Un compromis trouvé à la COP 15 sur la création d’un nouveau fonds sous l’égide du mécanisme existant, le Fonds pour l’environnement mondial (FEM), a atterri la semaine dernière. Le FEM, qui s’était vu attribuer le mandat de mettre en place rapidement ce fonds, le Global Biodiversity Framework Fund, pour soutenir la mise en œuvre du cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal et ainsi répondre aux demandes de nombreux pays en développement, a adopté lors de son Conseil à Brasilia (26-29 juin) ses modalités principales. Ces échanges et négociations s’inscrivent par ailleurs dans un contexte de discussions plus larges sur la réforme des institutions financières internationales. Malgré sa spécificité, ce fonds devra en effet devenir un mécanisme clé s’articulant avec l’ensemble des acteurs de l’architecture du financement international pour attirer les donneurs et porter ses fruits là où les fonds sont les plus nécessaires. Quels sont les obstacles et opportunités pour améliorer significativement ces mécanismes internationaux dédiés au financement de la biodiversité ?

Un compromis positif ?

Le Trust Fund du FEM, jusqu’ici le seul mécanisme de financement de la Convention sur la diversité biologique (CDB), vient d’approuver le second programme de travail de sa 8e recapitalisation (période 2022-2026) depuis sa création, avec un record de 1,4 milliard USD, mobilisant au total 9,1 milliards en co-financement. La moitié de ces fonds concerne des projets sur la biodiversité. Parallèlement, le 64e conseil du FEM s’est mis d’accord sur les modalités principales1 de la mise en place du Global Biodiversity Framework Fund (GBF Fund), un fonds supplémentaire dédié à la mise en œuvre des 23 cibles du cadre de Kunming-Montréal, qui sera donc géré par le FEM. Ces modalités répondent en partie aux demandes des pays récipiendaires, critiquant les difficultés d’accès aux financements ou encore les lenteurs administratives et de déboursement, tout en s’appuyant sur les structures existantes du FEM, évitant ainsi les nombreuses années nécessaires à la création d’un fonds indépendant nécessitant le développement fastidieux d’un « back office » principalement lié à l’ingénierie financière.

Néanmoins, si certaines avancées peuvent être notées et appréciées et permettront sans doute de voir des premiers projets se lancer d’ici la COP 16 de la CDB en 2024, la courte fenêtre de temps pour l’installation du fonds et des désaccords ne permettent pas une réforme transformatrice des pratiques en termes de financement multilatéral de la biodiversité. En effet, certaines considérations ont été écartées, entre autres la priorisation de certaines actions (par exemple l’appui à la réforme des subventions et incitations néfastes), l’accès direct au fonds par les autorités nationales portant des projets et les communautés locales sur le terrain (le Trust Fund du FEM s’appuyant aujourd’hui sur des agences de mise en œuvre, ce qui sera également le cas pour le GBF Fund), ou encore une gouvernance plus inclusive permettant d’impliquer d’autres acteurs clés.

Un consensus s’est cependant dégagé depuis la COP 15 de décembre 2022 : il faudra faire de ce fonds un mécanisme complémentaire au Trust Fund du FEM, mais surtout innovant et à forte valeur ajoutée pour attirer les donneurs et aussi mobiliser plus de co-financement, public et privé2 . Pour cela, certains éléments d’opérationnalisation ne devront pas être sous-estimés dans leur portée potentiellement stratégique pouvant soutenir l’atteinte de la cible 19 du cadre de Kunming-Montréal3

Le GBF Fund devra en effet mobiliser davantage les banques multilatérales de développement et le secteur privé (secteur commercial, financier, et les philanthropies) afin de contribuer à la mise à l’échelle du financement et provoquer un effet multiplicateur à partir des financements publics sous forme de dons. En ce sens, le GBF Fund devrait être en mesure d’emprunter une direction intéressante, néanmoins sûrement difficile à déployer sans s’éloigner des développements à ce jour incrémentaux. Une approche de réforme transformatrice mais progressive est-elle possible ?

Le défi d’opérationnaliser des besoins différenciés

Pour la première fois lors d’un Conseil du FEM, les discussions habituellement très techniques et opérationnelles ont été particulièrement mouvementées. Les besoins en matière de financement pour la biodiversité diffèrent entre pays récipiendaires, par exemple entre les pays abritant des espaces clés pour la biodiversité (souvent de grands pays émergents comme le Brésil et l’Indonésie) et les pays les moins avancés (PMA) ou encore les Petits États insulaires en développement (PIED), pour lesquels il est plus difficile d’accéder aux fonds, alors que leurs besoins sont fondamentaux compte tenu de leur vulnérabilité accrue liée à des systèmes socio-écologiques et socio-économiques instables4 et des capacités plus faibles. Cela conforte la nécessité de financer rapidement les études permettant aux États, notamment les plus vulnérables et les plus pauvres, d’exprimer et de spécifier les programmes d’investissements correspondant à ces besoins de financement et un état des lieux des financements existants (c’est l’objet des Plans nationaux de financement de la biodiversité). Ces besoins différenciés appellent à des actions ciblées, mais ne doivent cependant pas aboutir à une compétition entre pays en développement, qui devront tous recevoir le soutien nécessaire pour atteindre les objectifs qu’ils se seront fixés dans leur stratégies et plans d’actions nationaux pour la biodiversité (SPANB). 

Les débats qui sont cristallisés autour des pourcentages des fenêtres dédiées à certains groupes d’acteurs ont finalement trouvé une issue. Les PMA et les PEID auront accès à une fenêtre dédiée de 36 % (+3 % remis au pot commun si non utilisés), qui reste toutefois très peu différente des niveaux de financements pour ces pays par le FEM. De la même façon, les populations autochtones et communautés locales ont reçu une attention particulière et inédite à travers une proposition des pays d’Amérique latine notamment et acceptée par tous les membres du Conseil : alors que la COP 15 avait clairement souligné leur rôle à plusieurs reprises dans les objectifs et cibles de l’accord, le GBF Fund leur dédiera une partie de ses fonds (20 %).

La question plus générale posée par ces débats sur les besoins et les responsabilités des pays concerne la dichotomie traditionnelle entre conservation d’espaces clés considérés comme des « biens communs » (ou des global environmental benefits dans le cadre du FEM) et la nécessaire définition de trajectoires de développement compatibles avec les objectifs de Kunming-Montréal ; dichotomie qu’il convient donc de dépasser5 . En effet, le nouveau fonds ne pourra être transformateur que s’il permet d’activer une plus grande cohérence au sein des financements publics et des financements privés, qui ne devront plus agir en opposition ni éroder les efforts de conservation et d’utilisation durable de la biodiversité, contradiction interne aux financements publics et privés. Le Conseil a d’ailleurs été l’occasion pour certains représentants de rappeler des difficultés bien présentes liées aux dettes et aux réformes des institutions financières internationales et banques multilatérales, qui auront également leur rôle à jouer dans la mise en œuvre des projets dans le cadre du GBF Fund, à travers leur propre fenêtre dédiée (25 %), malgré les craintes de certains pays de voir leurs dettes encore augmenter.

Le besoin de réformes transformatrices et coordonnées

Ces avancées (allocations dédiées, volonté de mobiliser les banques multilatérales et institutions financières ainsi que le secteur privé) constituent de bonnes nouvelles, mais ne doivent pas occulter une nécessaire réforme de l’architecture des fonds multilatéraux. Le GBF Fund, et a fortiori le FEM qui possède un potentiel de changement, pourraient considérer des réformes plus structurelles. Ces fonds pourront-ils passer à une approche plus stratégique (contrairement à une succession de projets), direction déjà empruntée par le FEM depuis plusieurs recapitalisations ? Cette approche « programmatique », qui induit une meilleure cohérence, implique un ancrage d’abord national, où les priorités devront être clairement définies, notamment à travers les plans de financement de la biodiversité. Les investissements et fonds répondront ainsi de façon plus ciblée aux besoins, en se reposant sur des plans nationaux qui manquent encore d’une vision à long terme. Un autre type de coordination, plus ambitieuse, devra également se faire entre tous les acteurs du financement international et de la mise en œuvre du cadre de Kunming-Montréal, afin de renforcer les avantages comparatifs de chacun, et pour impliquer celles et ceux qui ne sont pas encore autour de la table. À la suite du Conseil à Brasilia, l’Assemblée du FEM qui se tiendra au mois d’août à Vancouver (Canada) ratifiera le GBF Fund, mais sera surtout l’occasion pour les pays développés de s’engager à travers de premiers dons, sans lesquels le fonds ne pourra fonctionner. 

Ce rendez-vous de Vancouver devrait en outre lancer une discussion sur les réformes de ces mécanismes et instruments spécifiques dédiés au financement de la biodiversité, dont le FEM, pour lequel des discussions sont prévues en 2025. D’ici là, le GBF Fund sera tenu de montrer des résultats de façon continue et progressive. À plus court terme, la communauté internationale pourrait donc profiter des sommets comme les assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI d’octobre à Marrakech et ensuite de la COP 28 sur le changement climatique à Dubai pour se réunir et ainsi montrer qu’elle prête attention à la mise en œuvre des objectifs adoptés à la COP 15.