Le traité sur les pandémies, préparé et négocié depuis 3 ans, a été adopté le 20 mai dernier lors de l’Assemblée mondiale de la santé, réunion qui regroupe chaque année à Genève l’ensemble des États membres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). C’est une avancée très importante pour le multilatéralisme en matière de sécurité sanitaire et de santé, qui pourtant n’a pas été très remarquée dans un contexte international de guerres et de crises.
Anne Bucher, chercheuse associée à l’Institut Bruegel, ancienne directrice générale de la Santé et la Sécurité alimentaire de la Commission européenne, répond aux questions de l’Iddri et analyse dans ce billet-entretien la portée de l’accord sur ce traité international.
Dans quel contexte multilatéral les discussions se sont-elles déroulées ?
C'est un tour de force d'être parvenu à un tel accord. Il n’existait jusqu’ici qu'un seul traité mondial en matière de santé globale : la Convention-cadre de l’OMS sur la lutte anti-tabac, qui date de 2003. Dès 2021, a communauté internationale s’est mobilisée pour produire un traité sur les pandémies, finalement approuvé en mai 2025 par 124 pays, 11 autres s’étant abstenus. C’est vraiment une performance du multilatéralisme, car cela revient à reconnaître qu'il est nécessaire de renforcer les processus, les engagements et les compromis. En effet, l'OMS, qui d’ailleurs avait été vivement critiquée lors de la pandémie, ne peut y parvenir seule : elle a un rôle de gardien de la santé globale, peut émettre des règlements, mais n’a pas la possibilité de les mettre en œuvre ; elle dépend du consensus et de l’attitude individuelle des pays. Or le « traité pandémies » se fait sous ses auspices, ce qui renforce son rôle de coordination, mais avec un engagement individuel des nations. Cela signifie que l’autorité de l’OMS est aujourd’hui reconnue, et que les États la soutiennent.
Les séquelles du nationalisme vaccinal des pays développés pendant la pandémie ont pesé comme une épée de Damoclès sur les discussions. Les pays développés avaient en effet acheté des vaccins au-delà de leurs besoins et n'avaient pas encouragé le transfert de technologies, la licence ou la mise à disposition des vaccins et traitements pour les pays en développement. On pensait que ce traité n’aboutirait pas en raison de ce conflit Nord-Sud. Les pays du Sud ne voulaient pas accepter l’obligation de partager les échantillons et les données de séquençage des virus, qui permettent la mise au point des vaccins et des thérapies, sans obtenir une attitude plus favorable en matière de transfert de technologies et davantage de solidarité internationale en cas de pandémie.
Quelles avancées ce traité permet-il ?
Le traité marque un compromis sur cette question, par l’intermédiaire du mécanisme d’accès aux agents pathogènes et de partage des bénéfices qui en découlent (Pathogen Access and Benefit-Sharing System, PABS), dont les détails de mise en œuvre n’ont cependant pas encore été discutés. L’accord instaure d’abord une obligation de mise à disposition des échantillons de pathogènes pour permettre à l'ensemble des acteurs de la sécurité sanitaire globale, dont les chercheurs et l'industrie pharmaceutique, de gérer de façon précoce les risques liés à des pathogènes émergents. Ensuite, il contient deux dispositions importantes : les industries pharmaceutiques s'engagent à mettre à disposition 20 % de leur production de vaccins pour les pays en développement, dont 10 % à titre gratuit. Mais il est également prévu de faciliter les licences et le transfert de technologies, de soutenir les centres de production dans l'ensemble des pays en développement, et donc, finalement, de construire un écosystème qui permette à tous les pays de faire face à la pandémie.
Témoin de la volonté et des ambitions politiques, la communauté internationale s'est dotée d'un mécanisme de COP (Conférence des Parties signataires de ce traité) pour la mise en œuvre de l'accord qui, en dépit de ses faiblesses, reste le moyen de plus efficace de transparence et de visibilité des engagements pris. Le mécanisme de la COP va par ailleurs renforcer le pouvoir des ministres de la santé, en tant qu’organe multilatéral créant une véritable communauté internationale, mais également au niveau national.
En termes de financement, le traité prévoit une synergie entre les différents instruments existants, notamment le fonds mis en place par le G20 après la pandémie de Covid-19. Un mécanisme placé sous l’autorité de la COP permettra aux États de superviser directement l'allocation des fonds qui vont financer le renforcement des systèmes de santé dans les pays, mais aussi la prévention au niveau international pour la recherche et les vaccins.
Si la démarche One Health (Iddri, 2024), qui propose un regard interdisciplinaire et global sur les liens complexes entre la santé animale, la santé humaine et l’environnement dans une approche globale des enjeux sanitaires, a constitué une pierre d’achoppement au début des négociations, les États se sont finalement engagés à prendre en compte ces trois dimensions et à mettre en place des structures multisectorielles et pluridisciplinaires de recherche et de surveillance. C’est à la fois une victoire du multilatéralisme et une avancée majeure, car les plus grands risques de pandémies sont des zoonoses qui résultent de la destruction des habitats naturels des animaux qu'entraînent l'urbanisation et la déforestation ainsi que les pratiques de l'élevage intensif.
Concernant la mise en œuvre du traité, reste-t-il des défis, ou des écueils ?
En effet, à ce stade, le traité a été adopté par consensus de 124 pays lors de l'Assemblée mondiale de la Santé. Il doit ensuite être signé et ratifié, et c'est seulement à l'issue de ce processus que l’on connaîtra le nombre de pays participants. Et les modalités pour la mise en œuvre des deux principales innovations, le PABS et le mécanisme financier, restent à définir. Pour la première, et ce qui permet la production de tests, traitements et vaccins, les dispositions seront précisées dans une annexe, pour l’instant à l’état de page blanche. Jusqu'à quel point les pays en développement seront-ils prêts à accepter les obligations de partage des données de séquençage, et quels engagements les États sont-ils prêts à prendre pour leurs industries pharmaceutiques afin de favoriser l’accès aux technologies, ainsi qu’en matière de de prix et de redevance en cas de licence ?
Par ailleurs, la non-participation des États-Unis, traditionnellement leaders de la sécurité sanitaire globale, tant au niveau de la gouvernance que des financements et du soutien à la recherche, est le principal écueil de l'accord. Le pays a mis en place les bases de données et les centres de recherche, finance près de 90 % de la recherche sur les maladies tropicales, et constitue le premier et plus important contributeur du fonds dédiés aux pandémies – même si aujourd'hui ce fonds a sa propre vie ; l’absence des États-Unis représente donc une faiblesse significative du système, mais cette faiblesse rend le système encore plus nécessaire. En outre, dans le domaine de la sécurité sanitaire, les organisations humanitaires et les philanthropies jouent un rôle important, et sont financièrement aussi puissantes que l’OMS, ce qui peut laisser une place à la présence américaine au travers de ces organisations de santé globale.
Enfin, dernier écueil : les questions de souveraineté nationale, qui se sont historiquement mises en opposition à toute tentative de multilatéralisme en matière de santé globale, et affaiblissent l’OMS dans la mise en œuvre de ses règlements. Pour ce qui concerne le traité pandémies, à chaque article du texte, il est indiqué « sans préjudice à la souveraineté nationale dans le domaine sanitaire », ce qui peut rendre l’accord moins fort. C’est pourquoi les modalités encore à discuter l’an prochain sur le mécanisme de financement et sur le PABS sont fondamentales, et auront valeur de test. L'accord est fondamentalement dépendant de la volonté politique des pays à mettre en œuvre les principes de collaboration et de mutualisation qu’il contient. Or certains pays – incluant trois États membres de l’UE : Pologne, Slovaquie et Italie – n’ont pas voulu le signer, précisément pour des raisons de souveraineté nationale. Mais la Chine a signé, ce qui constitue une bonne nouvelle.
Quel rôle pour l’Europe ?
L’Europe a joué un rôle central dans le lancement de l’idée du traité et dans sa négociation. Au-delà des États, des régions peuvent devenir membres de l’Accord, l’Union européenne devra donc dire si elle souhaite le signer et devenir partie prenante des COP. Ce serait une première, car l’UE n’est pas membre de l’OMS, mais elle joue un rôle très important pour la recherche et l’industrie pharmaceutique, et son pouvoir de dialogue et de convocation est précieux. Cet accord permettra, par exemple, à des acteurs comme l'UE qui se sont dotés d'une gestion renforcée des risques de pandémies de construire des partenariats efficaces avec d'autres régions et partenaires internationaux.