La très attendue proposition de plan de relance dévoilée le 27 mai par la Commission européenne est bien la révolution annoncée par l’initiative franco-allemande du 18 mai dernier. Baptisée « Next Generation EU », ce nouvel instrument rompt avec le tabou de l’endettement commun des États membres en proposant un emprunt commun de 750 milliards d’euros pour relancer l’économie et investir dans l’avenir. D’ampleur significative, seul le temps permettra de dire s’il sera suffisant pour atténuer les effets d’une crise dont les conséquences économiques restent encore très incertaines. Permettra-t-il d’accélérer la transition écologique de l’UE ?

Sujet d’intenses débats depuis le début de la crise, la nécessité d’une relance plus verte orientée vers le respect des objectifs environnementaux et de neutralité climatique se retrouve bien au cœur du plan de relance européen annoncé cette semaine. L’accélération du Pacte vert (Green Deal) est présentée comme un des deux piliers qui doit guider la relance économique européenne, aux côtés de la transition numérique. Cette priorité affichée est à saluer : elle permet d’ancrer les anticipations des acteurs économiques de l’UE et de fixer un cadre à la relance économique compatible avec les objectifs environnementaux européens, en particulier l’atteinte de l’objectif de neutralité climatique pour le continent que l’UE est en train d’adopter dans le cadre de sa première loi climat en discussion, mais aussi les objectifs proposés des stratégies « Biodiversité » et « De la fourche à la fourchette ». Cette priorité laisse aussi entendre qu’il est possible d’éviter les erreurs du passé où les plans de relance économiques se sont traduits par une reprise rapide de la hausse des émissions de gaz à effet de serre. Condition nécessaire donc, mais non suffisante. En effet, si le cap a été fixé et l’argent de la relance mis sur la table, c’est bien l’utilisation des fonds qui permettra de dire si l’essai d’une relance plus verte a été transformé.

Dans le détail, les 750 milliards (sur la période 2021 – 2024) proposés par la Commission, qui viennent s’additionner au budget européen en discussion avant la crise, peuvent être scindés en trois blocs : (1) un premier vient renforcer des actions déjà présentes dans le budget en discussion ; certains fonds, clés pour la réussite de la transition écologique, sont significativement renforcés, comme le fonds pour l’innovation (+13,6 milliards), le plan d’investissement (+30,3 milliards), le deuxième pilier de la politique agricole commune (+15 milliards1 ) ou le tout nouveau mécanisme de transition juste (multiplié par 5 pour atteindre 40 milliards d’euros) pour les régions dont les activités économiques sont affectées par la transition ; (2) un deuxième bloc (26 milliards d’euros) est dédié à la création d’un tout nouvel instrument d’investissement en actions dans les entreprises stratégiques. Changement d’approche majeur pour l’UE, ce fonds dont la force de frappe sera complétée par des levées de fonds sur le marché financier pourrait servir de filet de sécurité, y compris pour des entreprises clés pour la transition écologique ; (3) mais c’est bien le troisième bloc (560 milliards d’euros, dont 310 de transferts directs au budget des États) de la nouvelle facilité pour la relance européenne mise à disposition des États membres qui constitue le morceau important. Quelle boussole pour l’utilisation de ces fonds ?

La Commission a émis de premières propositions pour rendre l’utilisation de ces fonds plus compatibles avec la transition écologique. Elle propose de prendre en compte les plans nationaux énergie-climat (PNEC) et d’appliquer un serment du do-no-harm (« pas d’impact négatif ») pour les investissements publics qui pour s’opérationnaliser devrait s’inspirer des travaux de la taxonomie européenne en cours de définition. Le soin de décider si des conditionnalités environnementales plus fortes doivent être liées à l’utilisation de ces fonds est laissé au Conseil et au Parlement européens, qui devront se positionner rapidement sur la proposition de la Commission. Les États dits « frugaux », attachés à la mise en place de conditions à l’utilisation de ces fonds mais aussi généralement en pointe sur les questions environnementales, pourraient faire du renforcement de conditionnalités environnementales un point d’atterrissage des discussions du Conseil. Outre l’applicabilité du principe do-no-harm, une conditionnalité plus ambitieuse pourrait être un fléchage plus explicite d’une partie de ces fonds sur certains secteurs clés en lien avec les priorités des PNEC (rénovation du bâtiment, éolien en mer, hydrogène), évoqué dans une version fuitée du plan de relance européen mais non retenu dans la version finale. Enfin, au-delà de la fixation de conditionnalités environnementales, la Commission donne un rôle central, pour influencer l’utilisation de ces fonds pour la relance économique, au chantier de l’intégration des objectifs du développement durable dans le Semestre européen2 , qui a commencé à prendre effet en 2020 en adjoignant aux critères macroéconomiques généraux faisant l’objet d’un dialogue entre Commission et États membres une série d’indicateurs de progrès sur les principales transformations liées à l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD).  

Ce pilotage « par le haut » et ces éventuelles conditionnalités ne manqueront pas de faire l’objet de débats, mais force est de constater que la balle est bien aujourd’hui dans le camp des États membres. C’est eux qui sont aujourd’hui aux manettes pour organiser les plans de relance sectoriels, dont les annonces commencent déjà à se succéder sans qu’apparaisse suffisamment clairement la coordination entre secteurs et entre pays : la possibilité d’organiser leur alignement avec le plan européen et ses objectifs écologiques vient donc à point nommé. C’est aussi aux États d’organiser la compatibilité de ces plans avec les politiques de transition en fixant les cadres réglementaires et politiques publiques qui rendront la relance plus ou moins compatible avec les priorités environnementales. Que les États feront-ils de l’argent frais mis à disposition par l’UE ? Et dans quelle mesure ces fonds viendront-ils renforcer ceux déjà dédiés au climat3 ? Même sans conditionnalité environnementale forte sur l’utilisation de ces fonds, une saine pression par les pairs peut être un puissant moteur pour enclencher un cercle vertueux poussant à renforcer le soutien aux secteurs de la transition en Europe. La mobilisation des experts et de la société civile pour évaluer cet alignement sera aussi un élément clé, et des propositions ont été faites en ce sens. C’est bien là tout l’enjeu des prochaines semaines et mois pour accélérer la transition écologique du continent et concrétiser le Pacte vert au-delà des lignes budgétaires européennes.