Dans un monde où les grands déséquilibres économiques mondiaux se creusent à la faveur de dynamiques nationales et internationales structurantes, notamment des révolutions technologiques fulgurantes, et où les frictions qu’elles génèrent nourrissent les dynamiques nationalistes au sein des pays qui se concrétisent par la priorisation de la compétitivité, l’autonomie stratégique et la sécurité, le G20 fournit une plateforme plus que jamais nécessaire où les grandes économies et les puissances moyennes peuvent encore dialoguer. Comment les enjeux de développement durable y trouvent-ils leur place ? Retour sur le G20 présidé par l’Afrique du Sud.
Une plateforme de dialogue nécessaire
C’est afin de répondre aux crises financières des années 1990 et à celle de 2008 que le G20 doit son établissement et sa dynamique. Face à ces enjeux, le G20 offre une plateforme politique permettant aux dirigeants (chefs d’État, mais aussi ministres des Finances et autres, gouverneurs des banques centrales) de se rencontrer régulièrement pour faire avancer des dossiers discutés dans des groupes de travail relativement stables dans le temps. La Présidence a par ailleurs une grande latitude pour pousser des sujets plus « personnels » ; à charge des présidences suivantes de les reprendre ou non.
Une telle plateforme est précieuse alors que les antagonismes entre grandes puissances s’étalent tous les jours à la une des journaux et se concrétisent par des négociations qui tournent en rond. Les 4 présidences successivement tenues par des économies émergentes (Indonésie, 2022 ; Inde, 2023 ; Brésil, 2024 ; et Afrique du sud, 2025) ont d’ailleurs montré l’importance que ces pays accordaient à ce club limité dans ses membres mais influent par son empreinte économique, démographique et environnementale. Elles ont aussi montré leur capacité à mettre à l’agenda et faire avancer des sujets qui leur étaient chers, que ce soit la réforme des banques multilatérales de développement ou les questions d’inégalités et de pauvreté (Iddri, 2025a).
Une séquence à venir compliquée et un risque de paralysie
C’est paradoxalement au moment où le G20 semble catalyser une attention accrue pour sa pertinence à faire le pont entre grandes économies que ses capacités d’action sont testées. Les questions de coordination internationale sont de nouveau sur le devant de la scène avec des déséquilibres qui risquent de dégénérer en instabilités et en crises et des réponses politiques peu réconfortantes.
Face à cette urgence d’agir, le G20 catalyse l’attention autour de ses luttes intestines, d’un ordre quasi mondain : les États-Unis décidant de ne pas assister au sommet et la Présidence sud-africaine se retrouvant face au dilemme d’une passation en l’absence du successeur (États-Unis, 2026) et du protocole à suivre dans ces conditions. Le Communiqué final émis au nom des pays présents à Johannesburg1 témoigne de leurs efforts pour contourner ces difficultés.
Et la question se pose pour les prochains sommets : qu’est-ce qu’une présidence sceptique face au G20 va décider d’en faire ? Comment combler une année perdue sur certains sujets (avant la passation au Royaume Uni en 2027) que les États-Unis ont annoncé ne pas vouloir traiter, comme ceux portés par le groupe de travail sur climat et environnement ou celui sur la finance durable dont l’avenir est incertain ? Ou, pire, comment remédier à une situation où les déséquilibres empirent en raison d’un G20 délétère plutôt que facilitateur, s’il est avéré par exemple que l’objectif est le retour aux énergies fossiles pour nourrir les besoins du développement numérique ?
Cela fait quelques années déjà que l’incapacité du G20 à se saisir des grands enjeux est constatée : après des avancées dans le domaine climatique et malgré les appels répétés, les pays du G20, les plus émetteurs de gaz à effet de serre, semblent tourner le dos à leur responsabilité de montrer l’exemple. Leurs contributions déterminées au niveau national (les NDC) soumises dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat ont été soit tardives2, soit pas à la hauteur des attentes, et l’absence de coordination flagrante (par opposition notamment à la dynamique en cours en 2015 qui a mené à l’adoption de l’Accord de Paris).
De nouveau, le risque est réel que le G20 faillisse à se saisir de ce qui déstabilise le monde aujourd’hui, tant en termes de dynamiques économiques peu maitrisées (surcapacités en Chine, déséquilibres commerciaux américains, sous-investissement en Europe et montée de la dette généralisée, notamment dans les pays vulnérables) que de réponses politiques erratiques et non coordonnées (tarifs douaniers, course aux matières premières).
Une présidence africaine, un agenda africain
Dans ce contexte, la Présidence de l’Afrique du Sud en 2025 s’est présentée dès le début comme hautement symbolique : la première à se tenir en Afrique et où pour la première fois l’Union africaine était représentée. Elle était en outre particulièrement attendue sur sa capacité à mettre les thèmes chers au continent sur le devant de la scène3 : inégalités, dette, coût du capital et flux financiers illicites, sécurité alimentaire, transition énergétique juste et rattrapage numérique.
Sur deux sujets au moins, la Présidence a recherché les services de personnalités éminentes pour mener des rapports d’experts et proposer des recommandations de nature à faire vivre l’héritage sud-africain au-delà de la présidence et peut être pallier aussi la faiblesse des engagements pris4.
Sur la dette, le rapport d’experts commissionné par la Présidence à l’ancien ministre des Finances Trévor Manuel met en exergue, inter alia, le besoin d’un club des récipiendaires comme il existe des clubs de bailleurs5. Sur les inégalités, la Présidence a également commissionné un rapport à Joseph Stiglitz6, qui a donné lieu à l’appel relayé à la fois par des chefs d’État, des organisations de tous genres et des experts pour la mise en place d’un organe continu de suivi scientifique, une sorte de « Giec des inégalités ».
Et le développement durable ?
Que ce soit au vu de l’avancée des groupes de travail, des réunions ministérielles ou du Communiqué final, les résultats d’un point de vue environnemental strict sont limités. Deux déclarations sont sorties de la réunion ministérielle de mi-octobre 2025 : sur les crimes portant atteinte à l’environnement et sur la qualité de l’air. Elles reconnaissent toutes deux les problèmes et l’importance de les traiter, à défaut de proposer des actions collectives concrètes. Au-delà, on ne peut que constater la faiblesse de l’ambition collective sur les questions d’atténuation et d’adaptation au changement climatique, de pollution plastique et de déforestation.
Le Communiqué final fait lui-même l’impasse sur la sortie des énergies fossiles, alors même que le G20 s’était engagé à éliminer les subventions inefficaces aux énergies fossiles, et que le texte réitère l’attachement aux cibles de triplement des énergies renouvelables et de doublement de l’efficacité énergétique.
La présidence sud-africaine ne s’est saisie que marginalement des questions environnementales – qui auraient eu peu de chance d’aboutir dans la géopolitique actuelle et qui ont peut-être aussi pâti d’une tension avec les enjeux sociaux (d’où l’abandon du groupe de travail climat établi par la Présidence brésilienne au profit de trois groupes portant sur la croissance inclusive, la sécurité alimentaire, et l’intelligence artificielle). Néanmoins, les quatre priorités sélectionnées7 sont indéniablement des pièces du puzzle du développement durable importantes et des manières habiles de pousser un agenda G20 dans cette direction.
Déjà, l’Afrique du Sud peut se prévaloir de s’être saisie pleinement des enjeux liés aux nouvelles politiques industrielles. Le groupe de travail dédié à la croissance inclusive, à l'industrialisation, à l'emploi et à la réduction des inégalités a produit des Principes pour une politique industrielle durable et un cadre de gouvernance pour les minéraux critiques, qui couvre un large éventail de questions, notamment la création de valeur dans les pays producteurs. C’est clairement un sujet à suivre de près à l’interface entre G7 et G20 (entre sécurité des chaines de valeur et levier de développement pour les économies productrices), avec un point d’attention sur les impacts environnementaux qui risquent de perdre en attention. Il est bien question ici des chaines de valeur de l’économie de demain (matériaux des transitions numérique et verte), dont les bouleversements sont précisément ce que les pays du Sud ont porté comme enjeu de discussion à la COP 30 (Iddri, 2025b).
Ensuite, la présidence sud-africaine a fait progresser en visibilité les enjeux de gestion des risques liés aux catastrophes naturelles et au renforcement de la résilience – symboliquement, c’est même le premier thème abordé dans le Communiqué final. Si les discussions n’ont pas mené à des mesures concrètes, elles ont abouti à une déclaration ministérielle sur la réduction des risques de catastrophe naturelle8 et des principes de haut niveau sur l’investissement en soutien à cette réduction9. Le groupe de travail sur la finance durable s’est de son côté saisi des questions de limites assurantielles, nourri notamment par un travail technique de la Banque mondiale et du forum des régulateurs IAIS10, sur lesquelles il a proposé une série de recommandations dans le cadre de son rapport sur la finance durable 2025 (aux côtés de recommandations sur le financement de l'adaptation et les marchés des crédits carbone)11. C’est un thème qui a connu une forte résonnance à la COP 30 de Belém12, et cela devrait se poursuivre dans les années à venir.
Ces avancées auront très peu de chance d’être consolidées sous la Présidence américaine du G20, mais dessinent des domaines dont les présidences suivantes, ainsi que la Présidence française du G7, pourraient se saisir.
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V2-22-November-Final-G20-South-Africa-Summit-22-23-November-.pdf
- 2
Au 5 novembre 2025, il manquait encore les NDC de l’Inde, de la Corée et de l’Argentine.
- 3
Africa’s Moment: South Africa’s G20 Fight to Centre Development - SAIIA
- 4
South Africa’s G20 presidency: diplomatic victory, but a weak final declaration
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- 7
G20 Presidency – G20 South Africa :
1) renforcer la résilience face aux catastrophes et les capacités d'intervention ;
2) prendre des mesures pour garantir la viabilité de la dette des pays à faible revenu ;
3) mobiliser des financements pour une transition énergétique juste ;
4) exploiter les minéraux essentiels pour une croissance inclusive et un développement durable. - 8
- 9
https://g20drrwg.preventionweb.net/media/105538/download?startDownload=20251124
- 10
- 11
2025-G20-SFWG-Presidency-and-Co-chairs-Sustainable-Finance-Report_vf.pdf
- 12
Voir l’appel du “Forum for Insurance Transition to Net Zero” de l’UNEP pour un groupe de travail sur l’assurance : UN multistakeholder insurance forum calls for whole-of-society approach to reduce climate risk, improve insurability and build resilient economies