La semaine prochaine s’ouvrent au Maroc les Assemblées annuelles d’automne de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international. Plus d’un an après les premiers appels à des réformes ambitieuses de l’architecture financière internationale, ces réunions constituent un nouveau temps fort d’une année 2023 particulièrement riche en la matière. Au-delà du symbole politique important de la délocalisation des Assemblées en terres africaines, le bilan des actions entreprises ces derniers mois devra notamment montrer, dans un contexte de conflits géopolitiques et d’urgence sociale et environnementale, la capacité des institutions financières internationales à répondre aux fortes attentes exprimées plus particulièrement par les pays les plus vulnérables. 

Capitaliser sur un portage politique de plus en plus diversifié

Pour la première fois depuis 50 ans, les Assemblées annuelles font leur retour sur le continent africain, à Marrakech. Cette délocalisation illustre l’évolution du portage politique des réformes au cours de l’année 2023. Des discussions qui se sont tenues originellement, et plus traditionnellement, à Washington, New York, Paris et d’autres capitales européennes trouvent désormais un fort écho sur d’autres continents. En témoignent l’Africa Climate Week de Nairobi ou encore le Sommet Finance en commun (FICS) organisé en Colombie, deux événements qui ont permis aux voix africaines et latino-américaines de trouver une résonance inédite dans un ordre mondial en recomposition : si des divergences persistent, y compris au sein d’un même continent, les préoccupations et les attentes sont partagées. 

Sur cette nouvelle base géopolitique, les « champions » politiques, comme le président kényan Ruto, doivent travailler de concert à dépolariser les débats et à assurer la mise en œuvre concrète et rapide des réformes. Dans ce cadre, le rôle des sociétés civiles et des think tanks est important pour continuer à insuffler, de l’extérieur, le changement auprès des banques, de leurs actionnaires et des décideurs au sens large. 

Concrétiser le « nouveau pacte financier mondial »

Les Assemblées de Marrakech seront l’occasion de revenir sur certains des engagements chiffrés pris par les décideurs politiques et financiers, mais qui tardent encore à se concrétiser. Par exemple : 

  • l’engagement de 2009 d’atteindre 100 milliards de dollars par an pour la finance climat dans les économies en développement : ce montant avait été annoncé comme étant quasiment atteint lors du Sommet de Paris pour un nouveau pacte financier mondial sans qu’un chiffrage détaillé des contributions et allocations n’ait encore été rendu disponible ;
  • la réallocation de 100 milliards de dollars en droits de tirage spéciaux pour les pays vulnérables, via les banques régionales de développement : des solutions techniques apportées par la Banque africaine de développement et la Banque interaméricaine de développement sont restées pour l’instant sans réponse, bloquant ainsi le dossier pour une durée indéterminée. Un effort collectif des actionnaires est nécessaire, mais il est à craindre que celui-ci n’ait pas lieu à Marrakech. 

En outre, les débats devraient naturellement porter sur l’évolution des banques de développement, notamment la Banque mondiale, qui a présenté sa feuille de route il y a un an. 

Et des avancées concrètes sont également attendues à la suite des engagements pris lors du Sommet de Paris, dont l'échéance de mise en œuvre a précisément été fixée aux Assemblées d’automne. 

L’évolution de la Banque mondiale

Engagement : d’ici les Assemblées annuelles d’automne, « le Groupe de la Banque mondiale devrait avoir pour objectif la poursuite de réformes ambitieuses continues jusqu’à la fin de l’année et au-delà afin de mieux armer la Banque pour faire face aux problématiques mondiales de manière suffisamment rapide et à l’échelle souhaitée ».

Depuis sa prise de fonction à la tête de la Banque mondiale en juin, de fortes attentes pèsent sur Ajay Banga pour démontrer la capacité de la Banque à s’adapter aux besoins exprimés et à embarquer d’autres acteurs (banques, gouvernements, secteur privé) avec elle. Des premières mesures avaient été prises lors des Assemblées de printemps, suivies d’autres annonces à Paris concernant par exemple la mise en place d’un Private Sector Investment Lab dédié à la mobilisation de la finance privée. Ajay Banga a depuis répété vouloir « une meilleure banque avant une plus grosse banque », pointant ainsi les marges d’amélioration supplémentaires possibles, dont certains seront présentées pour adoption lors de ces Assemblées1 : clarification des mesures d’impact ; utilisation des travaux de recherche de la Banque ; passage à l’échelle de certaines opérations intégrant les biens communs. Mais, de l’aveu d’Ajay Banga lui-même, ces mesures devront à terme s’accompagner de mobilisations financières supplémentaires pour être à la hauteur des enjeux. Si le triplement des financements tel qu’indiqué dans le rapport d’experts indépendants (IEG) semble difficilement atteignable dans le contexte actuel, de nouvelles mesures pourraient être adoptées à Marrakech pour permettre à la Banque d’augmenter sa capacité de prêts à hauteur de 100 milliards de dollars sur 10 ans,. Ces 100 milliards s’ajouteraient aux 50 milliards annoncés aux Assemblées de printemps, s’approchant ainsi du montant de 162 milliards de dollars identifiés dans un rapport de Risk Control comme pouvant être mobilisés par la BIRD (la branche de la Banque Mondiale qui opère principalement dans les pays à revenus intermédiaires) sans conséquence sur sa notation AAA (dont elle dispose depuis 1959).  

Le rôle des banques régionales

Engagement : « Les banques régionales de développement devraient appliquer le programme de réformes. »

Depuis cet engagement réitéré à Paris, le FICS, qui vise précisément à mieux articuler les diverses banques de développement entre elles pour maximiser leur impact sur le terrain, et organisé cette année sous l’égide de la Banque interaméricaine de développement et de Bancoldex (banque de développement colombienne), a contribué à dessiner un peu plus les contours de ces coopérations possibles. Le FICS continue notamment de souligner le besoin de travailler au mieux avec les banques nationales et sous-nationales, qui sont au plus proche de la réalité du terrain, et donc mieux à même de répondre aux besoins et d’adapter les instruments financiers en conséquence. Le rapport d’étape IEG rappelle aussi diverses initiatives prises par les banques régionales pour contribuer aux réformes. La Banque asiatique de développement a indiqué son intention de mobiliser 100 milliards de dollars supplémentaires sur 10 ans après avoir notamment revu sa politique de risque. 

L’ensemble de ces initiatives est nécessaire, mais ne permet pas encore d’agir à l’échelle. Elles gagneraient aussi à être mises en œuvre non pas de manière ad hoc ; mais dans un ensemble concerté permettant d’assurer que les financements mobilisés vont bien là où ils sont nécessaires et attendus. C’est sur cette base que le secteur privé pourra ensuite répondre aux attentes de manière plus adéquate. De la même manière, des discussions détaillées doivent encore avoir lieu sur la manière dont ces financements supplémentaires s’inscrivent dans des trajectoires dessinées par les pays bénéficiaires eux-mêmes, assurant ainsi une meilleure adéquation du système financier à leurs besoins. 

Au-delà de ces évolutions, deux autres engagements majeurs ont été inscrits dans la feuille de route de Paris pour les Assemblées d’automne. 

  • « Tous les pays bailleurs sont invités à contribuer aux efforts pour garantir un niveau adéquat de ressources concessionnelles pour les opérations de développement. » 

Cette demande est toujours plus forte et s’est amplifiée au cours de l’année à mesure que les voix sur les réformes se sont diversifiées, de Nairobi à Carthagène en passant par Rio ou Dakar. Les négociations s’annoncent difficiles, mais ces discussions sont inévitables, en particulier pour la lutte contre la pauvreté. Concernant la Banque mondiale, de nouvelles ressources sont nécessaires pour l’Association internationale de développement (IDA), le guichet concessionnel de la Banque à destination des économies les plus pauvres. Le rapport de Risk Control identifie des financements supplémentaires mobilisables dans l’existant à hauteur de 21-27 milliards de dollars sans conséquence sur son triple A. Ce montant dépasse ainsi largement l’objectif de 6 milliards de dollars fixé pour la mise en place d'une facilité de crise IDA d’ici la fin de l’année 2023 visant à faire face à l’urgence de répondre aux besoins des pays concernés. Mais les discussions sur le réapprovisionnement d’IDA ont lieu dans un contexte plus large marqué par de multiples demandes de financement concessionnel, que ce soit pour le Fonds vert pour le climat ou le Fonds international de développement agricole, alors que des soutiens traditionnels d’un haut niveau de contribution comme le Royaume Uni sont en train de réduire leurs montants. 

  • « L’Agence multilatérale de garantie des investissements (AGMI) pourra rendre compte des actions concrètes pour améliorer l’utilisation de sa panoplie d’instruments d’assurance en coordination avec d’autres instruments de partage du risque afin d’en optimiser les effets. »

Si l’AMGI semble limitée dans sa capacité à répondre aux améliorations souhaitées, les questions liées au coût du capital et aux instruments à mobiliser pour le réduire sont devenues centrales dans les discussions. Les gouvernements de pays du Sud ont ainsi répété leur souhait de voir des mesures mises place pour faciliter l’accès au capital, que ce soit en mettant à jour les méthodologies des agences de notation qu’on voit encore trop peu autour de la table des discussions, ou sur les opportunités de mobiliser les banques multilatérales et leurs homologues nationales pour le développement de marchés locaux et d’opérations en monnaie locale, permettant ainsi de minimiser les risques de taux de change. 

Définir des échéances claires pour les réformes structurantes à plus long terme

Les Assemblées de Marrakech devraient permettre d’anticiper d’autres échéances importantes à venir d’ici la fin de l’année, et de continuer à faire avancer des réformes qui dépassent le cadre des banques et touchent à la structure du système financier international. 

La question de la dette reste sous-jacente à l’ensemble des réformes, et le FMI joue ici un rôle de premier plan. Les avancées sur le cadre commun lors du Sommet de Paris sont encourageantes, mais la situation de certains pays (comme récemment en Angola ou en Sierra Leone) évolue de manière critique bien plus rapidement que les discussions dans ce cadre. D’autres mesures peuvent être discutées en parallèle pour éviter que la situation de la dette ait un impact négatif sur les réformes proposées si les pays destinataires ne sont simplement pas en mesure d’absorber ces nouveaux financements. 

L’ensemble des évolutions discutées doit par ailleurs continuellement interroger l’interaction avec les enjeux climat et biodiversité qui seront discutées dès décembre à la COP 28 sur le climat de Dubaï. Les discussions actuelles sur les évolutions des banques et la place des pays les plus pauvres dans cette nouvelle architecture trouvent un écho dans les débats des sphères climat et biodiversité sur la définition des pays dits vulnérables et donc éligibles au futur fonds sur les pertes et dommages ou encore au Global Biodiversity Framework Fund

Enfin, de profonds changements sont attendus en matière de gouvernance. Adapter les institutions financières aux enjeux du XXIème siècle, c’est aussi assurer une représentation plus diversifiée et équitable des réalités géopolitiques et économiques d’aujourd’hui. Emmanuel Macron ou Kristalina Giorgieva ont indiqué leur soutien à l’ouverture de ces discussions en réponse aux demandes formulées par divers pays du Sud et émergents, sans ignorer les enjeux géopolitiques qui sous-tendent ces décisions. Le changement de leadership prévu au FMI en 2025 sera l’occasion de concrétiser ces changements. Mais d’autres opportunités vont se présenter d’ici là au sein des institutions financières internationales, à commencer par la Banque mondiale, et pourquoi pas dès à présent lors de ces Assemblées de Marrakech.