La Commission européenne a présenté mi-juillet un ensemble de textes législatifs réformant l’architecture budgétaire de l’Union européenne pour la période 2028-2034. Ces propositions seront discutées, la semaine prochaine, par les ministres des Affaires européennes réunis au sein du Conseil des affaires générales. Alors que le mandat précédent de la Commission européenne a été marqué par le Pacte vert, le nouveau cadre budgétaire et législatif proposé répond à deux priorités centrales de cette nouvelle période de programmation, tant pour la Commission que pour les États membres : la compétitivité et la sécurité. Bien que la question environnementale ne soit plus prioritaire dans l’agenda de la Commission, l’architecture proposée pour le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) n’efface pas totalement la prise en charge de ces enjeux : ce billet de blog en présente les principaux aspects et les risques que comporte cette nouvelle architecture pour le financement de mesures environnementales et climatiques.  

Tous les sept ans, l’Union européenne (UE) se dote d’un nouveau CFP qui fixe les priorités politiques et les enveloppes budgétaires qui leur sont allouées. Le CFP 2028-2034 proposé par la Commission s’articule autour de trois piliers : un Fonds unique rassemblant les politiques en gestion partagée entre la Commission européenne et les États membres – dont la politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion ; un Fonds européen pour la compétitivité, visant à renforcer la base industrielle européenne, notamment en matière de défense, et à stimuler la recherche et l’innovation dans les technologies propres et intelligentes ; et un instrument pour les actions extérieures, visant à favoriser des partenariats qui contribuent « simultanément au développement durable des pays partenaires et aux intérêts stratégiques de l'Union »1. L’architecture environnementale du CFP est définie en grande partie au sein d’un règlement unique couvrant l’ensemble des politiques financées par le budget européen : le cadre de suivi des dépenses et de performance. 

Un cadre environnemental qui renforce l’approche “mainstreaming”

L’architecture environnementale du budget européen repose actuellement sur trois leviers : (i) deux objectifs chiffrés définissant la part du budget européen devant contribuer à la réalisation d’objectifs climatiques (30 %) et en matière de biodiversité (de 7,5 % en 2024 à 10 % en 2026 et 2027) ; (ii) l’application du principe consistant à ne pas financer des politiques causant un « préjudice important » aux objectifs environnementaux (« Do No Significant Harm », DNSH) ; et (iii) un fonds dédié au financement de projets dans les domaines de l’environnement, du climat, de la biodiversité et de l’économie circulaire (le programme LIFE), doté de 5,4 milliards d'euros (Md€).

Les propositions législatives de la Commission européenne pour le CFP 2028-2034 font évoluer ce cadre. Un objectif unique de 35 % du budget européen devant être fléché vers des dépenses en faveur du climat et de l’environnement est proposé2, le principe de DNSH est harmonisé et étendu à l’ensemble du budget (hors dépenses de défense et de sécurité) et le programme LIFE est supprimé. 

Dans les propositions de la Commission, « les activités LIFE » sont intégrées au Fonds européen pour la compétitivité, au sein d’une de ses quatre « fenêtres politiques », « transition propre et décarbonation de l’industrie », dont l’objectif est de soutenir les solutions innovantes et les bonnes pratiques pour la transition et dans la « Facilité » incluse dans le Fonds unique, conçue à la fois pour soutenir les projets transnationaux et venir en aide aux États membres touchés par une crise. Cette évolution pourrait affaiblir le financement d’actions climatiques et environnementales, les activités LIFE étant d’une part mises en compétition avec d’autres priorités au sein du Fonds pour la compétitivité et de la Facilité ; d’autre part, une partie des activités ne s’inscrivant pas dans une logique de compétitivité de court terme, comme cela est le cas pour les mesures dédiées à la biodiversité, risque de ne plus être financée (Iddri, 2025a).  

La Commission renforce ainsi l’approche visant à « généraliser » (mainstreamer) les objectifs climatiques et environnementaux à l’ensemble du budget européen – à l’exception notable des dépenses de défense et de sécurité – aux dépens d’une approche consistant à penser des programmes dédiés à ces enjeux (« climate mainstreaming vs stand-alone climate policies »), à l’exception de la fenêtre « transition propre et décarbonation » déjà mentionnée et peu dotée. Son budget s’élève à 67 Md€, dont 41 Md€ sont issus du Fonds innovation qui finance déjà le développement de technologies innovantes pour la décarbonation. Ces montants sont à mettre au regard à la fois des 451 Md€ alloués au Fonds pour la compétitivité et des 2 000 Md€ du CFP dans son ensemble et plus encore au déficit d’investissements pour la transition climatique, qui s’élève à plus de 400 Md€ par an (Iddri, 2025a). 

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Montants CFP

L’absence d’une vision de long terme, d’indicateurs robustes et de dispositifs incitatifs  

Ce cadre n’est efficace qu’en présence d’une vision stratégique claire et d’indicateurs robustes. Or, d’une part, la Commission ne propose pas de vision stratégique claire, à la fois dans le recadrage des activités extérieures de l’Europe, dans la proposition d’un nouveau Fonds pour la compétitivité et dans la refonte des politiques agricoles et de cohésion. Cette absence risque de se traduire par des approches guidées par des priorités politiques de court terme au détriment du développement durable. D’autre part, les indicateurs utilisés pour définir l’atteinte de l’objectif transversal des 35 % présentent de nombreuses faiblesses. Un coefficient de 0 %, 40 % ou 100 % est attribué à chaque domaine d’intervention, établissant sa contribution à trois enjeux environnementaux : l’adaptation au changement climatique, l’atténuation du changement climatique et l’environnement. Ces coefficients permettent ensuite de calculer la part du budget européen qui contribue aux objectifs environnementaux et climatiques. Cette attribution repose sur une évaluation a priori et approximative du potentiel environnemental de chaque mesure. Plusieurs rapports ont déjà souligné les limites de cette approche et la tendance à surévaluer la contribution des politiques européennes aux objectifs environnementaux3. Cette surestimation est accentuée par le fait que, pour calculer la part de contribution à l’objectif horizontal de 35 %, c’est le coefficient le plus élevé qui est retenu.

Or, les propositions actuelles ne contiennent pas de dispositifs pour favoriser le financement de mesures et de projets bénéfiques pour l’environnement et le climat. Dans le cadre de la PAC par exemple – qui représente désormais 15 % du budget européen (bien que ce montant soit non définitif, voir Iddri, 2025b) et concentre une part importante des fonds européens alloués aux objectifs climatiques et environnementaux de l’UE –, de nombreux dispositifs qui favorisent les mesures vertes dans le cadre actuel, tels qu’un financement intégralement européen, un co-financement plus avantageux ou la pré-allocation d’une partie du budget à des mesures agroenvironnementales, ont été supprimés. Rien n’est pensé non plus dans le cadre du Fonds européen pour la compétitivité pour que les fenêtres prévoyant des investissements dans la santé ou la défense prennent en compte des exigences de décarbonation. 

La Commission comme unique garant de l’ambition environnementale : une architecture à renforcer 

Si rien n’empêche les États membres de continuer à financer des mesures bénéfiques pour l’environnement au titre de la PAC ou du Fonds pour la compétitivité, rien ne les y encourage ; au contraire, le risque de distorsions de concurrence au niveau communautaire les invite à privilégier d’autres mesures. L’ambition environnementale au sein du Fonds unique est uniquement garantie par la Commission via son implication dans l’élaboration et le suivi des plans de partenariat national et régional (PPNR), principal instrument de ce fonds. Or ce pouvoir de contrôle, peu populaire auprès des États, pourrait être affaibli, voire supprimé, lors des négociations entre le Conseil et le Parlement européen (Iddri, 2025b). Il reviendrait alors à ces deux organes de penser d’autres garde-fous à même d’assurer une ambition environnementale dans les plans nationaux des États membres. 

De même, concernant le Fonds pour la compétitivité, la proposition présentée par la Commission reste floue sur sa gouvernance et les critères de sélection des projets financés. Ces derniers seront précisés par la mise en place de programmes de travail ad hoc, adoptés par la Commission via des règlements d’exécution. L’ambition environnementale du Fonds pour la compétitivité repose ainsi également sur la seule Commission. Plusieurs organes de gouvernance sont envisagés – un « conseil des parties prenantes » et un « outil de coordination de la compétitivité » (« Competitiveness Coordination Tool ») – dont le fonctionnement et la composition sont peu détaillés dans la proposition de règlement.

Il revient désormais aux États membres et au Parlement européen de négocier, amender et adopter les textes cadrant la future architecture budgétaire de l’Union européenne proposés par la Commission. Lors des précédentes négociations portant sur le CFP 2021-2027, le Parlement européen et le Conseil avaient réussi à rehausser l’ambition environnementale des propositions de la Commission, via la mise en place d’un objectif chiffré pour la biodiversité ou le pré-fléchage d’une partie du budget de la PAC vers des mesures agroenvironnementales (les éco-régimes). Les dynamiques politiques au sein de ces deux institutions ont toutefois évolué et rien ne garantit qu’elles empruntent un même chemin cette fois. 

  • 1

     https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A52025PC0551&qid=1753799711782 

  • 2

     Cet objectif est ensuite décliné entre les différents Fonds du CFP dans l’annexe III du cadre de suivi des dépenses et de performance : 43 % de dépenses en faveur du climat et de l’environnement pour le Fonds européen pour la compétitivité, 43 % pour le Fonds unique, et 30 % pour l’instrument « Europe dans le monde ». 

  • 3

     Voir par exemple Begg, I., & et al. (2024). Performance and mainstreaming framework for the EU budget [Study requested by the BUDG Committee]. European Parliament.