Le 10 décembre, la Commission européenne publiera son « paquet réseaux » en même temps que plusieurs textes du Pacte industrie propre. Il s’agit avec cette initiative de faciliter le développement des réseaux électriques nécessaires pour la transition énergétique, y compris en ajustant la planification des autres infrastructures énergétiques. Alors que le cadre européen s’est concentré dans la dernière décennie sur la multiplication des connexions entre les réseaux nationaux, l’avancée de la transition, les exigences de sécurité, de flexibilité et de maîtrise des coûts réaffirment l’importance de renforcer les réseaux à toutes les échelles. Ce billet de blog décrypte les motivations et ressorts de ce paquet et les évolutions réglementaires qu’il pourrait impliquer.

D’importants besoins d’investissements

La question des réseaux électriques occupe une place de choix dans l’agenda politique de la nouvelle Commission européenne, qui avait déjà publié un plan d’action pour les réseaux en 2023 réaffirmant la priorité que les États membres devaient y accorder, et dans laquelle elle estimait les besoins d’investissement dans les réseaux de transmission d’électricité à 584 milliards d’€ d’ici à 2030, soit +60 % par rapport aux investissements annuels sur la période 2015-2021. La publication du paquet réseaux en décembre 2025 inaugure une séquence politique importante pour les infrastructures énergétiques, électriques en particulier, avec l’annonce probable d’une révision du règlement RTE-E1 qui définit aujourd’hui le processus de sélection des projets d’infrastructures transfrontalières prioritaires pour l’UE, et potentiellement d’autres textes législatifs, courant 2026.

Le sujet est aussi important en France, où RTE, le gestionnaire de réseau de transmission d’électricité, propose dans son dernier schéma décennal de développement du réseau (SDDR) pour l’horizon 2040 un plan d’investissement de 100 milliards d’€ pour les quinze prochaines années. L’enjeu similaire en Allemagne : on estime les nouveaux investissements à 210 Mds d’€ à l’horizon 2037 et 250 Mds d’€ à 2045.

De nécessaires transformations structurelles

Les plans massifs d’investissement dans les infrastructures électriques sont justifiés par les mutations profondes que le système énergétique dans son ensemble doit opérer. Dans un objectif de neutralité climat, une grande partie des usages doivent s’électrifier – le taux d’électrification des usages finaux doit passer de 20 % à environ 50 % –, tandis que la production d’électricité renouvelable doit être multipliée par entre 5 et 6 entre 2021 et 20502. Parallèlement, le réseau de gaz verrait son rôle se modifier, avec une baisse importante des usages (environ -70 % entre 2020 et 20503), et de nouveaux besoins d’infrastructures régionales d’hydrogène et de CO2, parfois transfrontalières, pourraient apparaître autour des zones industrielles4

Les travaux d’optimisation économique et énergétique montrent invariablement l’intérêt de l’intégration5 des infrastructures pour assurer une énergie la moins chère possible et la sécurité d’approvisionnement. Récemment, une étude de modélisation conduite par Fraunhofer IEG, ISI et d-fine montre que l’intégration géographique et entre vecteurs énergétiques permet de diminuer les coûts du système énergétique de 560 Mds d’€ entre 2030 et 2050 (en comptant les investissements dans les infrastructures et dans les capacités de génération électrique, ainsi que les coûts d’opération du système) grâce à de moindres besoins d’investissement dans de nouvelles infrastructures et une optimisation des capacités de production. 

L’enjeu du partage des coûts et bénéfices

Le déploiement accéléré de nouvelles capacités électriques pour la transition soulève des enjeux politiques et pose autrement les questions d’optimisation technico-économique. Alors que la valeur ajoutée d’une planification intégrée au niveau européen est démontrée, les coûts et bénéfices des projets de connexions transfrontalières ne sont pas uniformément répartis entre États membres, ce que met en évidence la modélisation mentionnée ci-dessus. 

C’est aussi ce que pointe RTE pour le réseau électrique français, indiquant dans le dernier SDDR que des capacités supplémentaires d’interconnexion (au-delà des projets en cours de construction) nécessiteraient des renforcements du réseau interne, non compris dans le mécanisme européen de partage des coûts des interconnexions (défini dans le règlement RTE-E). 

Le cas des interconnexions françaises soulève l’enjeu de répartition des coûts et bénéfices des infrastructures énergétiques transfrontalières, qui devrait affecter d’autres aires géographiques : par exemple, dans le modèle Fraunhofer IEG, ISI & d-fine (2025), une plus grande intégration européenne implique que la région Pologne et pays baltes installe davantage d’éolien offshore (et des infrastructures associées) pour fournir plus d’électricité renouvelable aux régions voisines. 

Cela pose une question cruciale pour le cadre européen : comment assurer la concrétisation de projets d’infrastructures qui auraient un bénéfice net au niveau communautaire, mais auxquels s’opposeraient des acteurs nationaux, pour des raisons financières ou de soutien politique interne ? Aujourd’hui, les processus européens de gouvernance, notamment pour identifier et financer les projets importants, définis par le règlement RTE-E, sont insuffisants pour arbitrer de telles situations. En particulier, le système de répartition des coûts et d’évaluation des bénéfices, aux niveaux européen et national, devrait être repensé pour être en réelle capacité d’accélérer. Dans une note récente, le think tank Agora Energiewende explore les conditions de possibilité d’une vision européenne optimisée des infrastructures. Le processus d’amélioration de l'Union de l'énergie lancé en juin 2025 dans le cadre Plan d’action pour une énergie abordable peut être une opportunité de mettre en discussion de telles évolutions.

Des objectifs à la mise en œuvre : comment mettre le paquet ?

La question du financement est centrale. Dans un contexte budgétaire restreint, et où il est difficile de mobiliser les investissements nécessaires pour la neutralité climat, comment réunir les ressources suffisantes pour de nouvelles infrastructures ? 

Aujourd’hui, les coûts d’infrastructure sont répercutés par les gestionnaires sur les consommateurs d’énergie via les charges d’utilisation du réseau, sous supervision des régulateurs. Mais l’importance des investissements, dans une période resserrée, pourrait nécessiter d’autres ressources financières publiques, ainsi que des mécanismes de récupération des coûts nouveaux, plus étalés dans le temps, donc entre consommateurs. C’est ce qu’envisage la note d’orientation de la Commission européenne sur les investissements anticipés, qui pourrait être précisée dans le paquet. 

Modifier ces mécanismes nécessiterait des ajustements du cadre européen (notamment de RTE-E), mais aussi du cadre national puisque ce sont les régulateurs nationaux qui valident – ou non – les plans d’investissement dans les réseaux et la facturation des coûts de réseau aux consommateurs.

Le cas des projets d’infrastructures transfrontalières reconnus d’intérêt commun ou mutuel (PIC et PIM) est particulier. Selon un processus précisé par le règlement RTE-E, ils ont accès à des financements européens du Mécanisme d’interconnexion pour l’Europe (MIE). Malgré la multiplication par 5 du montant du MIE proposée par la Commission européenne dans le nouveau cadre de financement pluriannuel, il ne pourrait couvrir tous les besoins d’investissement pour les interconnexions. Entre 2021 et 2027, le MIE prévoit 6 milliards d’€ pour les projets d’infrastructures énergétiques ; en tenant compte des propositions de la Commission pour la période 2028-2034, le think tank Ember estime pour sa part que 30 milliards d’€ d’investissement public manquent pour réaliser l’objectif d’interconnexion que la Commission européenne s’est fixé pour 2040, en prenant en compte l’analyse des gestionnaires de réseaux d’électricité. 

Pour ce qui concerne la mise en œuvre, les ambitions de développement du réseau se heurtent à un rythme d’installation naturellement plutôt lent, surtout comparé à celui des capacités renouvelables et celui (prévu) de l’électrification des usages. Dans ce contexte, la Commission européenne a laissé entendre qu’une simplification et une optimisation des processus d’autorisation, qui se jouent surtout au niveau des États membres, constitueraient l’un des objectifs du paquet réseaux. Comment concilier un tel levier avec les exigences de débat public liées aux projets d’infrastructures ?

Pour séquencer les investissements, les projets les plus prioritaires pour l’Europe devraient être sélectionnés. Le cadre actuel défini dans le règlement RTE-E permet de signaler des projets d’intérêt commun importants pour le système énergétique de l’Union, mais ne hiérarchise pas ces projets entre eux. La révision de RTE-E pourrait proposer un système de gouvernance renforcé pour arbitrer sur ces niveaux de priorité, au niveau européen, et en incluant les États membres.

Enfin, les incertitudes liées au rythme d’électrification et d’installation de nouvelles capacités d’électricité rendent les décisions d’investissement pour les infrastructures électriques particulièrement incertaines. Pour les réduire, de manière à ne pas ralentir l’électrification et le développement de nouvelles capacités renouvelables, la Commission européenne prévoit la possibilité de réaliser des investissements par anticipation, pour lesquels elle a récemment publié une note d’orientation, mais la mise en œuvre d’un tel objectif est encore à définir.

Le paquet réseaux de la Commission ouvre une discussion sur les conditions de réalisation d’un système énergétique abordable et sécure pour les Européens, qui se poursuivra en 2026 entre autres par la révision du règlement RTE-E et le plan d’action pour l’électrification prévu au premier trimestre 2026.