Les 24 et 25 novembre prochains, les dirigeants africains et européens doivent se réunir à Luanda, en Angola, à l'occasion du 7e Sommet Union africaine-Union européenne (UA-UE). Parallèlement, les représentants du secteur privé discuteront de nouvelles pistes d'investissement et de coopération lors du Sommet des entreprises UA-UE. En Afrique comme en Europe, les politiques industrielles vertes évoluent, avec un intérêt particulier pour les secteurs de la mobilité, des minéraux et de l'agroalimentaire, qui présentent un intérêt stratégique pour les deux continents. Les environnements politiques et les conditions d'investissement deviennent plus favorables, à la faveur notamment des engagements ambitieux pris récemment lors du 2e Sommet africain sur le climat et dans le cadre du Pacte pour une industrie propre et de la vision énergétique et climatique de l'UE. Mais ces engagements ne sont pas toujours alignés, et la guerre commerciale mondiale ainsi que la course à la compétitivité dans les secteurs verts ne favorisent pas toujours les partenariats stratégiques à long terme et les jeux à somme positive. Ce billet de blog présente trois propositions visant à promouvoir une telle vision à long terme et de nouveaux outils de partenariat commerciaux et d'investissement efficaces qui pourraient aider l'Afrique et l'Europe à gagner en compétitivité.
Note : ce billet s'appuie sur les discussions animées par le réseau Ukama Afrique-Europe lors d'un dialogue organisé le 17 octobre 2025, « Forger des partenariats industriels verts entre l'Europe et l'Afrique : nouvel élan, opportunités et obstacles ».
Proposition n° 1 : du commerce transactionnel à l'interdépendance stratégique
La demande mondiale en matière de matériaux critiques et des importantes ressources énergétiques renouvelables provenant d'Afrique est en plein essor, mais cela présente un risque « existentiel », celui de reproduire l'ancien modèle extractif ou de créer des « enclaves vertes », soit des projets à grande échelle qui génèrent de la richesse mais restent largement déconnectés des économies locales et ne parviennent pas à enclencher une transformation plus large. Les partenariats africains doivent donc viser un degré croissant de valeur ajoutée en aval. Dans ce contexte, l'intensification de l'activité industrielle verte peut être conçue pour répondre à la fois aux marchés d'exportation et aux besoins nationaux.
L'Afrique pourrait par exemple exporter de l'hydrogène vert, mais l’essentiel de son potentiel réside dans la création de valeur ajoutée. L'hydrogène vert peut en effet jouer un rôle clé dans les produits à forte valeur ajoutée et à forte intensité énergétique : le minerai de fer briqueté à chaud (HBI en anglais) vert et l'acier vert sont des exemples parfaits pour l'exportation, tirant parti des énergies renouvelables à faible coût de l'Afrique utilisées pour créer des produits intermédiaires à bas prix et faible teneur en carbone pour les secteurs industriels traditionnels européens ; parallèlement, les engrais verts à usage domestique répondent immédiatement à un défi continental, en réduisant la dépendance vis-à-vis des importations coûteuses et en renforçant la sécurité alimentaire ; enfin, la production de carburants verts alternatifs pour les transports pourrait bientôt ouvrir de nouveaux marchés tant pour l'exportation que pour les besoins domestiques.
Cependant, les investissements et le développement à grande échelle qui en découle ne pourront se produire en l'absence de modèles économiques viables. Pour l'HBI/l'acier verts, la viabilité repose sur une compétitivité durable au niveau mondial en termes de coûts et doit s'appuyer sur des politiques favorables, un approvisionnement massif, à long terme et à faible coût en énergie, ainsi que sur des accords d'achat prévisibles avec les consommateurs mondiaux afin de réduire les risques liés à l'investissement. Quant aux engrais verts, la viabilité est assurée lorsque la production locale permet de réduire les coûts et d'offrir une disponibilité plus prévisible que les importations, ce qui, compte tenu de la structure du marché mondial des engrais et de la forte dépendance de l'Afrique à l'égard des importations, constitue une perspective viable à court terme.
Une approche stratégique permet de réduire les risques liés à l'investissement en liant les recettes d'exportation au développement national, garantissant ainsi que la croissance verte soit véritablement inclusive et crée les milliers d'emplois potentiels dans des parcs industriels bien structurés. L'Afrique peut devenir un pôle mondial de fabrication verte, mais seulement si les décideurs politiques, les investisseurs et les leaders industriels embrassent une nouvelle ère d'interdépendance compétitive en développant des capacités de production là où cela est le plus judicieux sur les plans économique et climatique et en termes de développement.
Proposition n° 2 : aligner les capitaux sur les initiatives panafricaines et les clusters régionaux
L'ambition de l'Initiative pour l'industrialisation verte de l'Afrique (AGII en anglais) a été renforcée par les engagements pris récemment lors du 2e Sommet africain sur le climat (Iddri, 2025), qui ont donné une orientation stratégique cruciale à la transition économique verte du continent. Cette intention a été fortement soutenue par les institutions financières africaines, notamment la Banque africaine de développement et Afreximbank, qui ont signé un cadre de coopération, s'engageant à mobiliser plus de 100 milliards de dollars pour des projets AGII à grande échelle, ce qui constitue un signal fort pour les investisseurs mondiaux.
Pour mettre en œuvre cette vision, la Zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA en anglais) est une pièce maîtresse du puzzle, en ce qu’elle transforme l'Afrique en un vaste marché unique, indispensable pour la mise à l'échelle et l'intégration nécessaires à l'investissement industriel en clusters, sur l'ensemble de la chaîne de valeur, de la mine au produit. Par exemple, le cluster des métaux pour véhicules électriques en Afrique australe nécessite des investissements intégrés dans l'exploitation minière, le raffinage et la fabrication de composants, que le marché unifié de l’AfCFTA contribue à soutenir. Ce cadre encourage des politiques coordonnées qui rendent ces projets panafricains couvrant l'ensemble de la chaîne de valeur compétitifs à l'échelle mondiale, accélérant ainsi l'objectif stratégique de dépasser la simple extraction pour passer à une industrie verte résiliente.
Le soutien financier de l'AGII témoigne d'un engagement clair en faveur de la création de corridors industriels verts compétitifs. Les partenaires internationaux sont désormais invités à aligner leurs capitaux sur cette orientation prise par l'Afrique. Une intégration ciblée dans les chaînes d'approvisionnement mondiales et la mise à profit du potentiel inhérent de l'Afrique en matière de compétitivité climatique peuvent donner lieu à des investissements commercialement viables qui permettront de créer une base manufacturière durable et compétitive à l'échelle mondiale, source de prospérité partagée.
Proposition n° 3 : faciliter les investissements et supprimer les barrières commerciales, vers de nouveaux modèles de partenariat
L'UA et l'UE font progresser leurs stratégies industrielles respectives, et le 7e Sommet UA-UE est l'occasion idéale de réévaluer la manière dont les outils commerciaux et d'investissement peuvent être mobilisés pour stimuler un développement industriel propre tout en approfondissant la coopération entre les deux régions. L'alignement des objectifs de politique intérieure et de politique économique extérieure nécessite de dépasser les méthodes traditionnelles, d'identifier et de supprimer les obstacles au commerce et à l'investissement dans les chaînes d'approvisionnement propres, tout en explorant de nouvelles approches de coopération internationale adaptées au contexte géopolitique actuel, où les deux parties sont confrontées à des pressions pour décarboner, diversifier leurs chaînes d'approvisionnement et attirer les investissements dans des secteurs stratégiques.
Ces dernières années, de nouveaux modèles de partenariat entre l'UE et les économies africaines ont vu le jour, sur lesquels capitaliser désormais : ils combinent les outils traditionnels de commerce et d'investissement avec des instruments plus ciblés, axés sur la politique industrielle. L'accord sur la facilitation des investissements durables (SIFA en anglais) en est un exemple. Le premier accord de ce type a été conclu entre l'UE et l'Angola en 2024 dans le but d'attirer, de développer et de retenir les investissements directs étrangers (IDE). Il combine des mesures traditionnelles de facilitation des investissements, visant à simplifier les procédures administratives, à renforcer la transparence et à améliorer la prévisibilité pour les investisseurs étrangers, avec des dispositions destinées à orienter les investissements vers des objectifs de développement durable. Bien qu'il soit trop tôt pour évaluer son impact sur les flux d'investissement, le SIFA offre un cadre prometteur pour un pays comme l'Angola, dont l'économie reste fortement dépendante des combustibles fossiles, afin d'attirer des investissements plus diversifiés et plus durables. S'appuyant sur cette expérience, l'UE négocie actuellement un SIFA avec la Côte d'Ivoire et prévoit d'entamer des négociations avec l'Égypte, le Nigeria et le Ghana. Le véritable test consistera à déterminer si cet outil peut être adapté de manière flexible aux contextes économiques, aux besoins d'investissement, aux profils et aux priorités nationales très différents des partenaires africains, et quel type d'investissement il permettra d’attirer.
Le tout premier partenariat pour le commerce et l'investissement propres (CTIP en anglais) conclu entre l'UE et l'Afrique du Sud, qui devrait être finalisé lors du sommet du G20 à Johannesburg, illustre également la fusion entre l'ancien et le nouveau. Le CTIP cible des secteurs à forte valeur ajoutée tels que les véhicules électriques (VE), les batteries, l'hydrogène vert et les carburants durables pour l’aviation, soutenus par un programme d'investissement Global Gateway dédié, intégrant le commerce, l'investissement, le développement durable et la politique industrielle dans un cadre unique. Il est intéressant de noter que le CTIP a permis de repenser les règles d'origine (ROO en anglais) pour les VE, qui ont longtemps été considérées comme un obstacle à la transition des véhicules thermiques vers les VE, selon l'évaluation ex post de l'accord de partenariat économique (APE) entre l'UE et la Communauté de développement de l’Afrique australe (CDAA) réalisée par la Commission européenne. Avec trois véhicules sur quatre produits en Afrique du Sud exportés vers l'UE, les règles d’origine actuelles, qui déterminent la nationalité économique d'un produit, pourraient empêcher les VE de bénéficier d'un traitement préférentiel à droits de douane nuls, compte tenu de la dépendance à l'égard des batteries provenant d'Asie, qui représentent une part importante de la valeur du véhicule. La conception de règles d'origine spécifiques aux VE et adaptées aux chaînes d'approvisionnement UE-CDAA pourrait ainsi faciliter le commerce des VE tout en encourageant les investissements dans la fabrication de batteries dans les deux régions. Cet exemple illustre les obstacles au commerce et à l'investissement qui doivent être surmontés et souligne la nécessité de trouver des solutions innovantes et adaptées au contexte afin de favoriser un développement industriel propre dans les deux régions.
Le sommet UA-UE va se tenir dans un contexte géopolitique complexe, marqué par des changements de priorités et d'alliances. Les ambitions en matière d'industrialisation verte doivent toutefois trouver un écho sur les deux continents. L'UE reste le premier partenaire commercial (les flux commerciaux entre l'UE et l'Afrique ont atteint environ 355 milliards d'euros en 20241), d'investissement et de développement de l'Afrique. Elle a récemment annoncé, lors du Global Gateway Forum2, son soutien à l'Initiative Afrique-Europe pour l'énergie verte (AEGEI en anglais) lancée lors du dernier sommet UA-UE (2022), avec une enveloppe supplémentaire de 618 millions d'euros destinée à développer les énergies renouvelables en Afrique.
Dans le contexte en rapide évolution des initiatives de politique industrielle sur les deux continents et de la diversification des partenariats et des alliances, les trois propositions développées ci-dessus pourraient contribuer à ancrer les partenariats dans une vision à plus long terme et mutuellement bénéfique de la compétitivité et à donner la priorité aux investissements durables dans la diversification économique et les pôles industriels régionaux.