et beaucoup d’entre elles à partir de 2025, condition pour contribuer à la transformation de l’économie du continent et infléchir la trajectoire des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030. D’autre part, l’Union européenne devra rapidement se projeter sur l’après-2030. En effet, au même titre que les autres Parties, elle s’est engagée lors de la COP 26 à revenir dès 2025 avec une contribution (NDC) pour 2035, discussion qu’il faudra prendre le temps d’informer. Pour ces deux raisons, ne pas prendre de retard et faire progresser l’ensemble du paquet doit être au cœur des priorités des six prochains mois. Deux sujets promettent des discussions animées : la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM) et la tarification des énergies fossiles.

La priorité affichée de la présidence française pour aboutir à un compromis sur le mécanisme d’ajustement aux frontières peut servir de catalyseur pour faire avancer le paquet de mesures à condition de l’utiliser pour faire avancer des compromis sur l’ensemble des dossiers plutôt que d’essayer d’obtenir à tout prix des résultats à court terme sur ce dossier uniquement, au risque d’aboutir à un compromis minimal. Les États membres ont dans leur ensemble renforcé leur soutien à cette mesure et il sera important de tirer profit d’un accord de principe plus large pour améliorer la faisabilité de la mesure, sécuriser des progrès concrets sur des sujets restant en discussion (couverture sectorielle, timing de l’entrée en vigueur du mécanisme et de l’abaissement des allocations gratuites, traitement des exportations européennes, utilisation des recettes) et renforcer le travail diplomatique vis-à-vis des partenaires de l’UE qui reste en grande partie à bâtir.

Autre sujet épineux à résoudre, la question de l’équité de la transition et celle du rythme d’ajustement du prix des énergies fossiles. La crise actuelle le rappelle bien, les changements de prix peuvent avoir des conséquences majeures sur le portefeuille des ménages en particulier des plus précaires. Cette question se pose tout particulièrement au regard de la proposition de création d’un système d’échange de quotas sur les émissions de CO2 (EU ETS) du bâtiment et des transports qui impactera directement le prix des carburants payés par le consommateur final. La Commission a proposé d’utiliser les revenus de la vente des quotas pour accompagner l’impact via la création du Fonds social pour le climat. Des mesures permettant de contrôler le niveau de prix de ce nouveau système et un avancement du calendrier du Fonds social pour le climat afin de soutenir dès aujourd’hui l’accélération de la rénovation énergétique et de l’électrification des transports pourraient permettre de lever des réticences qui restent fortes parmi les États membres et au parlement Européen. La hausse des recettes de l’ETS existant ou une prolongation du plan de relance européen pourraient par exemple y contribuer. Enfin, il faudra inclure dans ce paquet global comprenant les mesures d’accompagnement l’impact de la directive sur la réforme de la taxation de l’énergie qui propose d’aligner vers le haut la fiscalité minimum des principales énergies fossiles. Faire disparaître les exemptions, en particulier sur le kérosène fossile, est une composante essentielle de tout pacte juste sur l’évolution du prix des énergies fossiles.

L’action extérieure de l’UE

Sur le plan international, la PFUE peut être un moment pour clarifier la vision de l’offre de financement verte et durable de l’UE. Les pays européens sont le premier financeur mondial du développement, mais les actions menées manquent de cohérence et de lisibilité. Or, la COP 26 l’a montré, la déception des pays en développement sur l’engagement financier des pays développés mine la confiance dans le cadre multilatéral. L’échéance de la COP 15 sur la biodiversité prévue à la fin de ce premier semestre accentue cette nécessité pour l’Europe d’assumer un leadership global, et d’annoncer pendant la PFUE des engagements plus ambitieux dans le soutien à la biodiversité dans les pays en développement. L’enjeu pour l’Union est de proposer une offre positive et claire basée sur les principes du Pacte vert, permettant à ses partenaires d’avancer dans l’atteinte des Objectifs de développement durable de l’Agenda 2030, d’autant plus que pour l’heure, la perception extérieure du Pacte vert se résume souvent à la volonté d’imposer un protectionnisme vert illustré par le CBAM. Les solutions compatibles avec les objectifs du Pacte vert dans tous les secteurs et la poursuite des ODD devraient permettre à l’UE et ses acteurs économiques de se développer. À ce titre, le Sommet Union Africaine-Union Européenne de février prochain devrait constituer une étape importante pour renforcer les liens économiques entre les deux continents sous l’angle de la durabilité au sens de ses trois piliers et bâtir des ponts entre le développement humain, le climat et l’environnement.
 
La PFUE est aussi le moment pour mettre sur la table des enjeux de long terme importants pour réussir la transition écologique. Un premier sujet est celui du cadre macroéconomique européen et de son verdissement. Le plan de relance européen a permis d’augmenter les investissements verts dans de nombreux États membres, mais qu’en est-il à plus long terme, au-delà de 2023 ? Faut-il poursuivre des capacités d’investissements communes prenant la suite de la facilité pour la reprise et la résilience européenne ? Est-il préférable de réformer le Pacte de stabilité et croissance pour inclure des critères de performance environnementale ou donner un statut particulier aux investissements contribuant à la transition écologique selon une règle verte ? 

Enfin, un deuxième sujet de long terme est celui de la transformation du modèle agricole européen en cohérence avec les objectifs environnementaux du Pacte vert tels que présentés dans la stratégie de la Ferme à la fourchette. La PFUE pourrait permettre de pousser sur trois volets clés importants de ces discussions. Le premier concerne l’évaluation des plans stratégiques nationaux (PSN) pour la mise en œuvre de la PAC. Faciliter leur discussion de manière ouverte et transparente au niveau du Conseil et du Parlement – outre les évaluations qui seront rendues par la Commission – sera nécessaire pour assurer un alignement intra-européen et un renforcement progressif de l’ambition de ces plans (dans une logique proche de celle de l’Accord de Paris). Deuxième sujet clé sur laquelle la PFUE devra permettre d’avancer : la révision de la directive sur l’usage durable des pesticides, en cours. Les États membres ont besoin d’un cadre commun ambitieux en la matière pour faciliter la transition vers une agriculture moins dépendante des intrants de synthèse. Enfin, l’accélération des réflexions sur l’établissement d’un cadre européen pour les puits carbone (naturels ou artificiels) peut contribuer au financement de la transition agroécologique, à condition de les orienter vers des changements de pratique agricoles multifonctionnelles au-delà d’une logique d’efficience carbone stricte et d'inclure le financement de transitions des filières.