Un peu plus d’un an après l’adoption des Objectifs de développement durable (ODD) par l’ensemble des pays de la planète, l’Iddri a organisé le 26 octobre une conférence visant à analyser et évaluer leur impact en France et leur appropriation par les pouvoirs publics, la société civile et les entreprises. Un événement à l’occasion duquel l’Iddri a présenté son rapport « La France passera-t-elle le test des ODD ? », et des acteurs français sont intervenus aux côtés de représentants de think tanks et d’ONG européens. Morceaux choisis.

Si les ODD ont été adoptés par l’ensemble des pays de l’ONU, et que les 169 cibles à atteindre d’ici 2030 concernent aussi bien les pays industrialisés que les pays en développement, force est de constater que dans nombre de pays européens, ils sont encore trop souvent considérés comme un prolongement des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Dès lors, les engagements sont perçus comme s’appliquant d’abord aux pays du Sud, et ne concernant les pays du Nord que dans le cadre de leur politique de coopération internationale et de développement.

Etat des lieux face aux ODD : un premier diagnostic nécessaire à leur mise en oeuvre

Face à ce constat, le Stockholm Environment Institute et l’Iddri ont, chacun de leur côté, réalisé des études qui dressent un état des lieux de la Suède et de la France face aux ODD et qui ont été présentées lors de la conférence. Dans les deux cas, il apparaît que ces pays européens ont encore du chemin à parcourir pour atteindre l’ensemble des objectifs auxquels ils ont souscrit. Si la France par exemple est sur la bonne voie pour atteindre nombre de ces objectifs, elle doit rester vigilante pour de nombreux autres et pas des moindres : réduction de la pauvreté, inégalités scolaires, emploi, innovation, etc. En tout, ce sont 18 cibles problématiques qui ont été identifiées pour la France, et qui concernent aussi bien des enjeux environnementaux que sociaux et économiques. Ces états des lieux constituent des premiers étapes nécessaires à la mise en œuvre des ODD par les pays, afin d’identifier les cibles prioritaires, et tout en gardant à l’esprit que les cibles sont bien souvent interdépendantes. Pour autant, peu de pays ont déjà réalisé un tel diagnostic, impliquant l’ensemble des parties prenantes.

Mise en oeuvre des ODD : état des lieux en France

La consultation rapide réalisée par la France, en amont du premier rapport de mise en œuvre des ODD qu’elle a présenté lors du Forum politique de haut niveau (FPHN) de l’ONU en juillet dernier, a permis de dresser un état des lieux des politiques concourant à l’atteinte de chaque ODD, sans évaluer dans quelle mesure ces politiques seront suffisantes d’ici à 2030. À l’heure actuelle, le ministère de l’Environnement, en charge de la coordination sur les ODD, souhaite faire preuve de pédagogie, afin d’informer les citoyens et traduire concrètement les ODD dans leur vie de tous les jours, et réfléchit à la meilleure manière d’engager la société civile pour qu’elle soit acteur du changement sur le terrain.

Impulsion politique des ODD en Allemagne

En Allemagne, l’impulsion politique pour les ODD a été donnée par la chancelière elle-même, et le Conseil national du développement durable s’apprête à rendre un rapport sur leur mise en œuvre. À noter que ce conseil élabore des recommandations sur tous les enjeux du développement durable, sans se limiter aux questions environnementales comme le font d’autres institutions de même type dans d’autres pays. Pour autant, si ces recommandations sont reprises dans la stratégie nationale de développement durable de l’Allemagne, les ministres ne sont pas tenus – ce qui a été regretté lors de la conférence– de rendre des comptes sur leur mise en œuvre.

 

Appropriation des ODD par les sociétés civiles nationales : un niveau globalement insuffisant

Si la conférence a permis de montrer des différences entre pays sur la manière dont les gouvernements s’approprient les ODD, elle a aussi révélé des différences entre les sociétés civiles nationales.

Une coalition d'associations en Allemagne

Ainsi, en Allemagne, une coalition d’associations s’est constituée pour suivre les ODD, qui regroupe aussi bien des associations de solidarité internationale que d’autres travaillant sur des problématiques environnementales et sociales au niveau national et local. Cette coalition tente de faire le lien entre ces différentes thématiques et ces différentes échelles d’intervention. À l’occasion de la dernière réunion du FP HN, elle a publié un rapport apportant un contrepoint associatif au rapport officiel que l’Allemagne y a présenté, et le gouvernement allemand lui a même octroyé – comme aux entreprises – une partie de son temps de parole pour présenter son analyse critique.

Une appropriation très limitée en France

En France, l’appropriation par la société civile est apparue comme beaucoup plus limitée : à l’exception des associations de coopération, pour lesquelles les ODD s’inscrivent dans la continuité des OMD qu’elles ont eu le temps de s’approprier, les ODD ne sont pas encore utilisés concrètement par les associations ou syndicats, ne serait-ce que dans leurs campagnes ou actions de plaidoyer. Cette faible appropriation s’est également vérifiée sur l’un des nouveaux engagements qui figurent dans les ODD : la réduction des inégalités économiques. En adoptant les ODD, les pays se sont engagés à ce que le revenu des 40 % les plus pauvres croisse à un rythme supérieur au revenu moyen dans leur pays. Pour un pays comme la France, mais aussi certainement pour beaucoup d’autres, c’est la première fois qu’un tel engagement est pris. C’est l’un des 8 engagements des ODD identifiés comme nouveaux pour la France dans le rapport de l’Iddri, c’est à dire qui ne figurent jusqu’à présent dans aucune loi ou stratégie française. Pour autant, là encore, la société civile française ne s’est pas appropriée cet engagement, pas plus que la société civile britannique dont un représentant est intervenu pendant la conférence. Personne ne prévoit de se saisir de cette cible des ODD pour suivre les progrès des pays, renforcer les actions de plaidoyer et encore moins pour bâtir une coalition internationale d’associations. Bref, cet engagement et plus généralement les ODD sont passés inaperçus pour ces acteurs.

Appropriation des ODD par les entreprises : un niveau tout aussi variable

Pour finir sur l’appropriation par les acteurs non étatiques, notons que nombre d’entreprises semblent bien informées des ODD, à commencer par celles qui proposent des solutions « ODD-compatibles », dans l’approvisionnement ou le traitement des eaux par exemple, et pour qui les ODD comme les OMD sont une opportunité de développement. Pour d’autres, les ODD constituent un nouveau cadre de reporting et de redevabilité en matière de responsabilité sociale et environnementale, sans qu’il soit encore clair aujourd’hui si les ODD y apportent quoique ce soit de nouveau.

De manière générale, la conférence organisée par l’Iddri a mis en évidence que les ODD n’ont pas encore eu d’impact notable sur les stratégies des différentes parties prenantes en France. Cela veut-il dire que les ODD ne changeront rien, alors même qu’ils regorgent de nouveaux objectifs, d’indicateurs de suivi de la durabilité des pays et de tous les acteurs ? Alors même que leur caractère universel peut ouvrir la voie à de nouvelles alliances internationales pour répondre aux défis dans l’éducation, la santé, les inégalités ou l’environnement ? Il est encore beaucoup trop tôt pour le dire. Il a fallu plusieurs années avant que les OMD aient un impact et que des acteurs s’en saisissent pour demander des comptes aux gouvernements ou pour impulser de nouveaux partenariats entre associations, entreprises et gouvernements. Surtout, dans d’autres pays, des acteurs ont d’ores et déjà commencé à s’emparer des ODD, et peuvent inspirer les acteurs français. Les ODD ont pour ambition de « transformer » le monde : ils ne l’ont pas encore fait, mais chacun peut s’en saisir pour le transformer, à son échelle, dans son secteur. De son côté, l’Iddri continuera à observer comment les acteurs français et internationaux se saisissent des ODD pour inventer – ou non – une nouvelle gouvernance du développement durable.