Le traité international sur les ressources génétiques, adopté en 2001 et entré en application en juin 2004, est le premier accord multilatéral qui propose une solution à l'épineuse question de la gestion des échanges de ressources génétiques et des avantages qui résultent de leur utilisation.

Cette synthèse présente les origines du débat liée à l'utilisation et la conservation des ressources génétiques agricoles et des différentes négociations qui ont permis d'aboutir à l'adoption du traité international sur les ressources génétiques.

 

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Le traité international sur les ressources génétiques de la FAO, adopté en 2001 et entré en application en juin 2004, est le premier accord multilatéral qui propose une solution à l'épineuse question de la gestion des échanges de ressources génétiques et des avantages qui résultent de leur utilisation.

Les origines : d’une querelle scientifique à un débat de gouvernance

Cet accord a été obtenu après de longues et âpres discussions dont l’origine remonte à la fin des années 1960 lorsque la FAO conjointe- ment avec l’International Biological Program (IBP) organise une conférence dite technique consacrée à l’exploration, l’utilisation et la con- servation des ressources génétiques agricoles (RGA). Pour les scientifiques qui l’ont initiée, cette conférence devait servir à faire recon- naître l’importance de l’érosion des RGA et la nécessité de la mise en place d’un réseau international consacré à ces questions. Mais alors que le constat de l’érosion génétique ne fait plus l’objet d’aucune controverse entre les scientifiques, les moyens d’y répondre diver- gent lors de cette conférence.

La querelle scientifique

Schématiquement, le débat se cristallise sur la question de savoir quelles RGA doivent être collectées et comment. Un premier courant utilitariste prône une conservation ex situ des ressources génétiques des espèces cultivées majeures et de leurs parents sauvages alors que le second courant issu de l’écologie des popula- tions juge la conservation in situ primordiale y compris des espèces n’ayant qu’un intérêt très local voire aucun intérêt dans l’immédiat. Sans véritablement prendre de position définitive, le rapport de la conférence met en avant, outre des raisons scientifiques, des raisons pratiques (en termes de temps et d’argent) pour justifier le fait de privilégier la première option au détri- ment de la seconde. Mais derrière cette querelle de scientifiques se cachent déjà des enjeux plus larges que l’on va retrouver au cours des décen- nies suivantes :

• enjeux techniques : les pratiques existantes de sélection parmi la communauté des généticiens ont joué en faveur de la conservation ex situ.1 ;

• enjeux commerciaux pour les firmes semencières privées qui voient l’utilité directe de collections ex situ utilisables en l’état et répertoriées ;

• enjeux politiques pour les États-Unis, cer- tains gouvernements des pays du Sud et la FAO puisque la conservation ex situ permet de faire le lien directement avec les problèmes de pro- duction agricole (selon la pratique orthodoxe de l’agronomie et de la génétique à l’époque) et de mettre en place la révolution verte qui apparaît à ce moment là comme le seul moyen de résou- dre les problèmes de sécurité alimentaire2.

Mais indépendamment des raisons affichées ou sous-jacentes (humanitaires, stratégiques ou commerciales), on retrouve surtout derrière ce débat celui du mode de gouvernance du réseau de conservation des RGA.

Le réseau du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR), créé en en 1971, est une émanation concrète de ce débat et consacre le choix de la conserva- tion ex situ. Mais en optant pour ce modèle de réseau de banques de gènes géré par les pays donateurs (essentiellement développés) qui met l’accent sur la valeur agro-économique des RGA, le CGIAR va ouvrir la voie à des critiques d’ordre politique – de la part d’ONG dans un premier temps puis de certains pays en déve- loppement ensuite – qui vont trouver un lieu d’expression au sein de la FAO.

En novembre 1979, au cours du Conseil de la FAO, le Mexique (qui héberge sur son territoire le CIMMYT, centre de recherche international sur le maïs et le blé ) appuyé par d’autres pays du Sud soulève les questions 1) du mode de gou- vernance choisi à travers le problème du statut des collections de matériel génétique collec- tées par l’International Board for Plant Genetic Resources (IBPGR) et les autres centres inter- nationaux de recherche agronomique (CIRA) ; 2) du choix du modèle ex situ qui exclue de fait (en raison de barrières technologiques et finan- cières) la capacité des pays du Sud à tirer profit des ressources génétiques collectées et amélio- rées par le réseau mis en place.

Par ailleurs, ils remettent en cause l’équité d’un système dans lequel les flux de RGA allant du Sud vers les pays industrialisés sont con- sidérés comme des éléments d’un patrimoine commun de l’humanité et leur reviennent en tant que marchandises. D’un côté, les pays exportateurs des variétés améliorées défen- dent l’existence d’un mécanisme de protection intellectuelle (l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales étant la référence pour les obtenteurs) en compensa- tion des investissements réalisés pour mettre au point ces nouvelles variétés. De l’autre côté, les pays en développement soulignent que ce travail de valorisation n’aurait pas été possible si eux-mêmes n’avaient pas fourni la matière première, c’est-à-dire les ressources génétiques. Ils veulent obtenir une compensation pour cet apport : c’est le droit des agriculteurs.

Le problème des échanges de RGA est donc présenté comme une lutte de pouvoir entre des nations aux capacités inégales d’accès et d’utilisation des ressources génétiques, préfi- gurant ce que sera la discussion – encore non résolue – sur l’accès et le partage des avantages au sein de la Convention sur la diversité biolo- gique (CDB).

C’est dans ce contexte que naît en 1983, après quatre années de négociations, l’Engagement international sur les ressources phytogénéti- ques (EI). De nature volontaire, il est basé sur le principe que « les ressources phytogénétiques sont le patrimoine commun de l’humanité et doivent être préservées et librement accessibles pour être utilisées dans l’intérêt des généra- tions présentes et futures ». 113 pays adhérent alors à l’Engagement international, à l’excep- tion notable du Brésil, du Canada, de la Chine, du Japon, de la Malaisie et des États-Unis.

Entre 1995 et 2001, les pays négocient la révi- sion de l’Engagement afin notamment de l’har- moniser avec le concept de souveraineté natio- nale issu de la CDB et de tenter de concrétiser le concept de « droit des agriculteurs ». Ces négo- ciations ont abouti au mois de novembre 2001 à l’adoption du traité international, comme accord international contraignant réglant la conservation et l’emploi durables des ressour- ces phytogénétiques pour l’agriculture et l’ali- mentation. En sont exclues l’ensemble des utilisations chimiques et pharmaceutiques qui restent sous la réglementation de la CDB. Dans l’exercice de leurs droits souverains conformé- ment à la CDB adoptée entre temps en 1992, les États signataires s’engagent à établir un sys- tème multilatéral facilitant l’accès aux ressour- ces pour une liste de plantes cultivées établie en fonction de critères de sécurité alimentaire et d’interdépendance. Ces plantes dites « de l’an- nexe I » sont au nombre de 35, couvrant 90 % des besoins alimentaires mondiaux.

Le rôle clef des collections ex situ de ressources phytogénétiques

Les collections ex situ de ressources phytogé- nétiques ont été en première ligne de l’émer- gence de l’Engagement international et donc du traité international.

Les activités réalisées par les collections ex situ de RGA peuvent être réparties en six domaines différents : 1) la collecte et le stoc- kage ; 2) la caractérisation, la multiplication et l’évaluation ; 3) l’amélioration variétale (pré- sélection) ; 4) la gestion de données et la four- niture d’informations, 5) la mise à disposition/ vente de RGA ; 6) la recherche et la formation.

Concernant les travaux d’évaluation, il faut souligner que cette activité est nécessaire pour que les RGA soient utilisables par un sélection- neur. La valorisation du travail de sélection n’est en effet possible qu’à condition que l’éva- luation des qualités agronomiques des RGA soit effectuée. La caractérisation des RGA est l’infor- mation minimale enregistrée lors d’une acces- sion. Elle concerne les données de ‘passeport’ (données géographiques et botaniques) et les caractéristiques phénotypiques (caractères visi- bles à l’œil nu). Au-delà de ce minimum requis, on parle d’évaluation qui peut être soit préli- minaire (pré-sélection) consistant à identifier (en plein champ) des caractères d’intérêt pour les sélectionneurs soit d’évaluation ‘complète’ (in-depth) qui consiste essentiellement en un travail de laboratoire destiné à cribler les carac- tères de résistance à des pathogènes ou à des environnements particuliers suivi d’un travail en plein champ sous conditions appropriées.

Enfin, au sein même d’une unité physique de conservation, trois types de collections sont habituellement distinguées par les gestionnai- res de collection : les collections de base (col- lections de longue durée à vocation de sauve- garde), les collections actives et les collections de travail. Ces dernières se distinguent des collections actives dans la mesure où elles don- nent lieu à un travail spécifique sur le matériel stocké (évaluation, recherche appliquée ou fon- damentale) qui n’est pas destiné à être diffusé tant qu’il ne donne pas lieu à des résultats. Au final, seules les collections actives sont concer- nées par l’échange. Ce qui est échangé peut concerner du matériel physique, de l’informa- tion ajoutée par l’institution gestionnaire de la collection (comme par exemple l’évaluation du matériel) ou répertoriée dans une base de données.

Les collections sont le lieu par excellence où se cristallise la pluralité des enjeux nouveaux autour de la recherche sur le vivant. Comme le notent Milanovic et Pontille dans leur étude sur les biobanques, les activités de mise en collec- tion s’inscrivent en effet au carrefour d’enjeux à la fois académiques (recherche, enseignement), politiques (sécurité alimentaire, conservation de la diversité biologique), économiques (amé- lioration variétale), développementaux (coopé- ration internationale), juridiques, organisation- nels et éthiques (réglementations, lois, guides de bonnes pratiques). Ces mêmes auteurs sou- lignent que « l’essor des (...) activités de stoc- kage s’accompagne d’une large réflexion juri- dique et éthique pour encadrer les pratiques de mise en banque du vivant, rationaliser la struc- turation et la gestion des collections, et réguler les conditions d’accès aux échantillons et aux données associées ». Comme on l’a vu lors des crises de la grippe aviaire ou du SRAS, le fait que la recherche sur le vivant porte de plus en plus sur des enjeux globaux (sécurité alimen- taire, conservation de la biodiversité, change- ment climatique, santé humaine, etc.), requiert des mécanismes de coordination international efficace pour l’échange de matériel et d’infor- mation au-delà des cercles de ceux qui les ont rassemblées et au-delà même des juridictions nationales. Au sein du traité international, deux éléments de cette coordination sont par- ticulièrement présents. Premièrement la ques- tion du statut juridique des collections ex situ. À l’exception des collections détenues par les CIRA, la question reste non résolue. Deuxiè- mement, les procédures d’échanges de maté- riel physique. Ici, par contre le traité prévoit déjà un mécanisme sous la forme d’un accord d’échange de matériel standardisé

L’accord de transfert de matériel standardisé (SMTA) au cœur du dispositif

La standardisation des accords de transfert de matériel a été au centre d’importants débats au sein de la négociation du traité international.

L’idée première est de réduire les coûts de transactions. En effet, l’expérience montre que la négociation de contrat d’accès de matériel biologique est souvent longue et laborieuse, ce qui accroît le coût des recherches et con- duit parfois à renoncer à des projets. Le SMTA entend faciliter la négociation en la réduisant à une série de choix et en proposant pour cha- que choix une clause type pour chacune des options possibles. Par ailleurs, le SMTA per- met également d’accroître la sécurité juridique des transactions en systématisant le recours à un contrat et en prévoyant des procédures de règlement des litiges. De telles idées avaient déjà été explorées par certains groupes d’acteurs. Ainsi en France, peut-on signaler le logiciel Gene-Pi, mis en place par le Centre de coopération en recherche agronomique pour le développement (Cirad), qui permettait à la suite d’un questionnaire à choix multiple, d’aboutir à une forme spécifique d’accord de transfert de matériel. Plus de 250 institutions ont également adopté depuis 1995 le UBMTA (Uniform Biological Materials Transfer Agree- ment) mis au point par le National Institutes of Health (NIH) des États-Unis.

Toutefois, le SMTA est le premier mécanisme de standardisation contenu dans un traité mul- tilatéral. Un tel résultat s’explique par le fait qu’il s’inscrit dans une démarche particulière où l’on insistait sur le caractère spécifique des ressources génétiques agricoles. Outre des caractéristiques techniques propres à ces ressources (diversité façonnée par l’homme, importance de la diversité intra-spécifique pour l’amélioration, difficulté de déterminer l’origine, interdépendance forte entre pays), de nombreux analystes insistent également sur la vision et le bagage scientifique communs qui ont permis d’aboutir à un consensus sur les exigences minimales à inclure dans un tel Accord de transfert de matériel (ATM).

C’est donc dans une logique d’analyse coûts/ bénéfices (diminution des coûts de transaction) et de spécificités des actifs concernés que réside la principale justification d’un tel dispositif.

Pourtant, s’en tenir à cette seule vision, trop sectorielle et trop statique, semble insuffisant pour atteindre les objectifs affichés par ce traité de ne pas s’en tenir aux seuls échanges des RGA mentionnés dans l’annexe I et pour refléter les pratiques réelles des échanges de RGA qui ne font pas intervenir que du maté- riel physique.

Bien que standardisé dans ses grandes lignes, le SMTA doit être vu comme un moyen d’octroyer suffisamment de marge de manœu- vre dans sa mise en œuvre pour permettre un apprentissage social à d’autres RGA, à d’autres utilisateurs et à d’autres objets que la seule composante physique du matériel échangé.

Ainsi, les échanges effectués par les collec- tions sont loin de se limiter aux seules RGA de l’annexe I : d’autres ressources génétiques végétales bien sûr mais également des éléments pathogènes associés aux plantes (micro-orga- nismes), des ressources génétiques animales, aquatiques ou encore forestières sont quoti- diennement échangées. Par ailleurs, comme précédemment noté, les échanges sont loin de se limiter au seul matériel physique. L’informa- tion associée (liée au travail d’évaluation) ou les bases de données générées, bien que liées au matériel physique, ne sont pour le moment pas concernées par les ATM. Dans ces con- ditions, ne voir dans le SMTA qu’un outil de rationalisation sectoriel paraît peu adapté aux réalités du fonctionnement des collections et aux attentes plus larges de la communauté des agronomes. Dans ces conditions, un tel méca- nisme n’aura d’intérêt que s’il est accompagné d’une réflexion sur les effets qu’il aura sur l’en- vironnement institutionnel élargi dans lequel s’opèrent les échanges de RGA.

Nous pouvons illustrer concrètement ce que pourrait signifier cette manière de considérer les choses à travers la question de la traçabilité. Celle-ci se retrouve au cœur des discussions actuelles notamment au sein de la CDB avec le débat sur le certificat d’origine.

Tout d’abord, comme le note un policy brief du secrétariat du SGRP (System-wide Genetic Resources Program) de Bioversity Internatio- nal3, le SMTA constitue de facto un certificat de provenance (le système multilatéral), ce qui en termes de traçabilité constitue déjà un premier élément. En outre, la Commission européenne note fort justement dans sa notification de juin 2007 au secrétaire de la CDB4, que le fait d’offrir un cadre standardisé pour l’échange de matériel doit permettre de faciliter l’établisse- ment d’un lien direct avec un réseau électroni- que d’échange d’informations sur les ressour- ces génétiques et sur les conditions de leur utilisation. Dans ce sens, il faudra suivre avec intérêt l’initiative de Science Commons5 qui vise à utiliser la standardisation des accords de transfert de matériel pour établir, grâce aux technologies Internet, un lien entre une res- source génétique, l’information associée et les conditions juridiques de son usage. En simpli- fiant de la sorte les transactions et en rendant possible des interconnections avec des formes papiers (contrats, publications scientifiques) ou électroniques (bases de données) et entre différents systèmes de codification préexis- tants, une telle initiative peut fournir un cadre de généralisation intéressant au-delà de la sim- ple application d’un accord standard pour du matériel physique issu de l’annexe I du traité. C’est à cette condition que les collections ex situ pourront utiliser les mécanismes du traité pour permettre une utilisation de leur collection en direction de la communauté la plus large pos- sible, c’est-à-dire bien au-delà du petit groupe des personnes qui a rassemblé le matériel et enrichi les collections par leurs travaux ou des seuls intérêts économiques établis.

 

 

1 | La technique d’amé- lioration basée sur le développement en laboratoire d’un gène résistant à un patho- gène spécifique, bien que moins durable dans le temps (du fait de l’adaptation du pathogène au bout de quelques années de co-évolution avec le gène résistant), a été préférée par le monde scientifique à une méthode d’amé- lioration pluri-résis- tante (donc moins spécifique mais plus durable) basée sur une sélection en plein champ combinant les apports de la généti- que et de l’écologie. Ce choix s’est opéré pour des raisons scienti- fiques mais égale- ment économique, la résistance mono- pathogène convenant assez bien au mode de culture intensif en climat tempérée des pays industrialisés.

2 | Pour les États-Unis, la dimension géopo- litique de ‘Révolution verte contre révolu- tion rouge’ est évi- demment fortement présente.

3 | SGRP, 2007, A de facto certificate of source: the standard Materiel Transfer Agreement under the International Treaty, SGRP, Rome, Italy, 4 p.

4 | EU submission to the Secretariat of the CBD of 13 June on standardising choices in MTAs

5 | http://sciencecom- mons.org/projects/ licensing/

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