Le vendredi 19 septembre 2025, deux ans après son adoption historique par consensus, et en parallèle de la Semaine de haut niveau de l'Assemblée générale des Nations unies, deux États africains, la Sierra Leone et le Maroc, ont permis d’atteindre le seuil des 60 ratifications nécessaires à l'entrée en vigueur de l'Accord sur la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité dans les zones marines situées au-delà de la juridiction nationale (accord BBNJ). L'accord permettra la création d’aires marines protégées (AMP) en haute mer, de réglementer les activités liées à l'exploitation des ressources génétiques marines, d'instaurer des exigences en matière d'études d’impact environnemental des activités humaines actuelles et futures, et de soutenir les pays en développement par le biais d'initiatives de renforcement des capacités et de programmes de transfert de technologies marines.
L'adoption du traité BBNJ en 2023 par consensus a été largement considérée comme une victoire pour la diplomatie et le multilatéralisme. L'accord entrera officiellement en vigueur le 17 janvier 2026, 120 jours après la 60e ratification1. En moyenne, les accords multilatéraux récents sur l'environnement ont mis quatre ans à passer de la signature à l'entrée en vigueur, tandis que ceux traitant des questions océaniques nécessitent en moyenne le double de temps pour franchir cette étape2. Dans ce contexte, le fait que cet accord historique ait rassemblé 145 signataires et soit entré en vigueur en seulement deux ans constitue une réussite exceptionnelle. Cependant, ce cap des 60 ratifications ne marque que le début de l’aventure. Le traité BBNJ aspire à « parvenir à une participation universelle »3 ; les signatures et ratifications à ce jour démontrent qu’il est sur la bonne voie, avec une représentation de toutes les régions4.
La première Conférence des Parties (COP) se tiendra dans l'année suivant l'entrée en vigueur du traité et devrait donc avoir lieu fin 2026. Seules les parties à l'accord, c'est-à-dire celles qui l'ont ratifié ou y ont accédé, pourront voter lors des COP et être représentées dans les organes subsidiaires du traité. Il est donc stratégiquement important pour les États de devenir partie à l'accord avant la COP1 afin de s'assurer une place à la table des décisions. Une nouvelle vague de ratifications peut ainsi être anticipée dans les mois à venir. Il est important de noter que, en vertu du droit international, si le traité n'est contraignant que ses parties, les États signataires, comme les États-Unis ou la Chine, sont néanmoins tenus de « s'abstenir de tout acte qui pourrait compromettre l'objet et le but » du traité5.
Dans la perspective de l'entrée en vigueur de l'accord, les États ont déjà tenu deux réunions de la Commission préparatoire (PrepCom) au siège des Nations unies à New York afin de mettre en place la structure institutionnelle de l'accord et de préparer la COP1. Les États ont ainsi échangé sur la composition, le mandat et les modalités de fonctionnement des organes subsidiaires du traité, la mise en œuvre du mécanisme d'échange d'informations et les questions financières. Ils ont également commencé à élaborer des dispositions relatives à la future coopération entre l'accord BBNJ et les organes régionaux et sectoriels existants. Ces discussions se poursuivront lors de la troisième réunion du PrepCom qui se tiendra du 23 mars au 2 avril 20266. L'objectif de cette dernière réunion est de fournir des recommandations à la COP 1 sur les principaux arrangements institutionnels et les modalités pratiques permettant de rendre le traité opérationnel dès que possible. Par exemple, le traité établit un organe scientifique et technique (STB) qui jouera un rôle clé dans la désignation des aires marines protégées (AMP) en haute mer. Afin de soutenir efficacement la création de ces AMP et de contribuer ainsi à la réalisation de l'objectif 30x30 issu de l’Accord de Kunming-Montréal, le STB doit devenir opérationnel au plus vite, avec un mandat et une composition clairement définis et convenus. Actuellement, seulement environ 1 % de la haute mer est protégé par des AMP. De même, le traité prévoit la création d’un Centre d'échange d'informations (Clearing-house mechanism en anglais, CHM), une plateforme centralisée et en libre accès destinée à faciliter le partage d'informations, l'identification des besoins en matière de renforcement des capacités et la coordination du soutien entre les parties. Compte tenu de son rôle essentiel dans la promotion de la transparence et de la coopération, les États discutent actuellement des dispositions provisoires relatives au CHM afin qu’il soit opérationnel dès l’entrée en vigueur du traité.
Dans un contexte géopolitique complexe, souvent défavorable aux progrès environnementaux multilatéraux – comme ce fût le cas des négociations qui se sont tenues à Genève en août dernier sur le traité relatif aux plastiques – l'entrée en vigueur de l'accord BBNJ, quelques jours seulement après celle de l'accord de l'OMC sur les subventions à la pêche, montre qu'il existe toujours une forte volonté de coopération internationale pour relever les défis mondiaux. Une étape importante a été franchie dans la protection de la moitié de notre planète longtemps négligée, et un nouveau chapitre, tout aussi difficile, est sur le point de s'ouvrir avec la mise en œuvre du traité.
- 1Accord BBNJ, article 68(1).
- 2Blasiak, R., Jouffray, JB. (2024). Quand l'accord BBNJ portera-t-il ses fruits ? npj Ocean Sustain 3, 21. https://doi.org/10.1038/s44183-024-00058-6.
- 3Accord BBNJ, préambule.
- 4Pour consulter la carte des pays signataires et/ou ratificateurs, voir : https://highseasalliance.org/treaty-ratification/
- 5Convention de Vienne sur le droit des traités, article 18.
- 6Seuls les États qui ont signé ou ratifié l'accord auront un pouvoir décisionnel à partir de cette réunion, tandis que les autres États pourront participer en tant qu'observateurs.