Alors que nous sommes à un moment décisif pour l'avenir de l'océan, plus de 80 États se sont réunis au siège de l'ONU à New York (30 Mars - 8 Avril) pour lancer les négociations d'un nouvel accord sur la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité marine dans des zones au-delà de la juridiction nationale (ZAJN). Les ZAJN, qui incluent la colonne d’eau et les fonds marins situés au-delà de 200 miles nautiques[1], couvrent près de la moitié de la surface de la planète et assurent un ensemble de services écosystémiques essentiels. Pourtant, la réglementation relative à cette vaste étendue océanique est, au mieux, fragmentaire. Il était autrefois considéré que l’exploitation ou la protection des ZAJN ne présentaient pas d’intérêt, mais les progrès scientifiques et technologiques réalisés ouvrent désormais un champ de possibilités et représentent de nouvelles menaces pour les écosystèmes marins.


La réunion PrepCom[2] est la première d’une série de quatre réunions visant à réfléchir aux options susceptibles de combler les lacunes du cadre juridique actuel ; une décision devrait être prise fin 2018 quant à l’opportunité de convoquer une conférence diplomatique formelle. Salué le premier jour par une salle comble remplie de délégués et de représentants de la société civile, le président Eden Charles de Trinité-et-Tobago a fait remarquer l’importance et l’urgence manifestes de la réunion.

Le président Charles a orchestré avec efficacité un dialogue constructif entre les États et a été salué à la fois par les délégués et par la société civile, sa franchise et ses pointes régulières d’humour égayant l’ambiance.


Les déclarations initiales, d’ordre général et rédigées avec soin, ont été suivies de groupes de travail sur les quatre enjeux convenus dans le « Package deal » de 2011, à savoir :
  • les ressources génétiques marines (RGM), notamment la question du partage des bénéfices découlant de leur exploitation ;
  • les « outils de gestion par zone », qui comprennent les aires marines protégées (AMP) ;
  • les études d’impact environnemental (EIE) ; et
  • le renforcement des capacités et le transfert des techniques marines.
Les débats ont été francs et constructifs, et ont semblé progresser rapidement (contrastant fortement avec le rythme beaucoup plus lent du précédent « groupe de travail officieux à composition non limitée » en activité de 2006 à 2015) [3]

Les États se sont opposés sur la question de savoir si les RGM trouvées dans les ZAJN devaient être exploitées librement selon le principe du « premier arrivé, premier servi », ou si elles devaient être considérées comme un « patrimoine commun de l’humanité », une question récurrente dans l’histoire des négociations sur la haute mer. Certaines délégations, notamment les États-Unis, étaient en faveur de la première option, tandis que le G77+ Chine ont soutenu la seconde.[4]

Certaines délégations, notamment l’UE, ont réitéré leurs appels en faveur d’une approche pragmatique : élaborer un mécanisme de partage des avantages, tout en écartant la question plus idéologique du statut juridique des RGM.

Les États ont évoqué de manière positive la conservation marine et le besoin d’établir des zones protégées, même si certains ont clairement souhaité limiter les ambitions. Si la majorité des États se sont concentrés sur la création d’un mécanisme de mise en place d’un réseau d’AMP reposant sur les meilleures données scientifiques disponibles, quelques uns se sont fortement opposés à l’idée que les AMP puissent représenter une fin en soi, faisant valoir au contraire qu’elles devaient servir à lutter contre des menaces spécifiques et être limitées dans le temps.



Sans surprise, la question controversée de ce que pouvait représenter ce nouvel accord pour la pêche a été un point de divergence, même s’il semble que le débat se soit éloigné de l’opportunité d’inclure la pêche pour se concentrer sur la façon dont celle-ci devait être incluse. La plupart des États sont convenus que les poissons font partie de la biodiversité en haute mer et que la pêche, en particulier la pratique destructive du chalutage en eaux profondes, constitue actuellement la menace la plus sérieuse. Un petit nombre d’États pêcheurs continuent néanmoins de soutenir que la réglementation actuelle est suffisante.

La discussion sur les EIE a été un peu moins tendue – les États s’accordent sur la nécessité de ces évaluations, et un ensemble de principes, d’options et d’idées a été avancé, même si aucun accord clair ne s’est encore dégagé sur la façon dont les EIE fonctionneront dans la pratique dans les ZAJN.



Un fort consensus se dégage également sur le besoin d’apporter aux pays en développement le savoir-faire et les technologies nécessaires pour mener des activités de recherche scientifique marine, même si on ne voit pas encore clairement comment un nouvel accord pourra donner le coup d’envoi d’une nouvelle ère en termes d’assistance et de coopération. En particulier, les opinions risquent de diverger entre les pays en développement à la recherche d’une forme de mécanisme institutionnel ou d’une approche multilatérale et les pays développés favorables à des mesures moins strictes.

Dans ce contexte, de nombreux pays en développement ont déploré le manque de contributions à un fonds spécial d’affectation volontaire mis en place avant la réunion afin de leur permettre de mieux participer aux négociations (à ce jour, seuls les Pays-Bas y contribuent).



Le dernier jour, les États se sont mis d’accord sur une « feuille de route procédurale », qui décrit la structure de la prochaine réunion PrepCom (du 29 août au 9 septembre 2016). Un résumé de la réunion établi par le président sera distribué dans l’intervalle, et comprendra une liste indicative de questions. Le président a suggéré que les options qui sont largement acceptées par les délégations soient « mises de côté » lors de la prochaine réunion, afin de consacrer plus de temps aux discussions sur les points de désaccord. Dans l’ensemble, la PrepCom 1 peut être considérée comme le début transparent et productif d’une nouvelle étape d’un processus qui, beaucoup l’espèrent, aboutira à un accord fort et universel sur la conservation et l’utilisation durable des ZAJN. Toutefois, il semble que nous ne soyons qu’à mi-parcours de la longue route sinueuse vers un nouvel accord.


[1] Appelés la « haute mer » et la « zone » respectivement.

[2] Comité préparatoire créé par la résolution 69/292 de l’Assemblée générale : le développement d’un instrument international juridiquement contraignant dans le cadre de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer sur la conservation et l’exploitation durable de la biodiversité marine dans les zones situées au-delà des limites de la juridiction nationale

[3] Groupe de travail officieux à composition non limitée chargé d’étudier les questions relatives à la conservation et l’exploitation durable de la biodiversité marine dans les zones situées au-delà des limites de la juridiction nationale. Voir sur le site web des Nations Unies.

[4] Le Groupe des 77 est un bloc de 134 pays en développement. Voir sur le site web du G77. Avec la Chine, et souvent le Mexique, il représente l’un des groupes clés des négociations sur les ZAJN.