Les réductions annoncées de l'aide publique au développement (APD) par les États-Unis et d'autres grands donateurs européens (environ 20 % entre 2024 et 2026) devraient avoir de graves conséquences pour les pays les moins avancés (PMA), dont les trois quarts environ se trouvent en Afrique. Les services de base (santé et éducation notamment) et la construction des capacités institutionnelles seront en effet sévèrement affectés à court terme, mettant en péril le développement et l’autonomisation des pays à long terme. Quelles perspectives s’offrent aux PMA concernés par ces baisses brutales ?

Quelle évolution de l’APD dans les PMA ?

Au cours de la période 2021-2023, les flux annuels d'aide des pays du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE vers les PMA se sont élevés à environ 33 milliards de dollars, soit environ la moitié des financements internationaux officiels, auxquels les États-Unis, la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse contribuent à plus de 33 %1. Pour l’année 2023, 10 PMA, tous africains (Tanzanie, Mozambique, Ouganda, Zambie, Malawi, Éthiopie, République démocratique du Congo, Rwanda, et Soudan du Sud), ont reçu 75 % de ces flux. 

Parmi les secteurs les plus financés figurent la santé, les politiques en matière de population et fertilité, le renforcement des capacités institutionnelles et l’éducation (Figure 1). 

Figure 1. Top 5 des secteurs les plus financés dans les PMA africains par donateur (% des décaissements totaux d’APD, moyenne 2021-2023)

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Autant de domaines par conséquent particulièrement vulnérables aux baisses importantes annoncées pour la période 2024-2026 (Iddri, 2025) : les réductions combinées des six donateurs pourraient atteindre environ 6 milliards de dollars par an (Figure 2)2

Figure 2. L’APD dans les PMA avant et après réductions

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Note : La présente analyse s’appuie sur Budget Cuts Tracker dataset, qui fournit des projections de réductions de l'APD pour 2025 et 2026 pour chaque donateur du CAD. Aux fins de la présente analyse, les chiffres de 2023 sont utilisés comme point de référence pour déterminer la variation en pourcentage des décaissements d'APD de chaque donateur du CAD à partir de 2024. Cette approche est nécessaire en raison du manque d'informations détaillées pour les années au-delà de 2023, tant au niveau sectoriel qu'au niveau des bénéficiaires. En effet, certaines réductions sont déjà en vigueur tandis que d'autres sont prévues mais pas encore formalisées. De plus amples détails sur la procédure pour obtenir les données sur l'ampleur des réductions de l'aide par les six bailleurs du CAD sont disponibles sur demande. 

Impacts sur les secteurs de la santé et des politiques en matière de population et fertilité

En 2023, les États-Unis et le Royaume-Uni ont fourni à eux seuls plus de 50 % des dépenses africaines consacrées aux programmes de lutte contre le VIH, le paludisme et la tuberculose3. Or les réductions d’APD les plus importantes proviendraient des États-Unis (-4 milliards de dollars par an en moyenne en 2025 et 2026, soit -33 %), puis de l'Allemagne (-23 %) et du Royaume-Uni (-21 %). Selon les estimations de l'OMS, les coupes budgétaires de l'USAID pourraient entraîner 10 millions de cas supplémentaires et 3 millions de décès liés au VIH, 18 millions de cas supplémentaires de paludisme, 200 000 handicaps liés à la polio et plus d'un million de décès d'enfants dus à la malnutrition sévère4. La Sierra Leone, la Tanzanie, le Mozambique, le Libéria, l’Ouganda, le Malawi, le Soudan du Sud et la Somalie seraient les pays plus touchés par la réduction de l’APD américaine5, perdant l’équivalent d’au moins 25 % (voire 50 %) de leurs dépenses publiques en matière de santé. 

Pour ce qui concerne les politiques en matière de population et de fertilité, certains PMA africains (notamment la Zambie et la Tanzanie) seraient particulièrement vulnérables aux réductions de l'aide internationale, notamment celle des États-Unis du Royaume-Uni (80 % du total dans ce secteur). Des réductions de 33 % et 21 % de l’APD américaine et britannique affecteraient négativement les récents progrès réalisés dans le domaine de la mortalité maternelle (une baisse de près de 40 % entre 2000 et 2023)6, en plus des risques d’augmentation de grossesses non désirées ainsi que des maladies sexuellement transmissibles. 

Impacts sur le secteur de l’éducation

Dans la plupart des PMA africains, l’APD est cruciale pour l’éducation. De 2021 à 2023, les États-Unis (21 %), la France (17 %), l'Allemagne (15 %), le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse ont contribué à hauteur de 64 % du total des pays du CAD dans ce secteur. Si les 33 % de réduction de l’APD américaine y étaient appliqués, les PMA seraient privés de quelque 165 millions de dollars chaque année. Selon Save the Children, l’accès à l’éducation serait coupé pour plus de 1,5 million d’enfants dans plus 20 pays, majoritairement des PMA africains7. Et pour certains pays tels que le Niger, le Rwanda (la baisse pourrait y atteindre 50 %8), la Sierra Leone, le Libéria, la République centrafricaine, la Gambie, et la République démocratique du Congo, où l’APD représente entre 20 et 50 % des dépenses totales d'éducation, l’impact des réductions serait particulièrement sévère. 

Les réductions de l’APD ont par ailleurs un coût humain dans le secteur public, avec notamment d’importantes réductions des revenus des travailleurs de la santé et de l’éducation dans des PMA tels que l’Éthiopie, le Libéria, et le Malawi, réduisant la qualité des services publics9.

Impacts sur la construction des capacités institutionnelles

L’APD joue également un rôle important dans les réformes institutionnelles visant le renforcement de la gouvernance, la gestion des finances publiques (PFM) et la mobilisation des ressources domestiques (DRM). En 2023, par exemple, environ 60 % de l’aide française au gouvernement et à la société civile était consacrée à la PFM ; au Sénégal comme dans l’ensemble des PMA, la France a contribué à près de 80 % et 70 % du total de l’APD des pays du CAD consacrée respectivement à la PFM et à la DRM. Cette dépendance envers un donateur principal (ici, la France) se traduit par une extrême vulnérabilité en cas de réduction de la contribution de ce donateur.  

Perspectives d'avenir

Les ajustements budgétaires actuels et annoncés de l'APD, de plus en plus nombreux, menacent les progrès du développement et exacerbent les vulnérabilités dans les régions les plus démunies du monde. Si les programmes de santé sont particulièrement exposés, les perturbations s'étendent à un large éventail de secteurs, de l'éducation aux réformes institutionnelles, en passant par l'agriculture et les politiques démographiques. Bien que l’autonomisation devrait être une priorité essentielle pour les PMA, une coopération internationale renouvelée et efficace reste vitale. De nouvelles approches de la coopération au développement sont nécessaires, impliquant notamment une plus grande coordination entre les différents fournisseurs d'APD, le développement du secteur privé, la promotion d'activités plus productives et le renforcement des capacités de mobilisation des ressources domestiques. 

Dans une perspective de transition, les fondations philanthropiques pourraient et devraient également jouer un rôle beaucoup plus important dans les PMA, notamment dans les secteurs de la santé et de l'éducation, et cela nécessiterait certains changements dans le mode de fonctionnement de ces organisations10.