Après près de deux ans d’attente, la Stratégie nationale française pour l’alimentation, la nutrition et le climat à 2030 (SNANC) a finalement été publiée. Le texte – qui pourrait encore évoluer – marque plusieurs avancées en termes de de prise en compte des enjeux et de la gouvernance, propose de nouveaux objectifs, et ouvre de nouveaux champs pour l’action publique. Toutefois, d’importantes lacunes sont à souligner qui affaiblissent la capacité de la SNANC à promouvoir des environnements alimentaires plus sains et durables pour l’ensemble de la population. La période de consultation qui s’ouvre, suivie par son opérationnalisation, sera cruciale pour consolider les acquis et relever l’ambition. 

Les origines de la SNANC

L’origine de la SNANC se trouve dans les préconisations de la Convention citoyenne pour le climat de 2021, parmi lesquelles l’ajout d’une dimension climat au Plan national nutrition santé (PNNS) : une proposition pertinente alors que l’environnement peine à être intégré aux plans sectoriels du ministère de la Santé et de l’Agriculture, et que d’autres pays européens se sont déjà dotés de stratégies pour l’alimentation multi-sectorielles. Après reprise en main par les pouvoirs publics, l’engagement est pris dans la loi Climat et Résilience (2021) de fournir au pays d’ici juillet 2023 une stratégie chargée de déterminer les orientations des politiques de l’alimentation et de la nutrition tout en incluant les enjeux environnementaux et de souveraineté alimentaire1

Une forte mobilisation de la société civile

Une contribution du Conseil national de l’alimentation, produite en avril 2023, identifie 17 objectifs stratégiques et 37 recommandations prioritaires parmi plus d’une centaine2. Le même mois, l’Iddri publie une Étude comportant des recommandations à destination du processus en cours. Le Haut Conseil à la santé publique publie également un avis en juin 2023. La mobilisation de la société civile autour de la SNANC ne faiblit pas au cours des mois qui suivent (lettre ouverte de 105 organisations en octobre 2023, propositions par 54 organisations et tribune d’experts de l’alimentation [dont l’Iddri] en avril 2024, etc.).  

Le contexte politique et social tendu autour des mobilisations agricoles, de l’inflation et de l’instabilité gouvernementale en 2024 a un temps retardé les derniers arbitrages entre ministères. La SNANC est en effet le produit d’une configuration inédite pour les politiques de l’alimentation : sous égide du Premier ministre, les ministères en charge de la Santé, de l’Agriculture et de la Transition écologique, ainsi que le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE), ont élaboré ensemble le document. 

Quel regard porter sur la stratégie désormais publiée ?

Dans un contexte politique difficile, la SNANC marque plusieurs avancées

Le document mis en consultation propose tout d’abord une synthèse rigoureuse des enjeux de l’alimentation avec les aspects de santé, sociaux, environnementaux et de souveraineté alimentaire3 et l'appréciation de leur gravité. Sur ces différents défis, la stratégie reconnaît notamment l’importance « d’agir sur les tendances de consommation » (p. 15) et notamment sur les régimes alimentaires via « la limitation de la consommation de viandes et de charcuterie, en particulier importées », une hausse de la consommation de fruits et légumes, légumineuses et céréales complètes, la « redirection vers des modèles plus durables » (p. 12), et la réduction des pertes et gaspillages. Pour « assurer la durabilité du système alimentaire et la souveraineté alimentaire de la France », la SNANC souligne également la nécessité « d’accompagner l’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire » (p. 14). 

La stratégie marque donc un pas décisif dans l’affirmation d’une politique de l’alimentation pluri-sectorielle, qui porte sur l’ensemble de la chaîne alimentaire, et vise à promouvoir des changements dans les pratiques alimentaires. 

En ligne avec cette vision d’une politique de l’alimentation renforcée, la SNANC propose notamment : 

  • une gouvernance sous pilotage stratégique interministériel, où les trois ministères sont chargés du pilotage opérationnel au niveau national (avec le SGPE) et régional (avec les services de l’ADEME en région et les agences régionales de santé), en lien avec les réseaux de projets alimentaires territoriaux (PAT) et les plans existants. Cette gouvernance sera notamment chargée de la déclinaison opérationnelle des objectifs et mesures de la SNANC dans le PNNS et le Programme National de l’Alimentation (PNA) ;
  • un objectif ciblant 12 % de consommation bio en valeur pour l’ensemble des circuits de consommation ; un objectif de limitation de la consommation de viandes et de charcuterie de manière à être en ligne avec les repères du PNNS et les objectifs de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) à horizon 2030, mais dont on peut regretter qu’il ne soit pas chiffré explicitement4 ; et un objectif de déploiement de PAT aux critères de labellisation renforcés ;
  • une « action phare » de transparence sur les produits durables vise les maillons de milieu de chaîne comme la distribution et la restauration commerciale, jusqu’à présent très peu mobilisés par l’action publique. Cette action est complétée par d’autres actions volontaires visant la promotion des produits durables. L’industrie agroalimentaire est pour sa part sollicitée sur le plan de l’offre en plats préparés et leur formulation.
  • Une reconnaissance du poids de l’offre et de l’environnement alimentaire dans la détermination des consommations individuelles, qui doivent faire l’objet de « politiques fortes » (p. 35). 

Un besoin d’ambition, de portage politique et de clarification des prochaines étapes

La SNANC ne rompt cependant pas fondamentalement avec les limites de l’action publique actuelle en matière d’alimentation. Ainsi, les conclusions de notre Étude de 2023, qui proposait une évaluation des politiques françaises de l’alimentation, demeurent valides dans l’ensemble. 

  • Le portage politique de la stratégie pour l’alimentation fait pour l’instant défaut : ni ministre, ni délégué interministériel pour l’incarner n’a été désigné. Le sujet peut être considéré comme sensible, mais les orientations proposées sont de nature à offrir des solutions à la majorité des Français qui souhaitent manger plus durable, plus sain, et accéder à une alimentation de qualité5. En ce sens, le portage de la SNANC est à la fois essentiel à sa réussite, et un investissement politique légitime au vu de ces préoccupations.
  • Les modalités de mise en œuvre, de suivi et d’évaluation ne sont pas claires. Certains objectifs ne sont pas chiffrés, pour les autres le point de départ n’est pas rappelé, et les actions proposées manquent d’informations concernant : les enveloppes budgétaires mobilisées, les acteurs pilotes au sein de l’État, les indicateurs de suivi retenus, etc. L’évaluation des progrès n’est pas non plus précisée : quelles institutions en charge (il en faudra sans doute plusieurs tant le périmètre est large), à quelle échéance, quelle transparence et communication publique ? Autant d’éléments qu’il sera indispensable de préciser dans l’étape de traduction vers le PNNS et le PNA.
  • Une grande partie des actions et objectifs sont une prolongation de l’existant : les leviers mobilisés sont principalement de l’ordre de l’accompagnement et de l’incitation ; et font la part belle à l’information du consommateur. La mesure d’encadrement du marketing et de la publicité destinés aux enfants a été rétrogradée au rang de mesure volontaire entre novembre 20246 et avril 2025. Un affaiblissement d’autant plus incompréhensible que cette mesure est recommandée par l’ensemble des rapports d’expertise (e.g. OMSINSERMHaut Conseil à la santé publique), largement soutenue par la population7, déployée par certains distributeurs en France, et qu’elle est déjà mise en œuvre par d’autres pays comme le Royaume-Uni. Gageons que la phase de consultation permettra de la renforcer.

Il existe donc un décalage réel entre la description des enjeux et le choix des leviers pour y répondre.

Ouvrir la discussion sur la mise en œuvre et donner du corps aux mesures

Gardons à l’esprit que la SNANC est chargée de donner une direction aux plans sectoriels : les mesures pourront y être confirmées, renforcées et précisées. D’ici à l’adoption puis la traduction des objectifs de la SNANC dans les plans sectoriels de la nutrition et de l’alimentation (ainsi que les autres plans, e.g. Plan ambition bio post-2027, etc.), il y a encore plusieurs mois. La première étape, déjà annoncée, est celle d’une consultation formelle des parties prenantes sur le projet de stratégie. 

La SNANC met sur la table pour la première fois la nécessaire évolution des pratiques du maillon intermédiaire (industrie, distribution, restauration commerciale). Il est crucial que la discussion s’engage dès maintenant avec ces acteurs pour discuter de la mise en œuvre de ce qui est prévu dans la SNANC, mais aussi pour évaluer dès aujourd’hui comment progressivement aller plus loin d’ici 2030. Par exemple, la restauration commerciale et la grande distribution pourront être mobilisées non pas uniquement pour améliorer l’offre et l’attractivité des produits durables, mais aussi pour repenser leur stratégie sur le végétal (fruits, légumes, protéines), de manière cohérente avec de nombreuses initiatives existantes voire leurs objectifs internes.

La période qui s’ouvre sera donc cruciale pour transformer l’essai : la SNANC a ouvert de nouveaux espaces pour l’action publique, des avancées sur lesquelles capitaliser pour être réellement en capacité d’améliorer l’environnement alimentaire et ainsi répondre aux défis de l’alimentation. 

  • 1

     « La Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat détermine les orientations de la politique de l’alimentation durable, moins émettrice de gaz à effet de serre, respectueuse de la santé humaine, davantage protectrice de la biodiversité, favorisant la résilience des systèmes agricoles et des systèmes alimentaires territoriaux et garante de la souveraineté alimentaire (...), ainsi que les orientations de la politique de la nutrition » (modification par la loi Climat et Résilience l’article L1 du Code rural).

  • 2

     Fait assez rare, certaines recommandations témoignent de dissensus entre les membres de l’instance, concernant certaines mesures, leur priorisation, ou encore les modalités de travail ayant conduit à la rédaction de l’avis, le CNA ayant été contraint de réaliser ces travaux plus rapidement que les concertations habituelles. 

  • 3

     Plus précisément, sont abordés les sujets suivants : maladies chroniques, nutrition, inégalités sociales, précarité alimentaire, exposition aux pathogènes et polluants, climat, biodiversité, adaptation au dérèglement climatique, souveraineté alimentaire, coûts directs et indirects du système alimentaire. 

  • 4

     La SNBC mise en concertation fin 2024 prévoit une baisse de 4 %, 12 %, 13 % et 12 % pour respectivement la volaille, la viande bovine, la viande porcine et la viande transformée entre 2020 et 2030. https://concertation-strategie-energie-climat.gouv.fr/les-grands-enjeux-de-la-snbc-3

  • 5

     Les enquêtés déclarent par exemple changer de magasin pour y trouver une offre plus durable (CSA/Greenlex/Ademe, 2024), souhaitent réduire leur consommation de viande, dépenser plus pour les produits locaux et sur les marchés, et consommer davantage de produits de saison, de fruits, légumes et légumineuses (Verian/Parlons Climat, 2024).

  • 6

     Dans un document fuité rendu publique par le média Contexte. 

  • 7

     En 2024, 74 % des enquêtés sont d’accord ou plutôt d’accord avec l’affirmation suivante : « L’État devrait interdire la publicité pour les produits les plus néfastes pour l’environnement et la santé » (CSA/Greenlex pour Ademe, 2024).