Les négociations de Paris visent à adopter un nouvel accord légal universel, avec des engagements précis de tous les pays en matière d’atténuation du changement climatique et une coopération renforcée en matière d’adaptation, de financement et de technologies. Au moment de l’écriture de ce billet, 161 pays couvrant 91% des émissions mondiales ont soumis leurs contributions nationales (INDCs). Cela représente déjà un succès important. Cependant, de nombreuses études montrent que si ces INDCs accélèrent et consolident l’action climatique (voir le projet MILES) , elles ne sont pas suffisantes pour maintenir le réchauffement climatique en-dessous de 2°C..

Pour cette raison, l’un des aspects fondamentaux des négociations consiste en la mise en place d’un mécanisme de cycles réguliers de nouvelles contributions nationales à l’action climatique et de bilans à l’échelle mondiale, afin de relever progressivement le niveau d’ambition. Cet article vise à décrire quels éléments pourraient constituer les bases de ce mécanisme. Il commence par présenter les principaux enseignements tirés de l’actuel cycle d’INDC1, avant de considérer ce qui pourrait être traité dans l’Accord de Paris.

Enseignement n°1 : la détermination nationale et la création d’un « effet échéance » sont les clés d’une participation universelle et d’un fort investissement politique

L’un des objectifs fondamentaux de l’Accord de Paris est de créer un accord « applicable à toutes les Parties » ; dès la COP19 à Varsovie, en 2013, toutes les Parties ont été invitées à préparer leurs contributions nationales à l’action climatique (INDC), bien avant la COP21. Puis la COP20 a défini le contenu de base des INDC et fixé une date limite de facto en stipulant que la CCNUCC réaliserait une étude de synthèse de l’effet global des INDC en se basant sur les INDC soumises avant le 1er octobre 2015.

Le nombre de contributions soumises juste avant la date limite du 1er octobre illustre bien l’efficacité de ce procédé. Le processus international a permis de créer un « effet échéance » et a aidé à surmonter les craintes de comportements de type « passager clandestin »2, car tous les pays se sont engagés à respecter un même calendrier très clair pour préparer leur INDC. La détermination au niveau national a permis de rassurer les pays sur le fait que leur engagement dans le processus INDC ne nuirait pas à leur souveraineté. Enfin, la définition d’une échéance politique commune, claire et prévisible, à l’issue de laquelle l’ensemble des pays ont soumis leurs contributions, a contribué à faire des INDC des engagements crédibles et sérieux, bénéficiant d’une large adhésion nationale.

  • Le mécanisme de cycles réguliers de nouvelles contributions nationales et de bilans à l’échelle mondiale doit définir des moments clairs et prévisibles, auxquels tous les pays seront invités à présenter de nouvelles contributions déterminées au niveau national.

Enseignement n°2 : soutenir les attentes mondiales à long terme pour le futur

L’atténuation climatique présente une particularité majeure par rapport à de nombreux autres problèmes environnementaux : elle implique des mutations profondes de systèmes fortement inertes. Les infrastructures physiques définissent le volume d’émissions et leur modification est très lente. La durée de vie des bâtiments et des infrastructures peut aller jusqu’à un siècle, celle des centrales est de plusieurs dizaines d’années, celle des véhicules au moins d’une décennie, etc. Il faut souvent des années pour planifier, adopter, mettre en œuvre les politiques de transformation, et pour que celles-ci portent leurs fruits. Provoquer des changements profonds exige donc une perspective à long terme.

Cette vision à long terme est en soi un bien public qui doit être créé par le régime climatique. C’est un bien public dans le sens où les attentes façonnent le comportement actuel, qui peut à son tour confirmer les attentes. Les décideurs, les investisseurs et les innovateurs prennent tous des décisions basées sur les attentes quant à l’avenir. Les attentes légitimes constituent un bien public mondial dans le sens où la façon dont un pays ou une entreprise perçoit le contexte stratégique mondial dans lequel il ou elle opère l’aide à former son point de vue sur la faisabilité, les avantages et les coûts de l’action climatique. Un pays est en mesure d’adopter une politique climatique plus ambitieuse s’il est convaincu que la politique menée dans les autres pays permettra de créer un environnement propice à l’apprentissage technologique, l’innovation du système financier et le soutien financier, l’expérience politique, ainsi que l’environnement commercial dont il pourra aussi bénéficier dans les années à venir ; il en va de même pour les orientations stratégiques du secteur privé.

Le cycle actuel des INDC a été extrêmement utile pour créer une visibilité sur au moins 10 ans en termes d’orientations politiques futures3, voire même sur 15 ans dans la plupart des cas. Dans le cas où l’INDC pour 2025-2030 d’un pays fortement émetteur ne serait confirmée qu’en 2023 ou 2024, il n’y aurait pas de création du bien public que sont les attentes mondiales à plus long terme.

  • L’Accord de Paris devra établir que chaque cycle de nouvelles contributions déterminées au niveau national devra fixer des objectifs à l’horizon d’au moins dix 10 ans après leur date de soumission. Deuxièmement, en conséquence de ce besoin d’une visibilité d’au moins 10 ans, tous les NDC de 2030 devront être en place d’ici 2020, ce qui implique qu’un autre cycle de soumissions de NDC devrait avoir lieu en 2020 pour que les pays sans NDC à l’horizon 2030 aient la possibilité de les soumettre.

Enseignement n°3 : cycles rapides et prévisibles de révision, basée sur un bilan à l’échelle mondiale

Les INDC actuelles ne sont pas compatibles avec l’objectif de 2 °C adopté à l’échelle internationale. Si rien n’est fait d’ici 2030, le taux de transformation nécessaire pour atteindre cet objectif sera si élevé4 que la possibilité de ne pas dépasser les 2 °C sera sérieusement remise en question. Même dans une situation de renforcement progressif des INDC à partir de 2020, la tâche reste difficile.

  • Pour que l’objectif de 2 °C reste à portée de main, le mécanisme de cycles de contributions et de bilan doit permettre de relever l’ambition d’ici 2020.
  • Aussi, l’invitation à soumettre de nouvelles NDC en 2020 se rapporte à la fois aux pays sans NDC à l’horizon 2030 et à ceux qui en ont.

Les INDC sont déterminées à l’échelle nationale, mais sont aussi des contributions à la réponse mondiale au changement climatique. Sans cette réponse mondiale, les INDC n’auraient pas été aussi ambitieuses qu’elles le sont. Néanmoins, avec les négociations de Paris en cours, il était difficile de percevoir clairement le degré d’ambition des autres pays, ainsi que la force de leur soutien apport en matière de financement, de technologie et de renforcement des capacités. En ce sens, il est compréhensible que les INDC n’aient pas été en mesure de prendre en compte les catalyseurs de transformation découlant de la nature collective de la réponse (apprentissage technologique, assurances contre les opportunistes passagers clandestins, innovation politique, soutien financier, etc.).

  • Les futurs cycles de contributions doivent reposer sur un bilan à l’échelle mondiale relatif à tous les éléments de l’Accord de Paris, à savoir l’atténuation, l’adaptation, le financement, la technologie, le renforcement des capacités et la transparence de l’action et du soutien. Cela permettra de mieux identifier le contexte mondial évolutif des efforts nationaux et des obstacles devant être surmontés grâce à la coopération internationale.
  • La réalisation du bilan ne doit pas impliquer l’examen des engagements individuels actuels, mais plutôt celui du contexte global mondial des politiques climatiques nationales, reposant surinformé par le mécanisme de transparence, mais aussi sur par d’autres sources d’information.
  • Tout comme la portée du bilan doit être large, l’Accord de Paris peut décider de ne pas préjuger de la portée des futures contributions, en se contentant de veiller à ce qu’elles contiennent un élément d’atténuation quantifiable qui respecte les orientations préalables en matière de transparence et de responsabilité.
  • Nous avons fait valoir plus haut que pour garantir une visibilité d’au moins 10 ans et relever l’ambition suffisamment tôt pour que l’objectif de 2 °C reste à portée de main, le prochain cycle de NDC devrait avoir lieu en 2020. En travaillant à rebours à partir de cette date, les pays souhaiteront peut-être organiser une évaluation collective des progrès réalisés au niveau mondial avant 2020, par exemple en 2018, même si cela ne se produit pas dans le cadre de l’Accord de Paris en soi et doit se distinguer du mécanisme de bilan établi en vertu de l’accord.

Enseignement n°4 : les cycles collectifs d’actions déterminée au niveau national favorisent la mise en œuvre précoce, et la mise en œuvre précoce crée les conditions pour aller plus loin la fois suivante :

La réalisation des INDC en 2030 exige une mise en œuvre immédiate dès 2016, en raison de la longueur des délais nécessaires pour que les politiques prennent effet. Prenons l’exemple de l’Union européenne, qui dispose déjà d’un programme législatif raisonnablement bien développé pour 2015 et 2016, qui permettra de commencer à mettre en œuvre son INDC en 2030 (réforme de l’échange de quotas d’émissions, révision des lois sur l’efficacité énergétique, etc.). Cet exemple permet d’illustrer l’importance d’une mise en œuvre rapide des INDC adoptées à Paris, afin d’en assurer la faisabilité. Le rythme de négociation ne doit pas compromettre « artificiellement » ce qui doit être fait pour influer sur les politiques à long terme ainsi que les changements économiques et physiques nécessaires pour réaliser les NDC.

  • L’Accord de Paris doit créer les conditions favorables à une mise en œuvre immédiate des INDC, sans attendre l’entrée en vigueur et la formalisation finale.

La mise en œuvre rapide crée aussi les conditions pour aller plus loin dans le futur. Au niveau mondial, une mise en œuvre efficace peut aider à promouvoir l’innovation technologique, afin de rendre les technologies abordables pour les pays en développement, mais aussi l’innovation financière ou encore l’apprentissage politique. Elle incite également à mettre en place la coopération nécessaire en matière de financement et de technologies permettant de prendre des mesures plus fortes et offre la possibilité d’aller plus loin dans les pays ayant besoin d’appui. Ces incitations peuvent à leur tour créer les conditions nécessaires pour aller plus loin plus tard. Dans le même temps, des cycles précis d’action collective incitent à commencer la mise en œuvre dès maintenant, car les pays savent qu’ils se retrouveront bientôt autour de la table pour rendre des comptes et explorer les possibilités d’aller plus loin.

  • Il est possible que les pays se sentent aujourd’hui incapables d’aller plus loin. Cependant, rejeter le principe de cycles réguliers d’action collective réduirait les incitations à mettre en œuvre rapidement toutes les dispositions de l’accord, et donc, dans un cercle vicieux, empêcherait de créer les conditions dans lesquelles les pays auraient le potentiel d’aller plus loin.
  • Tous les pays devraient être invités, et non obligés, en 2020 et tous les cinq ans par la suite, à examiner le contexte mondial dans lequel s’inscrit leur action nationale, à évaluer si les conditions sont en place pour leur permettre d’aller plus loin, ainsi qu’à reconsidérer leurs efforts en 2020 et à soumettre une nouvelle NDC.

Eléments clés du mécanisme de l’Accord de Paris pour des cycles réguliers de nouvelles contributions et d’action collective

Le statu quo constituerait une accélération louable de l’effort climatique, mais ne peut pas être présenté comme suffisant. L’Accord de Paris doit inclure un mécanisme crédible pour relever le niveau d’ambition. L’analyse qui précède permet d’en identifier les éléments clés :

  1. Un système régulier et prévisible de « moments » politiques quinquennaux, à l’occasion desquels tous les pays seraient invités à présenter de nouvelles soumissions de NDC. Le premier aurait lieu en 2020. Il ne serait pas forcément nécessaire de passer par un processus INDC/NDC, et la nouvelle soumission contiendrait simplement les derniers engagements du pays envers la communauté internationale. Par la suite, les pays seraient invités à soumettre de nouvelles NDC en 2025, 2030, etc.
  2. Chaque NDC doit s’étendre sur au moins 10 années après la date de son adoption ; mis à part cette restriction, il n’est pas nécessaire d’harmoniser l’horizon des nouvelles contributions. Cela permettrait de conserver une visibilité mondiale d’au moins 10 ans sur l’orientation future des politiques, des marchés, des technologies, etc. Mis à part ce bien public essentiel, l’harmonisation des échéancier des futurs INDC n’est pas nécessaire, et pourrait contraindre inutilement les pays. Par exemple, un pays incapable de réviser en 2020 son NDC à l’horizon 2030 (les engagements politiques, une fois pris, sont souvent difficiles à réviser – comme l’a bien montré le déroulement de l’axe de travail 2), pourrait néanmoins proposer une nouvelle cible à l’horizon 2035. Si celle-ci est vraiment ambitieuse, elle constituerait un point de référence pour les stratégies politiques et commerciales, et équivaudrait à une révision de facto de la cible à l’horizon 2030. Ne pas trop préciser le calendrier des futures NDC offre la possibilité aux pays d’envisager plus d’options leur permettant de relever leur ambition, selon les processus politiques et décisionnels nationaux. Il est important de noter que l’insuffisance des INDC à l’horizon 2030 ne tient pas seulement à l’absence d’INDC 2030 pour certains pays ; toutes les options doivent donc rester ouvertes pour que ceux qui ont des INDC à l’horizon 2030 relèvent également leur ambition.
  3. Inscrire la détermination nationale et les responsabilités communes mais différenciée en fonction des circonstances nationales dans l’Accord de Paris comme principe directeur de ce mécanisme. Chaque moment politique entraînerait une invitation de chaque pays à examiner le contexte mondial et national de ses engagements, et une invitation à soumettre une nouvelle NDC.
  4. Un système de bilan quinquennal à l’échelle mondiale en vertu de l’Accord de Paris. Le premier bilan pourrait être réalisé en 2023, puis renouvelé tous les 5 ans.
  5. Un dialogue politique et un rapport technique ponctuels en 2018, sous l’égide de la Conférence des Parties, afin d’examiner les efforts réalisés au niveau mondial en matière de changement climatique et d’évaluer les résultats de Paris à la lumière de l’entrée en vigueur de l’Accord de Paris en 2020. Comme indiqué plus haut, pour assurer une visibilité d’au moins 10 ans et faire en sorte que l’ambition soit relevée suffisamment tôt pour que l’objectif de 2 °C reste à portée de main, le prochain cycle de contributions devrait avoir lieu en 2020. En procédant à rebours à partir de cette date, les pays pourront souhaiter organiser une évaluation collective des progrès accomplis à l’échelle mondiale avant 2020, par exemple en 2018, même si cela ne se fait pas en vertu de l’accord de Paris en tant que tel.

 

[1] L’accent est mis principalement sur les enseignements tirés en termes d’atténuation. Le document de synthèse du secrétariat de la CCNUCC sur les INDC fournit un excellent résumé et quelques enseignements qui se dégagent de la composante adaptation des INDC soumises en amont de la COP21.

[2] L’effet échéance est un phénomène bien décrit dans la théorie des jeux et les observations empiriques des processus de négociation. Voir, par exemple http://web.stanford.edu/~alroth/papers/1988_AER_Deadline_Effect.pdf

[3] 2015 à 2025 pour les pays avec une INDC 2025.

[4] C’est-à-dire des réductions mondiales >4 %/an. Voir MILES report.