La quatrième Conférence internationale sur le financement du développement (FfD4), qui s’est tenue à Séville en Espagne, s’est conclue par l’adoption du Compromiso de Sevilla, un texte qui réaffirme l'importance de l'Agenda 2030 pour le développement durable (et des ODD) et de son financement. Ce document marque une étape importante, à la fois comme signal politique dans un contexte géopolitique tendu, et comme socle d’engagements concrets, qu’il faudra désormais traduire en actions.
Un contexte particulier : l’absence des États-Unis
La déclaration nommée Compromiso de Sevilla (« Engagement de Séville ») a permis, comme celle d’Addis Abeba il y a 10 ans1 dans un contexte beaucoup plus coopératif, de conforter un consensus sur les enjeux du financement des économies des pays en développement, et d’apporter quelques réponses nouvelles. Si le consensus de Washington2 avait été dénoncé par certains pays comme la vision des principales institutions financières internationales imposée aux pays en développement, l’Engagement de Séville a cherché un équilibre entre plusieurs visions des responsabilités et des solutions à apporter. Ce compromis n’a pu être trouvé qu’en l’absence des États-Unis, l’ensemble des pays ayant privilégié le renforcement de la coopération internationale, ce qui constitue un signal politique fort dans un contexte où le multilatéralisme est malmené.
L’Europe et les pays du G7, qui ont validé ce Compromiso, ont notamment intérêt à montrer aux pays les plus vulnérables et les plus pauvres leur engagement à leurs côtés : la bonne santé économique, la stabilité financière et le développement durable dans ces pays est en effet un bien commun qui bénéficiera aussi aux pays du Nord pour leur propre stabilité financière en ce qu’il permet l’émergence de nouveaux marchés, de la sécurité d’approvisionnement par la coopération dans les chaînes de valeur, et des relations politiques stabilisées par la coopération à long terme.
Une mise en œuvre cruciale, et complexe
La valeur de l’Engagement de Séville se jugera à la mise en œuvre concrète des dispositions proposées, censée être facilitée par un soutien aux institutions et aux compétences des pays du Sud et aux échanges d’expérience entre tous les pays, ainsi que par une amélioration de la collecte et de l’accès aux données visant à faciliter une prise de décision éclairée et un suivi et une évaluation des mesures prises efficaces. Le texte est toutefois moins ambitieux sur le suivi qu’initialement espéré, mais il prévoit la tenue de dialogues de haut niveau sur le financement du développement (FfD) par l'Assemblée générale des Nations unies tous les quatre ans. Et, fait nouveau, il encourage les pays à désigner des points focaux nationaux pour le FfD (au sein des ministères des Finances et autres ministères concernés) et à envisager la création de plateformes interministérielles pour une meilleure coordination. Parallèlement, les processus de suivi régionaux sont renforcés afin d’assurer des rapports réguliers sur les progrès et les priorités au niveau régional, avec l’appui des commissions économiques régionales. Ces mécanismes visent collectivement à garantir une transparence accrue, une meilleure reddition des comptes et une adaptation continue des stratégies de financement pour le développement durable. Enfin, la mise en place de la Seville Platform for Action (SPA)3 contribuera à traduire les 130 engagements repris dans le Compromiso de Sevilla en actions concrètes et mesurables.
Fiscalité internationale
Toutefois, en l’absence des États-Unis, la mise en œuvre de certaines dispositions du texte sera compliquée. Par exemple, que peut faire une coalition de volontaires sur la taxation internationale des multinationales si les États-Unis s’en désolidarisent et réussissent à pousser les pays du G7 à exempter les entreprises américaines, elles-mêmes désormais non soumises au contrôle de lutte contre la corruption ? L’Engagement de Séville trouve un chemin politique pour faire droit à la fois à l’accord trouvé à l’OCDE dans son cadre inclusif 4et aux demandes de nombreux pays du Sud de négocier un nouvel accord à l’ONU, mais ce sont, finalement, face aux stratégies de cavalier seul des États-Unis, les dispositions très concrètes qui s’avèrent les plus efficaces : transparence et rapportage sur les entreprises transnationales, soutien à la lutte contre l’évasion fiscale.
Dette
Sur la dette, enjeu considéré par tous les acteurs comme particulièrement critique, le G20 et son « cadre commun » sont un espace clé de négociation et de pression mutuelle entre créditeurs traditionnels du Club de Paris et nouveaux créditeurs, avec au premier chef la Chine. Mais le texte cherche là aussi à faire droit aux demandes des pays du Sud de porter cette discussion au niveau des Nations unies, plutôt que du seul G20, et prévoit un renforcement des alliances entre emprunteurs, afin qu’ils puissent mieux coordonner et faire entendre leur voix, et donc gagner en pouvoir de négociation. C’est dans ce cadre que les discussions en marge de la conférence de Séville ont notamment mis en lumière l’idée de mettre en place un cadre réunissant les pays emprunteurs et doté d’un secrétariat permanent, à l’instar du Club de Paris. Toutefois, cette instance sera-t-elle en capacité de mieux traiter et plus rapidement ces négociations extrêmement complexes ?
Enfin, le texte entérine aussi des principes de transparence en matière de crédit et d’emprunt ; Il invite le Secrétaire général des Nations unies à réunir un groupe de travail conjointement avec le FMI et la Banque mondiale, et dont la mission sera de proposer un ensemble consolidé de principes directeurs volontaires sur l'emprunt et le prêt souverains responsables, ainsi que des propositions pour leur mise en œuvre.
Ressources financières
Les engagements en termes de volumes financiers sont réaffirmés, mais vont être difficiles à tenir, là encore sans les États-Unis et dans un contexte de contraintes budgétaires très fortes dans les pays du Nord. Le texte ne prévoit pas de nouvelles ressources publiques, même si Séville a été l’occasion, en marge de la conférence, et dans le cadre de la Plateforme pour l’action de Séville, de consolider le soutien d’une coalition de pays à des formes de taxation internationale, comme sur les billets d’avion business et première, qui pourraient donc être amenées à se concrétiser prochainement.
Le Compromiso de Sevilla envoie cependant un signal politique fort des actionnaires des banques multilatérales de développement, s’appuyant sur la feuille de route pour l’évolution de la Banque mondiale et sur les réformes entreprises par d’autres banques multilatérales de développement, avec l’engagement de tripler la capacité d’intervention de ces institutions. Pour que ces éléments se traduisent en faits sur le terrain, il faudra éviter que la présidence américaine du G20 en 2026 ne ralentisse la dynamique créée par les présidences brésilienne (2024) et sud-africaine (2025) à ce sujet. Et des signaux forts de l’Europe, de la Chine, du Brésil ou de l’Inde seront essentiels pour aider, dans le cadre multilatéral, la présidence sud-africaine du G20 et la présidence brésilienne de la COP 30 sur le climat à concrétiser ces sujets dès cette année.
Coût du capital
Sur le sujet du coût du capital, des dispositifs sont également mis en place (une réunion de haut niveau sur les notations financières à l’ECOSOC) ou des standards sur les évaluations du risque. Sans champions pour les faire vivre, ces dispositifs ne pourront pas avoir d’impact, mais ils reconnaissent l’importance de ces sujets et viennent appuyer une discussion difficile en G20 (commission Trevor Manuel).5
Renforcer les pays et les acteurs du financement
Concernant les efforts pour améliorer l’architecture de la coopération au développement au niveau national, le texte pointe l’importance de mettre en place ou de renforcer les plateformes de coordination nationales (telles que les Integrated National Financing Frameworks6 déjà présents dans le texte d’Addis Abeba) pour soutenir les plans/stratégies de développement des pays. Cela s’inscrit clairement dans une volonté de renforcer/transférer (enfin) l’appropriation et le leadership des pays récipiendaires. Plusieurs engagements y font référence : il est ainsi question d'explorer la mise en place ou le renforcement de plateformes de coordination nationales inclusives et dirigées par les pays (une référence, sans les nommer explicitement, aux plateformes pays [Iddri, 2025]) pour soutenir ces plans et stratégies nationaux, tout en soulignant que de telles plateformes ne devraient pas être une condition préalable à la réception de l'aide au développement.
Dans cette même logique de renforcement des pays les plus vulnérables s’inscrit l’enjeu de la mobilisation des ressources domestiques (DRM), sujet sur lequel le renforcement des capacités est fondamental et où le texte fait des avancées concrètes et déterminantes si la mise en œuvre est prise au sérieux par tous les pays. Le texte souligne notamment l’engagement des partenaires de développement à doubler leur soutien aux programmes liés à la DRM dans les pays en développement d’ici 2030, tout en tenant compte de leurs priorités respectives. Cela inclut l'élargissement de l'assiette fiscale, le renforcement des politiques et des administrations fiscales, la rationalisation des dépenses publiques, ainsi que la mise en place de cadres juridiques appropriés. En matière de lutte contre les flux financiers illicites et l’évasion fiscale, il s'agit de mettre en œuvre les règles globales anti-érosion de la base d'imposition, de renforcer la capacité de détection des administrations douanières, ainsi que le rôle des médias et de la société civile dans la dénonciation. Dans cette optique, la déclaration de l’Addis Tax Initiative (ATI) sur le Compromiso7 a identifié quatre domaines d’action pouvant aider à mettre en œuvre les engagements de Séville en matière de DRM.
Enfin, fait nouveau par rapport à Addis Abeba, le Compromiso de Sevilla insiste sur le rôle stratégique des banques publiques de développement, en particulier les banques nationales de développement, dans la mobilisation de ressources à long terme pour le développement durable. Le texte appelle à renforcer leurs capacités institutionnelles, à aligner leurs mandats sur les Objectifs de développement durable, et à établir des dispositifs de sauvegardes sociales et environnementales. Il encourage une coopération accrue avec les banques multilatérales de développement, dans une logique de complémentarité et de coordination au service des priorités nationales. Il s’agit aussi de promouvoir des modèles économiques adaptés au risque, capables de soutenir des approches innovantes de financement tout en préservant leur soutenabilité financière.
Replacer les pays en développement au cœur des flux mondiaux
Sur le commerce, les investissements et l’évolution des chaînes de valeur, le texte met l’accent sur le renforcement des capacités et sur le développement des infrastructures afin de permettre une plus grande participation des pays en développement (PED) dans les chaînes de valeur régionales et mondiales. L'augmentation de la valeur ajoutée locale et la valorisation des minéraux critiques et des produits de base pour la diversification économique de ces pays sont également mentionnées. De même que l’engagement à accroître l'aide au commerce, en consacrant au moins 50 % de celle-ci à la construction d'infrastructures commerciales dans les pays les moins avancés. Cette mise à l’agenda est très utile, mais des forums de négociations ad hoc devront être identifiés. Le processus de réforme des dispositifs de règlement des différends entre États et investisseurs fait l’objet d’une disposition très concrète : la création d’un centre chargé de conseiller sur la résolution internationale des différends.
Sur ces différents points, ayant pour objectif d’attirer de nouveau les investissements dans les pays du Sud, qu’ils ont déserté depuis les crises récentes (Covid-19 notamment), de nouveaux types de partenariats d’investissement, notamment entre l’Europe et d’autres grands acteurs (en dehors des États-Unis), pourront jouer un rôle important dans la mise en œuvre de ces engagements.
Conclusion
S’il est loin d’être parfait, le Compromiso de Sevilla pose des jalons qui pourraient devenir importants dans un contexte international difficile. Il renforce le multilatéralisme, réaffirme des principes de solidarité et propose des solutions concrètes. Mais il ne sera crédible que si les engagements pris se traduisent en actions tangibles. La balle est désormais dans le camp des gouvernements, des institutions financières internationales, mais aussi des coalitions régionales et des acteurs nationaux. Car dans un monde de plus en plus fragmenté, la mise en œuvre rapide et cohérente de ces engagements est non seulement une question d’efficacité, mais aussi de légitimité politique.