Talanoa Dialogue

Après le cadrage de la semaine dernière sur la session de négociations de Bonn sur le changement climatique, nous proposons ici une réflexion sur le lancement d’un processus qui s’étendra sur une année : le dialogue de Talanoa.

 

Qu’est-ce que le dialogue de Talanoa ? Initialement appelé « dialogue de facilitation» dans le texte de l’accord de Paris, ce processus a avant tout deux objectifs : « faire le point sur les efforts collectifs des Parties » concernant les progrès accomplis vers la réalisation de l’objectif à long terme de neutralité carbone, et « orienter la préparation des contributions déterminées au niveau national » (décision 1/CP.21, paragraphe 20). La présidence fidjienne a renommé ce processus Talanoa – en référence à un mode de discussion traditionnel fidjien visant à résoudre les tensions – dans le but de « partager des histoires, construire de l’empathie pour pouvoir prendre des décisions sages dans le sens de l’intérêt collectif ».

Une première étape technique s’est déroulée dimanche dernier, et une phase politique impliquera des ministres à l’occasion de la COP24. L’Iddri y a participé, auprès de représentants de tous les pays et de plus d’une centaine d’organisations – des villes aux entreprises, en passant par des institutions de recherche et des ONG de plaidoyer... Divisés en groupes et assis en cercles, les participants ont échangé de courtes « histoires » sur les initiatives actuelles en matière de climat, l’ambition nécessaire, ainsi que les possibles solutions et obstacles devant être surmontés pour en faire une réalité.

 

Lire la contribution de l'Iddri au dialogue de Talanoa :

L’objectif principal de la présidence fidjienne semblait être de créer une atmosphère d’ouverture, d’empathie, d’optimisme et d’urgence. À cet égard, le Talanoa a été une réussite indéniable, grâce à la large participation des acteurs non étatiques, l’encouragement à partager des histoires et des solutions personnelles, mais aussi aux fréquents appels de tous à agir. Les pays ont présenté les actions menées au niveau national, ce qui a parfois donné lieu à des échanges intéressants. Dans le cadre des négociations internationales, souvent controversées et soumises aux tactiques et postures diplomatiques, ce changement de méthode de travail a sans aucun doute été un défi, qui a été relevé malgré la résistance initiale : faire parler les pays d’empathie constitue en soi un exploit, et de nombreux pays ont déclaré qu'ils considéraient cette première phase comme une réussite.

 

Cependant, les premiers résultats de ce processus soulèvent deux questions urgentes, essentielles pour la réussite à long terme de l’accord de Paris. Premièrement, on est encore loin d’avoir défini ce qu’on entend par « bilan collectif ». Le dialogue de Talanoa doit constituer le point de départ du premier bilan mondial – prévu pour 2023 par l’accord de Paris – et est l’occasion de commencer à concevoir les contours d’un tel exercice. À l’heure qu’il est, les rapporteurs fidjiens synthétisent plus de 700 (!) histoires, qui s’ajoutent à plus de 220 contributions écrites soumises sur son portail en ligne à ce jour, principalement par des acteurs non-Parties. De par sa conception, on n’arrive pas à voir comment le Talanoa pourrait aboutir à quelque chose de plus précis qu’un appel général à une action renforcée – est-ce à cela que pourraient ressembler les futurs bilans ?

 

Mais sans aucun doute, le principal test du Talanoa concernera la deuxième question : sa capacité à relever l’ambition. L’« empathie » générée peut-elle se traduire par des engagements réels de la part des pays à présenter des NDC révisés d’ici 2020 et à accroître leur ambition? 
 

 

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Secrétariat de la CCNUCC (mai 2016), Rapport de synthèse actualisé sur l’effet agrégé des INDC

 

Dans les discussions sur le dialogue de Talanoa de dimanche dernier, plusieurs pays ont fait remarquer que le Sommet sur le climat, qui sera organisé en 2019 à l’initiative du Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guttierez, sera un moment décisif pour que les pays annoncent leur intention de réviser leur ambition à la hausse. Avant cela, la COP24 s’ouvrira à Katowice, sous la présidence de la Pologne, qui peine jusqu’à présent à mettre en avant son leadership et à présenter une vision claire. L’enjeu est de taille, et il incombe désormais principalement à la Pologne, soutenue par ses partenaires européens, de prendre rapidement le relais et de faire en sorte que l’optimisme et la bonne volonté créés par « l’esprit Talanoa » ce dimanche se traduisent par une action renforcée.

 

La COP24 devrait offrir aux pays l’occasion de reconnaître que le monde a changé depuis 2014-2015 lorsqu’ils ont soumis leurs INDC, et les pousser collectivement et individuellement à faire plus. Les ministres ont aussi la responsabilité d’entendre ce message et de le traduire au niveau national, faute de quoi l’intérêt de ces discussions se limitera à leur « esprit ».

 


Crédit Photo : CCNUCC