La première COP de l’Accord d’Escazú se tient du 20 au 22 avril 2022 au Chili (Santiago). Par la place qu’il donne à la société civile et aux principes de droit de l’environnement, qu’il reconnaît et renforce, cet accord constitue une véritable innovation en termes de gouvernance de l’environnement. Sa mise en œuvre effective par les pays constitue cependant un immense défi dans une région où les tensions dans le domaine de l’environnement sont particulièrement fortes.

L’Accord d'Escazú a été adopté le 4 mars 2018, après deux ans de réunions préparatoires et quatre ans de négociations auxquelles le public a participé de manière significative. C’est le seul accord contraignant émanant de Rio+20 et le premier accord sur l’environnement adopté par la région Amérique latine et Caraïbes. Entré en vigueur le 22 avril 2021 après avoir été ratifié par douze pays1 , il va désormais devoir entrer dans une nouvelle phase, celle de la mise en œuvre. La dynamique politique régionale et la place des sociétés civiles de la région devraient en constituer les principaux leviers. 

Pays à l’origine du processus, le Chili, pour des raisons d’alternance politique, n’avait jusque-là pas signé l’accord, mais la première décision du nouveau président élu, Gabriel Boric, a été de le signer le 18 mars 2022 et de lancer le processus de ratification au Congrès. Plusieurs pays, parmi lesquels le Brésil, la Colombie, le Pérou et le Costa Rica ont signé l’accord mais ne l’ont toujours pas ratifié ; toutefois, les élections prévues en 2022 en Colombie et au Brésil pourraient faire évoluer les choses. Il y aura donc trois niveaux de participation à cette première COP : États parties, pays signataires et pays observateurs.

Un accord innovant

Le principal intérêt de l’Accord d'Escazú réside dans les avancées qu’il contient en matière de droit international de l’environnement en Amérique latine et dans les Caraïbes, en particulier pour l’application du principe 10 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement qui souligne que « la meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient »2 . Dans cet esprit, la participation active du public à la négociation a été déterminante pour maintenir un niveau d’ambition élevé et permettre d’ajouter des dimensions clés dans le texte qui n’étaient initialement pas prévues. L’accord souligne l’interdépendance entre les droits de l’homme et l’environnement, se fonde sur le principe du développement durable, mentionne spécifiquement la protection des défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement et consacre certains principes importants tels que la non-régression et la progressivité. Il associe également la protection de l’environnement à l’égalité et place cette dernière notion, dans son préambule, au cœur du développement durable.

L’accord établit aussi des obligations de coopération entre les États et leurs citoyens, mais également entre États, en matière de coopération et de renforcement des capacités. Parmi ses principales dispositions, l’Accord d’Escazú reconnaît le droit de chaque personne à vivre dans un environnement sain (également reconnu pour la première fois par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies le 5 octobre 20213 ), et l’obligation de veiller à ce que les droits reconnus dans l’accord soient librement exercés. Le texte d’Escazú contient plusieurs dispositions spécifiques à la région Amérique latine et Caraïbes, par exemple sur la protection des défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement, et des personnes et groupes en situation de vulnérabilité. Cet aspect est loin d’être anodin dans une des régions du monde les plus touchées par les conflits sociaux-environnementaux et présentant un risque accru pour la vie et la sécurité des personnes et des groupes de personnes qui agissent en tant que défenseurs des droits de l’homme en matière d’environnement. L’accord consacre par ailleurs les principes de non-régression (énoncé dans aucune des législations des pays de la région) et de réalisation progressive, ce qui est relativement nouveau dans le contexte du droit international de l’environnement. 

Les enjeux politiques et techniques de la COP

La réalisation effective de ces différentes dispositions par les pays représente un véritable défi. Cela nécessite évidemment une volonté politique forte de la part de l’ensemble des acteurs, car il convient de noter que l'Accord d'Escazú ne définit pas les principes directeurs et ne précise pas comment les Parties doivent les adopter. Cela passe en particulier par l’adoption de mesures législatives, réglementaires, administratives ou autres pour garantir la mise en œuvre de l’accord, l’information du public pour faciliter l’acquisition de connaissances sur les droits d’accès, et le devoir d’orientation et d’assistance envers le public, en particulier envers les personnes et les groupes en situation de vulnérabilité. 

Cela constitue un des principaux enjeux de cette première COP d’Escazú : se mettre d’accord sur un cadre qui permette véritablement aux pays de mettre en œuvre l’ensemble des dispositions et déterminer d'où proviendront les ressources financières nécessaires à sa mise en œuvre. Pour le maintien effectif de l’ambition d’Escazú, il est nécessaire de continuer d’accorder au public, dans le suivi et la mise en œuvre, le rôle qu’il avait joué dans le processus de négociation. 

Pour répondre au défi de sa mise en œuvre, l’accord d’Escazú a prévu des dispositions pour faciliter son application par les pays parties, en mettant l’accent sur trois composantes clés : le renforcement des capacités, la coopération et l’évaluation de l’efficacité. Concernant les deux premières, l’objectif est de permettre aux Parties une pleine mise en œuvre des droits d’accès. Mais le renforcement des capacités et, d'une manière générale, la mise en œuvre effective de l'accord nécessitent une coopération entre les parties (Sud-Sud) (article 11.1) ainsi qu'une coopération internationale (article 11.4). Il s'agit d'un engagement à coopérer entre les pays de la région pour renforcer la mise en œuvre des normes de l'accord. C'est une occasion d'échanger des expériences, des bonnes pratiques, de partager et d'apprendre, de générer des synergies avec d'autres processus régionaux et sous-régionaux. 

Cette première COP se concentrera sur la concrétisation de trois articles inclus dans l'accord : les règles de mise en œuvre de l'accord, qui comprendront les modalités d'une participation significative du public (article 7) ; le financement nécessaire au fonctionnement et à la mise en œuvre de l'accord (article 14) ; et la création d'un comité de soutien à la mise en œuvre et au respect de l'accord (article 18). Dans l'esprit collaboratif de partage d'expérience et de renforcement des capacités de l'accord susmentionné,  ce comité apparaît comme le cœur de l’Accord d'Escazú. Par conséquent, ce que les Parties détermineront concernant la rigueur ou la flexibilité du fonctionnement de ce comité ainsi que le rôle de la société civile dans l'avancement des « communications pour non-conformité » sera fondamental pour l'avenir de l'accord.

Il s'agit aussi d'une COP sui generis, où les représentants de la société civile pourront participer activement et directement aux côtés des États parties. Cette dynamique n’existe pas dans d’autres cadres multilatéraux environnementaux et représente une avancée et un précédent potentiel pour d'autres négociations.

En outre, l’Accord d’Escazú souligne dans son article 15.5 l’importance de l’effectivité, et prévoit à ce titre la réalisation d’évaluations indépendantes qui seront très utiles pour jauger des progrès réalisés et des axes d’amélioration. Ces examens indépendants constituent une des conditions du succès de l’accord : ils doivent évaluer l’efficacité, l’effectivité et le progrès des politiques environnementales mises en œuvre par les pays vis-à-vis de leurs engagements au niveau domestique et dans le cadre de l’accord. La dynamique régionale entre les différentes parties prenantes impliquées dans ces examens, dans une sorte de dynamique des pairs, sera certainement clé pour faire de ces évaluations des leviers d’amélioration des politiques nationales environnementales et les sociétés civiles devront y prendre toute leur place.