Les institutions financières internationales et leurs actionnaires sont de plus en plus sollicités pour démontrer leur capacité à s'adapter et à soutenir les pays confrontés à des défis toujours plus pressants en matière de développement et de lutte contre le changement climatique. Les réunions de printemps de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, qui se tiendront la semaine prochaine à Washington, offrent la première occasion de l’année de faire le point sur les progrès accomplis dans le cadre du programme de réforme et sur les propositions qui doivent encore être examinées. Dans ce contexte, l'Iddri et ses partenaires organisent un atelier à huis clos réunissant des représentants de haut niveau de différentes communautés afin d'échanger et de s'accorder sur des propositions concrètes pour faire avancer l'agenda. Ce billet de blog met en lumière les principaux enjeux.

Adapter le système de Bretton Woods au XXIe siècle

Le système de financement international issu de l'après-Seconde Guerre mondiale a besoin d'un sérieux lifting, ses institutions étant censées mettre en œuvre un programme ambitieux : mener la lutte contre la pauvreté tout en préservant les biens publics mondiaux, tels que le climat et la biodiversité.

Pour la première fois depuis longtemps, et initialement sous l'impulsion de l'examen des cadres d'adéquation des fonds propres (CAF) du G20, le changement imminent de direction à la Banque mondiale et le programme de réformes en cours dans le cadre du processus de la feuille de route sur son évolution offrent une occasion de réaliser une percée concrète. La version actualisée de la feuille de route publiée fin mars présente quelques signes de progrès, du moins sur le plan financier. Démontrant que le modèle financier de la Banque peut effectivement être amélioré dans le cadre des financements existants, 50 milliards de dollars supplémentaires devraient être mis à disposition pour les dix prochaines années, principalement par le biais d'une réduction du ratio fonds propres/prêts de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD). Cette mesure reste insuffisante face à l’échelle des besoins, mais d'autres options sont à l'étude pour être mises en œuvre cette année. L'Agence multilatérale de garantie des investissements (AMGI) de la Banque mondiale et d'autres banques susceptibles de soutenir davantage le dé-risquage des opérations (ainsi que la mise en place de cadres réglementaires appropriés) en vue d'un engagement plus large du secteur privé (international et local) pour financer la transition devraient figurer parmi les priorités de la réforme, étant donné que peu de ces banques ont été initialement conçues à cet effet. L'étape suivante consiste à appliquer certaines de ces réformes du modèle financier à d'autres grandes banques multilatérales de développement, également directement concernées par les propositions du CAF.  

La discussion sur la manière d'utiliser ces sommes supplémentaires et la nécessité de faire évoluer le modèle opérationnel des banques reste plus floues, à la fois en termes de contenu (avec diverses propositions de projets pilotes, de nouveaux critères ou indicateurs) et de mise en œuvre, puisqu'aucun calendrier précis n'est fourni. Alors que les institutions financières internationales (IFI) explorent les moyens de réorienter leurs opérations pour soutenir des trajectoires de développement à faibles émissions de carbone et résilientes, le processus de prise de décision pour établir des priorités, qu'elles soient thématiques, régionales ou autres, reste indéfini. La proposition de mettre davantage l'accent sur l'impact et l'engagement au niveau des pays est la bienvenue, mais elle gagnerait à être mieux définie pour pouvoir être mise en œuvre. Il est essentiel, par exemple, de garantir que l'augmentation des prêts et l'accent mis sur des opérations plus « vertes » ne se fassent pas au détriment des pays à faible revenu, mais contribuent au contraire à passer d'une approche par projet à un soutien à des transitions et à des trajectoires plus globales. Il s'agit notamment de réévaluer les obstacles à l'accès au financement, le délai entre l'approbation et la mise en œuvre, les conditions liées ainsi que les risques perçus et les critères définis par les agences de notation de crédit, qui sont également des acteurs importants dans ces discussions. En outre, les l’évolution du modèle opérationnel devrait explorer des options concrètes permettant aux banques multilatérales de développement de travailler ensemble en tant que système, en recherchant la complémentarité sur la base de leurs atouts respectifs. Un ancrage plus fort au niveau national implique également de travailler avec d'autres parties prenantes déjà présentes sur le terrain, telles que les banques publiques de développement nationales et infranationales. Les préoccupations, les besoins et l'économie politique des pays d'opération gagneraient à être plus clairement pris en compte comme point de départ, car le succès des réformes dépend de leur mise en œuvre effective au niveau national pour une transformation durable. 

Mobiliser de nouvelles formes de financement pour mettre en œuvre l'initiative de Bridgetown

Pour soutenir les pays confrontés à de multiples crises en cascade tout en préservant les biens communs mondiaux existants, il faut également explorer des options nouvelles et non testées à grande échelle. L'initiative de Bridgetown a fourni une feuille de route à cet effet, soulignant en particulier la nécessité de disposer de davantage de fonds concessionnels. C'est essentiel compte tenu de leur relative rareté actuelle, mais aussi pour faire en sorte que l'architecture financière existante n'alimente pas davantage la rupture entre pays à revenu élevé et ceux  à faible revenu, mais serve mieux ces derniers de manière accessible et structurée, tout en préservant les acquis existants. 

Lors de la COP 27 sur le climat en 2022, les Parties ont convenu d'établir un fonds pour répondre aux effets néfastes du changement climatique et aux coûts associés aux pertes et dommages pour les pays vulnérables. Ce fonds et l'engagement de 100 milliards de dollars pour le financement de la lutte contre le changement climatique adopté en 2009, qui n'a toujours pas été respecté, nécessitent de débloquer de nouvelles sources de financement. L'initiative de Bridgetown a permis de relancer les discussions sur une série d'options. Certaines d'entre elles, qui pourraient permettre de débloquer les financements concessionnels les plus nécessaires (en particulier sous forme de dons), sont toujours en attente d’un soutien politique concret, notamment la taxation des activités ou des produits responsables des émissions de GES (taxe sur l'extraction des combustibles fossiles, taxe sur les passagers aériens/billets d'avion, taxe sur le carbone de l'OMI), ainsi que des bénéfices tirés des combustibles fossiles générateurs d'émissions de GES (taxe sur les superprofits/profits énergétiques) ; d'autres options sont également à l'étude en raison de leur capacité à mobiliser des ressources importantes (par exemple, la taxe sur les transactions financières, la taxe sur le secteur financier pour la finance durable ou la taxe sur les rachats d'actions). 

De même, en 2021, le G7 et le G20 ont collectivement convenu de transférer au moins 100 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS) aux pays les plus pauvres, mais cette promesse n'a toujours pas été tenue. La Banque africaine de développement et la Banque interaméricaine de développement ont récemment apporté une solution technique et mis au point un mécanisme permettant aux pays de réallouer leurs DTS vers des banques multilatérales de développement régionales, sans frais pour les contribuables. 

L'initiative de Bridgetown propose d'inclure dans tous les instruments de la dette souveraine des clauses spécifiques qui « suspendent le service de la dette pendant deux ans lorsqu'une agence indépendante déclare qu'une catastrophe naturelle d'un certain seuil s'est produite et prolonge l'échéance de l'instrument pendant deux ans au taux d'intérêt initial ». Cela pourrait permettre aux pays du Sud frappés par les impacts du changement climatique, qu'ils n'ont guère contribué à provoquer, de donner la priorité à des investissements vitaux dans la réponse aux catastrophes et la relance.

Les réunions de printemps peuvent-elles déboucher sur une coalition de « champions » ?

Ces points illustrent la manière dont les dirigeants du monde entier se trouvent au centre de demandes et de récits concurrents concernant la lutte contre la pauvreté, la recherche de la croissance économique et des transitions plus durables. Le soutien à la transformation à long terme est fondé sur la solidarité, mais aussi sur les intérêts partagés en matière de préservation des biens publics mondiaux. Dans un tel contexte, les demandes concurrentes mettent en évidence l'interdépendance de tous les acteurs impliqués.

Pour atteindre ces objectifs, des efforts considérables sont nécessaires partout, mais selon des modalités différentes, à des échelles différentes, dans le cadre de nouveaux partenariats et avec des responsabilités diverses. Certains, comme la Barbade, se sont déjà fait les champions de certaines parties de cet agenda. Mais d'autres doivent unir leurs efforts et rallier la coalition de « champions », car un leadership politique collectif plus fort pourrait aider à l'émergence et à la mise en œuvre de mesures transformatrices. Le sommet de juin à Paris sur un nouveau pacte financier mondial est également l'occasion de donner un élan politique à ces questions. 

Ces coalitions peuvent contribuer à l'élaboration d'une stratégie collective plus large, allant au-delà des dirigeants politiques et institutionnels pour inclure les organisations de la société civile et les parties prenantes locales, favorisant ainsi des interventions coordonnées sur les questions les plus importantes et les livrables attendus. Elles devraient également définir un calendrier d'action, en articulant les priorités à court terme qui nécessitent une action immédiate, avec des options à plus long terme pour lesquelles des discussions approfondies sont nécessaires. Avec de multiples propositions déjà sur la table et plusieurs échéances en 2023, les attentes sont importantes et ne doivent pas être manquées.

Bien que toujours en cours, le programme de réforme des institutions financières internationales semble plus que jamais prêt à être mis en mouvement. Les réunions de printemps de 2023 ne constituent en aucun cas une fin en soi, mais représentent une première étape importante qui devrait mettre les différentes communautés autour de la table sur la bonne voie, et insuffler un sentiment d'action collective plus que nécessaire. Les sommets et conférences internationaux qui se tiendront plus tard en 2023 seront donc des occasions importantes, non pas de recommencer la même conversation, mais bien continuer à progresser et  se concentrer sur des points spécifiques alors que l'horloge continue de tourner.