L’Accord de Paris a posé les bases d’une nouvelle ère de l’action climatique, permettant de faire progressivement converger des contributions déterminées individuellement par chaque pays vers un objectif collectif ambitieux de limitation de la hausse de température. Comment faire pour que cette convergence s’effectue au plus vite ? Comment éviter que les pressions de court terme ne nous empêchent de répondre au défi climatique ?

L’Accord de Paris stipule qu’un bilan collectif (le stocktake) doit être réalisé tous les cinq ans, suivi deux ans plus tard d’une révision obligatoire des contributions nationales à la hausse. Cette disposition, positive, n’est sans doute pas suffisante. Une autre vient toutefois renforcer le dispositif. L’Accord de Paris invite également les Parties à « formuler et communiquer des stratégies de développement à long terme à faibles émissions de gaz à effet de serre » (article 4.19). Derrière ceci ne se cache pas un nouvel exercice bureaucratique, voire une remise de l’action à plus tard. Ces stratégies de long terme ont au contraire le potentiel pour devenir un outil facilitateur incontournable du dialogue international vers plus d’ambition, ainsi que de l’efficacité de l’action à l’échelle domestique.

À l’échelle internationale

Les stratégies de long terme présentent trois avantages majeurs pour faciliter le dialogue international vers plus d’ambition.

  1. Premièrement, en proposant une stratégie séquencée de décarbonation jusqu’à 2050, elles constituent un point de comparaison utile pour les contributions nationales existantes, représentant des engagements à l’horizon 2025/2030. Elles constituent ainsi un pont entre moyen et long terme, et permettent de repérer ce qui pourrait être amélioré dans le prochain cycle de contributions nationales. Plus ces stratégies seront détaillées au niveau sectoriel (bâtiments, transports, industrie, etc.), plus cet exercice sera fructueux puisqu’il permettra de révéler précisément les leviers de transformation. L’Iddri et un consortium de sept instituts de recherche européens ont publié la semaine dernière les résultats d’un tel exercice mené au niveau de l’Union européenne.
     
  2. Deuxièmement, le fait de communiquer des stratégies au niveau national permettra, dans la perspective notamment du « stocktake » quinquennal, de recomposer des tendances globales. Cette manière de procéder, du national au global, présente au moins deux intérêts. D’une part, celui de réaliser un exercice collectif qui fasse sens du point de vue de l’action de chacun. D’autre part, celui de repérer précisément, grâce à l’observation des besoins des uns et des autres en matière d’investissements, de technologies, d’échanges commerciaux, etc., les actions prioritaires à mener en matière de coopération internationale.
     
  3. Troisièmement, les stratégies de long terme sont un moyen de potentialiser la précieuse conjonction de forces – à l’œuvre depuis 2015 – entre les pays (signataires de l’Accord) et les autres acteurs essentiels à la mise en en œuvre de l’Accord, notamment les villes, les régions et les entreprises. De telles stratégies sont utiles aux acteurs non-étatiques pour prendre des décisions avec les bonnes anticipations. Notamment, les entreprises ont besoin d’anticiper les marchés, les investissements, etc. De leur côté, les acteurs non-étatiques ont pris et continuent à prendre leurs propres engagements pour soutenir l’action climatique. Certains réalisent également des exercices de long terme à leur échelle (Science Based Targets Initiative, C40, etc.). Le dialogue entre pays et acteurs non-étatiques autour de stratégies nationales de décarbonation est un moyen de favoriser cet enrichissement mutuel, avec un échange de visions, de compétences et de retours d’expérience au service de stratégies à la fois pertinentes et partagées.

Un certain nombre de conditions doivent être réunies pour bénéficier au maximum de la réalisation et de la communication de stratégies de long terme : transparence, décomposition sectorielle, etc. Surtout, leur élaboration doit être essentiellement menée comme un exercice stratégique plutôt que comme un exercice de modélisation complexe.

À l’échelle nationale

Les stratégies de long terme constituent également un outil de dialogue précieux entre parties prenantes à l’échelle domestique. Permettant de raisonner à l’échelle d’une économie nationale dans son ensemble, elles sont un outil de coordination et de transversalité. Permettant de refléter différents scénarios possibles, elles représentent un socle de dialogue entre des acteurs aux perspectives et compétences différentes. Les stratégies de long terme représentent ainsi une opportunité unique de catalyser les volontés autour de la nature et des conditions de la transformation désirable. Elles ont d’ores et déjà été utilisées dans plusieurs pays, notamment en France dans le cadre du débat sur la transition énergétique qui a précédé l’élaboration de la loi.

Après débat, les scénarios de long terme permettent aux gouvernements de prendre des décisions en matière de politiques transversales et sectorielles pour opérer les transformations nécessaires à la décarbonation profonde de leur économie. Vis-à-vis de la communauté internationale, ils peuvent aider le processus officiel de révision des contributions nationales. Dans une analyse publiée ce jour, l’Iddri et le réseau DDPP montrent les bénéfices qui peuvent être tirés de l’établissement de stratégies de long terme à l’échelle nationale :

  • construire des trajectoires cohérentes à la fois avec les spécificités nationales et avec l’objectif climatique global ;
  • souligner les actions à mettre en œuvre ;

  • sélectionner les actions de court terme incontournables pour permettre une décarbonation profonde ;

  • déterminer des stratégies robustes dans un contexte incertain ;

  • assurer la satisfaction des objectifs socio-économiques ;

  • mettre en avant les leviers clés de soutien en matière de coopération internationale.

Rôle de l’Iddri et du réseau DDPP Ces analyses sont le fruit du travail mené par l’Iddri avec le réseau DDPP. Depuis plusieurs années, ce réseau unique d’équipes de recherche dans seize pays a contribué, à travers l’élaboration de trajectoires de long terme, au débat international et domestique dans chacun des pays étudiés. Ce travail a représenté une preuve de concept à grande échelle et nous a permis d’affiner nos processus de dialogue et nos méthodologies afin de les mettre au service de l’ambition, de l’appropriation et de la coopération.

Les outils développés par le réseau DDPP sont mis gratuitement à la disposition de tous sur son site Internet, et continuent d’être affinés. Ils peuvent être utilisés par des acteurs de tous types, de tous pays, quelles que soient leurs capacités techniques. Les équipes du réseau DDPP sont également à la disposition des acteurs pour partager leurs expériences. Elles poursuivent par ailleurs leurs travaux pour continuer à contribuer au débat tant au niveau domestique qu’international et soutenir la mise en œuvre effective de stratégies de développement et de décarbonation profonde.