Présentation :

Cette synthèse constitue un compte rendu des interventions lors de la conférence internationale « Politiques contre nature ? Vers une réforme des subventions néfastes pour la biodiversité » organisée par la Fondation d’entreprise Hermès et l’Iddr au Théâtre de la Cité internationale à Paris, le 1er juin 2012.

Cette conférence a proposé trois sessions et une table ronde organisées autour de grandes problématiques :

  • Les subventions dommageables : émergence du concept, méthodes d’identification et présentation de l’étude consacrée au cas français ;
  • Quel processus de création des subventions dommageables dans les secteurs clés ? ; 
  • De leur modification à leur suppression, les subventions sont-elles incontournables ? ;
  • Quels sont les enjeux et la faisabilité sociale et politique des réformes des subventions dommageables ?

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Article :

Dans le cadre de leur cycle de conférences internationales sur la biodiversité, la Fondation d’entreprise Hermès et l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) ont organisé un nouveau rendez- vous, « Politiques contre nature ? Vers une réforme des subventions néfastes pour la biodiversité », au Théâtre de la Cité internationale à Paris le 1er juin 2012. Ce thème est donc complémentaire de celui de l’édition 2011, qui était consacrée aux instruments de marché pour la conservation de la biodiversité, et donc aux moyens de financer des stratégies de conservation plutôt que de supprimer les financements concourant à l’érosion de la biodiversité2.

Romain Pirard, responsable scientifique de la conférence et économiste à l’Iddri, spécialiste des questions forêt, agriculture et biodiversité, rappelle en introduction l’évolution du thème des subventions néfastes au sein de la Convention sur la diversité biologique (CDB), en indiquant que le point de départ est l’article 11 de la CDB mentionnant le besoin d’incitations positives. Alors que cette question est reprise au cours des années 1990 au sein de groupes de travail, les termes du débat prennent une tournure différente lorsqu’à la COP6 en 2002 les incitations perverses sont également évoquées. Ceci conduit à l’objectif 3 du Plan stratégique adopté lors de la COP10 à Nagoya en 2010, par lequel les Parties s’engagent à ce que ces subventions néfastes soient progressivement supprimées, réduites ou réformées d’ici 2020. Remarquons qu’avec cet objectif, la CDB s’attaque frontalement aux causes de l’érosion de la biodiversité, bien que tout reste à faire en termes d’identification, quantification et réformes de ces subventions présentes à tous les niveaux et dans toutes les contrées.

Romain Pirard poursuit son analyse en insistant sur l’aspect éminemment politique de la question, puisqu’il y eut traditionnellement une tension entre les critiques des aides publiques pour des raisons idéologiques, de compétitivité dans un contexte de mondialisation des échanges et d’impact sur l’environnement. Ainsi, des coalitions de pays poursuivant un agenda libéral ont attaqué en particulier le secteur agricole en Europe et aux États-Unis au cours des années 1990 au prétexte d’impacts environnementaux présumés, avant même que des preuves plus tangibles rendent cette démarche robuste au cours de la décennie suivante. Cette introduction se conclut par un rappel de quelques chiffres illustrant l’importance phénoménale de ces subventions – autour de mille milliards de dollars par an –, qui sont d’un autre ordre de grandeur que les besoins estimés de financement manquant pour la conservation de la biodiversité (autour de quelques dizaines de milliards de dollars par an3).

Patrick ten Brink, analyste senior à l’Institute for European Environmental Policy (IEEP), ouvre la première session en discutant certaines méthodologies développées pour identifier et quantifier des subventions néfastes, et en particulier celles de l’OCDE. Il indique que les subventions peuvent être classées selon un gradient allant des pires (négatives sur tous les plans) aux meilleures (positives sur tous les plans), ce qui permet d’identifier les champs d’action prioritaires. Ainsi des marges de manoeuvre existent pour leur réforme. Et de citer l’exemple des subventions pour l’eau en Espagne. Ainsi, les méthodes de l’OCDE devraient être vues dans une perspective large (au service d’une vision politique) plus que dans une perspective étriquée de simple chiffrage. La société a d’ailleurs un rôle à jouer à cet égard, en poussant pour une mise à l’agenda des réformes.

Guillaume Sainteny, maître de conférences à l’École Polytechnique, présente l’étude du Centre d’analyse stratégique (CAS), dont il a présidé la rédaction en 2011, sur les aides publiques néfastes à la biodiversité en France. Certes, la France est plutôt en retard sur ce thème en raison d’une priorité donnée traditionnellement aux outils réglementaires, mais le Grenelle de l’environnement – à l’origine de cette commande –, de même que la situation dégradée des comptes publics, ouvrent peut être une fenêtre d’opportunité pour agir en faveur de la diminution et/ou de la réorientation de certaines aides publiques particulièrement néfastes. Bien que reconnaissant certaines limites à cette étude – en particulier l’absence des aides octroyées par les collectivités territoriales –, Guillaume Sainteny plaide l’approche suivie qui aborde en priorité l’aide publique au développement (APD), les espaces maritimes, les DOM/ TOM puis la métropole, en raison des urgences en termes de biodiversité et du rôle clé des régions tropicales. Avant de conclure avec un point positif (deux mesures proposées sont déjà incluses dans la loi de finances 2012) et une précaution (ne pas compter sur les économies budgétaires pour financer des activités de protection de l’environnement en raison du montant atteint par la dette publique).

Vincent Renard, conseiller auprès de la direction à l’Iddri, ouvre la deuxième session consacrée à l’émergence de ces subventions dans différents secteurs. Il commence par indiquer l’absence de consensus sur le sujet dans le domaine des dynamiques urbaines, en insistant sur l’impact sans doute assez limité des subventions liées à l’étalement urbain. Le problème est complexe en raison des multiples mesures fiscales liées à ces dynamiques urbaines. Mais surtout, il semblerait que le phénomène de l’étalement urbain soit largement un fait de société, dicté par les besoins naturels des populations d’avoir leur maison (en dehors des villes en raison des prix inabordables en centreville), et soumis à des modes éphémères et souvent contradictoires. Au final, non seulement les concepts restent débattus (que signifie « consommation d’espace » ?), mais une chose et son contraire se succèdent au fil des rapports prônant la « dé-densification » puis la prise en compte d’objectifs environnementaux, la liberté de construire puis le besoin de planifier afin d’économiser sur les infrastructures (par exemple l’accès à l’eau), etc.

Xavier Poux, consultant chez AScA et membre du bureau de l’European Forum on Nature Conservation and Pastoralism, aborde la question agricole de manière large. Il rappelle que depuis les années 1960, l’agriculture s’est progressivement spécialisée et qu’il faut également prendre conscience des impacts à grande échelle et indirects qu’ont des modes de production mécanisés et grands consommateurs d’intrants chimiques sur d’autres systèmes agraires. Ainsi, le développement des céréales a soutenu la mise en place de l’élevage industriel et défavorisé l’élevage extensif. Cependant, les réformes de la PAC successives depuis 1992 ont instauré un découplage croissant, qui rend le lien direct entre les aides et l’intensification de plus en plus ténu. Dès lors, l’évaluation de l’impact des aides sur la biodiversité doit considérer les différents types de systèmes agraires sur lesquels elles sont ciblées (via un dispositif de policy filters et de règles d’allocation) et la dynamique de développement qu’elles entretiennent globalement, en favorisant davantage la dotation en capital de certains systèmes – les plus grands et les plus intensifs – au détriment d’autres. Au final, il est besoin d’un ciblage spécifique des aides pour certaines pratiques bien identifiées, par opposition à des aides généralisées et trop aveugles à la diversité des systèmes.

Le dernier intervenant de cette deuxième session est Markus Knigge, conseiller auprès du European Marine Programme de l’organisation Pew Environment Group, qui discute le secteur de la pêche. Ce secteur est très préoccupant en raison de la surexploitation notoire des stocks de poissons de par le monde, y compris dans l’espace européen (rappelons que la surexploitation des ressources naturelles est l’une des cinq grandes causes reconnues d’érosion de la biodiversité). Et les subventions en sont probablement le moteur principal, avec des estimations de 27 à 34 milliards de dollars annuels. Alors que la surexploitation est souvent contestée par les pêcheurs, Markus Knigge propose que la charge de la preuve soit inversée, et que les pêcheurs prouvent la durabilité de leur exploitation avant de bénéficier de ces subventions. En effet, le manque de transparence est un problème récurrent, et de nombreuses résistances persistent dans ce secteur concernant l’accès aux données, alors même que les aides pourraient servir à améliorer la collecte d’informations. Il est cependant avéré que la majorité des subventions profitent aux grosses flottes – via des aides à la modernisation notamment, ainsi que les exemptions de taxes sur le carburant qui permettent aux bateaux de s’éloigner des côtes –, et cela contrairement aux discours officiels. Ce « détournement » des subventions au profit des flottes industrielles génère également des effets négatifs sur la biodiversité via le « raclage des fonds marins » pratiqué par les gros bateaux.

Pascal Reysset, président de la société Expertise urbaine, ouvre la troisième session consacrée aux pistes de réforme des subventions. Il se propose tout d’abord d’atténuer certaines certitudes ancrées dans le rapport du CAS (2011) sur les liens de cause à effet entre étalement urbain/artificialisation des sols et érosion de la biodiversité. En effet, il est théoriquement possible de concilier les deux aspects, grâce à des aménagements bien conçus, même si cela n’est malheureusement pas la règle. De ce fait, une piste de réforme consisterait en un meilleur contrôle des aménageurs, dont la « carte professionnelle » pourrait être retirée en cas de non-respect d’un cahier des charges à définir. Ceci pourrait être combiné avec un meilleur contrôle post-études d’impact environnemental, afin de mieux vérifier la bonne mise en oeuvre des mesures de compensation. Par ailleurs, alors même que la crise du logement est prégnante aujourd’hui en France, il paraît peu envisageable de retirer l’aide à la pierre indispensable (mais pas suffisante) pour atteindre l’objectif de 400 000 logements nouveaux annuels. Il est également crucial de réaliser que la densification urbaine est d’autant plus difficile à réaliser que le pouvoir d’achat d’une majorité de la population française ne permet pas d’investir en centre-ville. Serait-il quand même possible de promouvoir les « maisons de ville » sur des parcelles inférieures à 300 m2 ? Enfin, les zones logistiques mériteraient d’être encouragées, à condition de suivre de très près leur conception et leur réalisation.

Trees Robijns, chargée d’études agriculture européenne et bioénergie à Birdlife, donne la vision de son organisation sur la réforme de la politique agricole commune (PAC) en cours de négociation à l’échelle européenne. Le point d’entrée est celui d’un renversement souhaité du rythme de disparition des espèces d’oiseaux, qui est un fait malheureusement avéré. Le deuxième pilier de la présente PAC devrait servir de modèle et point de départ, par lequel le développement rural est encouragé en symbiose avec le respect de l’environnement. Plusieurs fondations sont donc proposées qui doivent s’appuyer sur un meilleur respect de la loi. Actuellement, on peut dire que les propositions de la Commission européenne n’ont pas suivi ces recommandations autrement que dans les discours.

Roger Martini, analyste senior sur la pêche à l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), débute son propos en rappelant un ensemble de propriétés positives des subventions lorsqu’elles sont intelligemment (et dans le contexte approprié) conçues, faisant écho à la classification de Patrick ten Brink sur les good, bad, and ugly subsidies. Roger Martini insiste sur le fait que les impacts des subventions dépendent énormément du système dans lequel elles prennent place, notamment le calcul des quotas de prises, le niveau d’application des lois, et autres. Cela étant dit, il y aurait des marges de manoeuvre importantes pour des réformes, d’autant plus que les aides ne sont guère directement liées aux revenus (et encouragent des pratiques néfastes à la biodiversité comme indiqué précédemment par Markus Knigge). Bien que de nombreuses barrières existent – lobbying, résistance traditionnelle, déclin du secteur, etc. –, les réformes peuvent suivre un chemin allant de la fixation d’objectifs clairs et raisonnables à la réorientation graduelle des subventions, sans trop toucher à l’enveloppe globale et en documentant rigoureusement les résultats obtenus. Une voie prometteuse, d’après Roger Martini, serait de généraliser la distribution de quotas individuels transférables.

Ces interventions sont suivies de réactions de la part de trois discutants. Jean-Michel Charpin, inspecteur général des finances, évoque la possibilité d’une coalition à venir entre les environnementalistes et les promoteurs d’un assainissement des finances publiques. À titre personnel, il refuse que le flou reconnu du concept de biodiversité, et donc nécessairement des impacts de diverses activités et des subventions qui les soutiennent, soit brandi comme une excuse afin de retarder le moment de l’action. L’heure est grave, et l’action dans le sens d’une réforme des subventions néfastes doit être rapide. Jean-Michel Charpin attire cependant l’attention sur les coûts d’un certain nombre de réformes proposées qui génèrent des dépenses administratives importantes telles que la mise en place de contrôles. Revenant sur la question de la pêche, il affirme son soutien à la généralisation des quotas, car ce secteur a ceci de spécifique qu’il concerne une surexploitation de stocks de « biens communs » (non exclusifs mais rivaux), tout en émettant des réserves sur le bien-fondé de les rendre échangeables en raison du risque fort d’une concentration des capacités.

Christiane Lambert, première vice-présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), fait un parallèle entre le besoin de produire de nouveaux logements et celui de développer la production agricole pendant la période après-guerre. Ensuite, une autre révolution agricole a lieu : celle de la qualité des produits, de la traçabilité. À travers les réformes successives de la PAC – conditionnalité des aides, soutien à l’herbe, mesures agro-environnementales –, les agriculteurs prennent conscience de l’importance de concilier production alimentaire et environnement. Christiane Lambert rappelle la nécessité de valoriser ces services environnementaux et de reconnaitre la responsabilité écologique des agriculteurs. Et insiste sur le fait que les terres agricoles sont « victimes » d’une double peine, à savoir l’artificialisation des terres pour la construction de logements et d’infrastructures, et la mise en oeuvre progressive de la séquence Éviter Réduire Compenser (ERC). Cette dernière consiste en l’obligation faite aux développeurs de compenser (lorsqu’ils ne peuvent éviter ni réduire sur site) les impacts sur la biodiversité par la restauration et la gestion durable d’autres sites, impactant ainsi doublement le potentiel de production.

Dernier intervenant, Bernard Coloos, directeur aux affaires économiques, financières et internationales à la Fédération française du bâtiment (FFB), rappelle que la densification des villes coûte extrêmement cher, alors même qu’elle semble une solution au problème des atteintes portées à la biodiversité par l’étalement urbain et la consommation d’espace. Les politiques d’aménagement urbain sont centrales et sont discutées depuis longtemps avec des résultats mitigés, ce qui en soi montre l’ampleur du défi. La pression conjuguée de la crise du logement et de la crise économique rend la tâche d’autant plus compliquée aujourd’hui. Comme le remarque alors Guillaume Sainteny dans l’assistance, le secteur des transports pourrait être une voie plus simple pour engager des réformes de subventions néfastes à la biodiversité.

L’approche par secteur suivie pour l’organisation de la conférence a mis en évidence que ceux-ci se prêtaient plus ou moins bien aux réformes. On peut donc classer par ordre décroissant de priorité la pêche (où la surexploitation est attestée et clairement liée à des subventions), l’agriculture (où les systèmes de production sont variés en termes d’impact direct et indirect) et la ville (très sensible socialement, peu réactive aux subventions, complexe). Pour choisir les meilleures pistes de réforme, il faudrait idéalement considérer plusieurs critères : capacité de tracer l’impact des subventions, et faisabilités technique et politique des réformes. Dans la réalité, la notion de fenêtre d’opportunité pour l’action politique est fondamentale, et la société a un rôle à jouer à cet égard en poussant certains dossiers à bon escient et sans se lancer dans des campagnes trop générales et éventuellement contre-productives. Alors que les objectifs de libre-échange et de promotion d’une logique néolibérale dans le fonctionnement de l’économie peuvent rejoindre les objectifs des environnementalistes – cela s’est vu au cours des années 1990 –, cette coalition n’est pas sans risque. La gestion des finances publiques dans un contexte de crise profonde de la dette dans une partie du monde développé tend en effet à privilégier la réduction des dépenses publiques, plutôt que la réaffectation d’une partie des économies résultant de la suppression de subventions à la mise en place de programmes (notamment incitatifs) en faveur de la préservation de la biodiversité.

 

 

1. Bien que les intervenants aient relu et validé ce texte, l’auteur endosse toute responsabilité liée à une interprétation subjective des interventions et des conclusions.
2. Le compte rendu de cette édition 2011 est disponible sur le site www.iddri.org : D. Conaré, « Les instruments de marché pour la biodiversité : la nature à tout prix ? », Policy Briefs, n°02/11.
3. Un document de synthèse sur cette question est disponible sur le site de l’Iddri : Feger, C. et R. Pirard, 2012, “Assessing funding needs for biodiversity: critical issues”, Iddri, Policy Brief N°06/11, Paris.

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