Si la COP 30 entend réaliser des avancées majeures sur la question de la mise en œuvre des objectifs de l’Accord de Paris sur le climat, priorité de la présidence brésilienne, il sera essentiel de s'appuyer sur les enseignements tirés au niveau national afin de garantir une compréhension globale de toutes les dimensions des besoins de transformation. Dix ans après l'adoption de l'Accord de Paris, l'initiative Deep Decarbonization Pathways propose dans un rapport publié il y a quelques semaines une évaluation approfondie de l'état et du rythme des transitions nationales, mettant en évidence à la fois les progrès concrets et les lacunes à combler.

Au-delà des contributions déterminées au niveau national

Les engagements nationaux en matière d'atténuation des GES sous la forme de contributions déterminées au niveau national (CDN) constituent la partie la plus visible de ce qu'impliquent les transitions compatibles avec l'Accord de Paris au niveau national. Les CDN restent un mécanisme essentiel pour fixer des objectifs nationaux et fournir une feuille de route claire pour la réduction des émissions à court terme. Au-delà de cette perspective quinquennale, cependant, une image plus large et plus complexe des besoins de transition doit être décrite en détail. La mise en œuvre complète des objectifs climatiques de l'Accord de Paris nécessitera en effet une représentation exhaustive des moteurs de la transition et des transformations structurelles qui rendront possible la neutralité carbone au niveau national.

C'est dans ce contexte que l'initiative Deep Decarbonization Pathways (DDP), s'appuyant sur ses solides partenariats internationaux, s'est efforcée de proposer cette vision plus large des transformations à long terme (DDP-Iddri, 2025). Des évaluations nationales détaillées ont été réalisées par des experts du climat et des politiques climatiques de 21 pays et unions économiques1, représentant environ 70 % des émissions cumulées mondiales. Les dimensions qui ont façonné les transitions nationales au cours de la dernière décennie comprennent notamment : l'évolution des cadres nationaux de gouvernance climatique, les liens entre science et politique, l'appropriation des objectifs climatiques par les parties prenantes nationales, les moteurs sous-jacents du changement transformateur, l'élaboration de politiques sectorielles de transition, les liens entre politique climatique et politique industrielle, les impacts sociaux de la transition et les besoins d'une transition juste. Le rapport DDP met également en évidence les domaines sur lesquels les efforts doivent désormais porter, tant au niveau des cadres nationaux de gouvernance et de politique que par le biais d'approches innovantes qui doivent se refléter dans la coopération internationale.

Gouvernance climatique 

Au niveau national, l'Accord de Paris a favorisé l'émergence et l'adoption généralisée de nouvelles approches en matière de gouvernance climatique. Les mandats, les organismes et les processus axés sur le climat sont désormais largement devenus la norme. Au cours de la dernière décennie, plusieurs pays ont vu apparaître un large éventail d'institutions gouvernementales spécialisées, notamment des ministères chargés du climat, des points focaux infranationaux, des agences d'experts et des organismes techniques chargés de suivre l'évolution des politiques climatiques. La participation de la société civile, du secteur privé et des communautés locales a contribué à façonner les politiques climatiques dans de nombreux pays, notamment grâce à des plateformes de consultation dédiées.

Les approches fondées sur la science, s'inscrivant dans une perspective à long terme et impliquant divers acteurs, sont désormais beaucoup plus répandues, ce qui contribue à faire des questions climatiques une priorité dans la prise de décision. Les capacités techniques nationales en matière d'analyse et de projection des scénarios climatiques ont été renforcées. Les objectifs nationaux zéro émission nette (dont certains ont été inscrits dans les lois nationales sur le climat) sont nettement plus répandus, les stratégies à long terme pour des émissions faibles (LT-LEDS en anglais) étant de plus en plus utilisées comme référence pour la conception des politiques sectorielles.

La poursuite des progrès dépendra de l'amélioration de l'efficacité de ces nouvelles formes de gouvernance. Pour cela, il faudra surmonter les défis liés à la coordination et mettre en place des structures de gouvernance solides, capables de gérer les compromis politiques, d'assurer la cohérence des politiques et l'orientation à long terme, et de parvenir à un large consensus face au changement. Les pays doivent mettre en place ou renforcer des processus nationaux qui rassemblent les pouvoirs publics, les entreprises, la société civile et les acteurs locaux afin de définir les mesures à prendre en matière de climat. Ces processus doivent garantir la représentation de divers points de vue, en particulier ceux des acteurs économiques et financiers, tout en plaçant la vision à long terme au cœur du processus décisionnel. Il s'agit là d'une des principales caractéristiques juridiques que l'Accord de Paris introduit dans les contextes politiques nationaux.

Compte tenu de l'ampleur et de la spécificité des transformations requises par l'Accord de Paris, il est essentiel de mettre en place des structures de gouvernance spécialement conçues pour atteindre ces objectifs, plus à même de répondre aux besoins de coordination et de gérer les compromis et les négociations politiques inévitables dans un contexte de changement transformationnel. Les chevauchements entre les différentes structures de gouvernance nationales sont probablement inévitables. Ils sont également susceptibles d'être nécessaires pour traiter des questions complexes et systémiques telles que le changement climatique. Néanmoins, une définition claire des rôles, des mandats et des responsabilités, ainsi qu'une coopération pratique entre les institutions nationales, devraient être une priorité pour garantir une gouvernance efficace.

Lorsque des priorités concurrentes apparaissent, ces structures peuvent aider les gouvernements à résoudre les tensions et à soutenir les politiques qui donnent la priorité aux objectifs climatiques. La science doit jouer un rôle central dans ces processus, en contribuant à la conception de politiques efficaces, à la comparaison des différentes options et voies possibles, ainsi qu'à l'évaluation et au suivi de leur mise en œuvre. Il est essentiel de renforcer l'appropriation locale des données, des modèles et des scénarios, afin que les stratégies nationales soient guidées par des données factuelles fournies par les pays et ancrées dans le contexte national.

Politiques de transition

Au cours de la dernière décennie, les politiques nationales ont efficacement soutenu la tendance mondiale en faveur des technologies décarbonées, permettant ainsi d'accélérer leur développement et leur mise en œuvre pratique. Cela vaut pour un certain nombre de secteurs. En revanche, peu de mesures proactives ont été prises pour préparer l'évolution à long terme des infrastructures et des comportements nécessaires pour atteindre la neutralité carbone. Parallèlement, les liens étroits entre les priorités climatiques et sociales sont de plus en plus reconnues et prises en compte, ainsi que la nécessité d'articuler les politiques climatiques avec les politiques industrielles, commerciales et autres politiques socio-économiques.

Les politiques de transition soulèvent de nombreuses préoccupations au niveau national : les questions de sécurité, de compétitivité et d'emploi, ainsi que la gestion des répercussions sociales des mesures climatiques, en particulier le risque d'accroissement des inégalités et de la pauvreté. Ces préoccupations ont suscité une certaine résistance et, dans certains cas, ralenti ou réduit les ambitions climatiques.

L'accélération des transitions nationales au cours de la prochaine décennie nécessite des mesures globales (notamment des plans de développement et d’investissement) et une coordination des politiques. Dans les domaines où des solutions techniques sont déjà disponibles, les politiques nationales doivent créer les conditions propices à une réduction immédiate des émissions. Elles doivent également encourager les changements structurels à long terme nécessaires en apportant un soutien ciblé au développement des infrastructures, en accélérant la mise sur le marché de nouvelles options techniques et en encourageant les changements de comportement. Les politiques nationales en matière d'infrastructures de distribution d'énergie, qui n'ont pas suscité de changements à l'échelle et au rythme nécessaires pour construire des réseaux électriques robustes et flexibles capables d'intégrer une part importante de sources d'énergie intermittentes, illustrent bien ces défis dans plusieurs pays.

En outre, les politiques publiques devraient jouer un rôle essentiel pour accompagner les mutations économiques et industrielles structurelles et renforcer les synergies entre les agendas climatiques, industriels et économiques. À l'heure où de nombreux pays élaborent ou révisent leurs politiques industrielles, il serait très utile de les comparer aux objectifs de transformation à long terme nécessaires à l'ensemble de l'économie, tels que ceux impliqués par la décarbonation. Dans les économies dépendantes du commerce international, par exemple, les ajustements industriels sont souvent motivés par l'évolution de la concurrence internationale. À mesure que les chaînes de valeur et les biens se décarbonent, les pays sont incités à adopter des mesures nationales proactives pour réduire la teneur en carbone des industries manufacturières légères, afin de maintenir ou de gagner des parts de marché à l'international. Dans de nombreux pays, cependant, l'intégration des agendas climatiques et industriels ne s'est pas traduite par des stratégies concrètes, malgré une convergence émergente dans les discours politiques.

En intégrant les ambitions climatiques dans le développement industriel, les pays peuvent accélérer la décarbonation tout en favorisant une croissance économique durable et la résilience. Les politiques publiques doivent également gérer les impacts socio-économiques de la transition. Il existe de nombreux exemples de processus politiques bien conçus qui répondent à ces objectifs. Pour répondre de manière cohérente à toutes ces exigences, la conception de paquets de mesures politiques doit s'appuyer sur une perspective stratégique nationale claire.

Coopération internationale

Les conditions propices aux transitions nationales sont également largement déterminées au-delà des frontières nationales. Il est donc essentiel de renforcer la coopération internationale pour soutenir une plus grande ambition climatique nationale. À cette fin, la communauté internationale peut désormais s'appuyer sur un règlement pleinement opérationnel de l'Accord de Paris. Les processus internationaux existants, tels que le Bilan mondial, peuvent constituer le cadre idéal pour ces efforts. De nouvelles approches doivent néanmoins être adoptées afin de mieux placer les besoins et les priorités des pays au centre des préoccupations. Le rapport DDP identifie trois domaines dans lesquels des améliorations spécifiques de la coopération internationale seraient nécessaires pour permettre une plus grande ambition nationale au cours de la prochaine décennie.

Premièrement, les mécanismes financiers internationaux devraient garantir que les flux de financement soutiennent efficacement les besoins d'investissement dans l'innovation technologique et le développement des infrastructures, en particulier dans les pays en développement. Cette approche pourrait être intégrée de manière transparente dans les discussions sur les plateformes pays.

Deuxièmement, les processus internationaux doivent permettre une meilleure connaissance des technologies existantes et mettre en relation les pays concernés afin de favoriser une diffusion efficace. Le déploiement à grande échelle des technologies les plus avancées dans tous les pays est en effet une nécessité pour soutenir les transitions nationales.

Troisièmement, une nouvelle approche de la politique commerciale est nécessaire pour garantir l'alignement sur les objectifs zéro émission nette. Les politiques commerciales doivent évoluer d'un modèle basé sur la concurrence vers un modèle favorisant la collaboration. Cette approche de la double transition industrielle et climatique serait l'occasion de repenser les termes des partenariats et le partage de la valeur dans les chaînes de valeur existantes. Une telle approche innovante permettrait de débloquer les avantages partagés des transitions industrielles et de supprimer certains des obstacles structurels qui entravent les ambitions nationales dans des secteurs critiques.

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     20 pays plus l'Union européenne.