Au-delà des chiffres
Les contributions nationales ouvrent la voie à la transformation bas carbone : l'Accord de Paris doit désormais faire le lien avec l'objectif de 2°C

Bonn, 22 octobre – Si les contributions soumises par les pays en vue d’aboutir à un accord mondial sur le climat ne mettent pas encore le monde sur la voie d’une limitation du réchauffement à 2 degrés Celsius, elles traduisent néanmoins une accélération et une consolidation sans précédent de l’action contre le changement climatique dans les grandes économies mondiales. En outre, elles peuvent servir de point d’entrée pour une transformation profonde vers une économie sobre en carbone, si l’Accord de Paris comprend un mécanisme de renforcement et d’élargissement des engagements politiques d’ici 2020 au plus tard. C’est ce qui ressort d’un rapport publié par un consortium de 16 instituts de recherche. Scientifiques et économistes présentent une analyse détaillée des transformations du secteur de l’énergie nécessaires pour mettre en œuvre les contributions nationales (Intended Nationally Determined Contributions – INDC), dans les grandes économies et au niveau mondial, et de leur capacité à maintenir l’objectif de 2 degrés à portée de main. 

À la date du 19 octobre, les 123 INDC soumis à la CCNUCC concernent 150 pays représentant 86 % des émissions mondiales de GES en 2012. Cette large couverture, incluant des pays de tous les continents, tous les niveaux de développement et positions historiques dans les négociations sur le climat, est en soi un grand pas en avant pour l’action climatique et le signe d’un fort engagement dans les négociations de Paris. Le critère d’évaluation des INDC est leur capacité à stimuler la décarbonation profonde du secteur de l’énergie d’ici 2050. L’analyse portée par ce rapport montre que cette transformation est en train d’émerger, mais pas assez rapidement ni assez en profondeur. La définition des futurs politiques et objectifs doit se faire en cohérence avec la décarbonation profonde à l’horizon 2050, en suivant des trajectoires concrètes.

Teresa Ribera, leader du projet et directrice de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri)

 

Financée par la Commission européenne, cette analyse des INDC a été réalisée par des équipes de chercheurs de premier plan en provenance du Brésil, de Chine, du Japon, d’Inde, des États-Unis et de l’Union européenne. Elle étudie les conséquences concrètes des INDC sur les transformations vers une économie sobre en carbone d’ici 2030 et au-delà, au niveau des systèmes énergétiques, des bâtiments, des transports et de l’industrie, et complète ainsi les analyses à venir de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et du Programme des Nations unies (PNUE) sur les effets des INDC sur les émissions mondiales et sur l’objectif de température planétaire.

Si les engagements climatiques jettent les bases d’une transition plus rapide vers une économie à faibles émissions de carbone dans le monde entier, beaucoup reste à faire pour renforcer l’engagement vers l’objectif de 2 degrés. L’Accord de Paris devra établir un échéancier clair permettant d’amplifier l’action. Des mécanismes renforçant les INDC d’ici 2020 permettraient d’envoyer le signal nécessaire aux investisseurs du secteur de l’énergie et au-delà, en particulier à travers l’annonce de nouvelles politiques climatiques concernant l’ensemble de l’économie.

Elmar Kriegler, de l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact climatique

 

Dans le cadre des préparatifs de la COP21, le rapport propose six principaux messages clés :

  • Le rapport montre que les INDC traduisent une accélération et une consolidation de l’action contre le changement climatique dans les grandes économies mondiales.
     
  • C’est particulièrement vrai dans le secteur de l’électricité, où les INDC seront le moteur de la transition vers les énergies renouvelables et d’autres formes de production d’électricité à faibles émissions. Dans les six principales économies évaluées individuellement, les émissions de dioxyde de carbone par unité de production d’électricité baissent d’environ 40 % entre 2010 et 2030 et l’énergie renouvelable devient la principale source de production d’électricité, atteignant environ 36 % du mix électrique. Les mêmes tendances positives caractérisent l’efficacité énergétique, l’intensité énergétique du transport de passagers, par exemple, baissant au total de 30 % entre la Chine, l’Inde, l’UE, les États-Unis, le Brésil et le Japon. 
     
  • Toutefois, le rapport souligne que les INDC impliquent des progrès inégaux des différents moteurs de décarbonation. Il est peu probable que les INDC permettent le développement d’un certain nombre de solutions visant à réduire les émissions de carbone, comme le CSC, les véhicules électriques, les biocarburants avancés ou encore l’aménagement urbain durable, à l’échelle et à la vitesse requises pour un scénario à 2 °C. De même, le rapport souligne que dans les INDC, la part des combustibles fossiles inefficaces demeurant présents en 2030 est trop élevée pour être cohérente avec le scénario des 2 degrés. Cela met en évidence les risques d’enfermement dans une trajectoire à forte teneur en carbone si les mesures prévues ne sont pas rapidement renforcées.
     
  • Les INDC doivent être renforcés pour que l’objectif de 2 °C reste à portée de main. Les INDC seuls, tels qu’ils sont actuellement proposés, impliqueraient la nécessité d’un changement de cap radical et brusque en 2030 et un rythme de transformation techniquement difficile et coûteux sur le plan économique par la suite pour atteindre l’objectif de 2 °C.
     
  • L’Accord de Paris peut faire le lien entre les INDC et l’objectif de 2 °C en mettant en place un mécanisme prévisible et crédible de renforcement régulier des objectifs et des politiques, sur une période quinquennale, le premier renforcement ayant lieu d’ici 2020 au plus tard. Le rapport examine un tel « scénario de liaison » dans lequel l’action est renforcée au fil du temps, au-delà du niveau d’ambition des INDC. Dans ce scénario, un renforcement des politiques et des engagements d’ici 2020 réduit les émissions de plus de 5 Gt CO2eq en 2030 par rapport au niveau de l’INDC, proposant une trajectoire moins coûteuse et plus réaliste menant à l’objectif de 2 °C. Il permet également de réaffecter plus facilement les investissements non plus dans des projets à haute teneur en carbone, mais en faveur des technologies et infrastructures sobres en carbone, évitant ainsi les risques liés au délaissement d’actifs et de perturbations économiques.
     
  • Le renforcement des objectifs et des politiques climatiques sera facilité par le fait que les INDC peuvent générer d’importants co-bénéfices en termes d’atténuation des changements climatiques. Pour les pays étudiés, le rapport constate des réductions significatives de la dépendance énergétique et de la pollution locale de l’air.

    Nous avons constaté que les INDC présenteront également des avantages au-delà de l’atténuation climatique – ils aideront les pays à réduire à la fois la pollution locale de l’air et les importations d’énergie croissantes de l’UE, du Japon et de la Chine. Ces co-bénéfices peuvent être une excellente opportunité de développer des politiques climatiques nationales ambitieuses, qui permettraient de renforcer encore davantage les INDC

    Jessica Jewell, chercheure à l’Institut international pour l’analyse des systèmes appliqués (IIASA)

 

Messages principaux par pays

  • Les États-Unis ont présenté leur INDC à la CCNUCC le 31 mars 2015. Le principal élément de cette contribution est l’engagement du pays « à atteindre l’objectif global de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 26 à 28 % d’ici 2025 par rapport aux niveaux de 2005 et à faire tous les efforts possibles pour les réduire de 28 % ». Les États-Unis prévoient de mettre en œuvre leur INDC au moyen des pouvoirs législatifs en place. Nous avons utilisé le Global Change Assessment Model pour étudier la contribution des États-Unis, notamment le U.S. Clean Power Plan. Il en ressort que la mise en œuvre effective de l’INDC des États-Unis permettrait d’accélérer la transition vers des technologies faiblement ou non émettrices, en particulier dans le domaine de la production électrique, et améliorerait le déploiement de technologies de meilleure efficacité énergétique. D’importantes incertitudes persistent dans cette analyse d’ici 2025, et il pourrait être nécessaire de renforcer la série de mesures actuellement en place pour que le pays puisse atteindre son objectif.

    Nous avons constaté que la mise en œuvre effective de l’INDC des États-Unis permettrait d’accélérer la transition vers des technologies faiblement ou non émettrices, en particulier dans le domaine de la production électrique, et améliorerait le déploiement de technologies de meilleure efficacité énergétique.

    Leon Clarke, Pacific Northwest National Laboratory (PNNL)


     
  • L’analyse de l’INDC du Japon montre que sa mise en œuvre nécessitera une importante restructuration du système énergétique. Pour réduire la consommation d’énergie grâce à l’amélioration de l’efficacité énergétique, le Japon devra repousser les frontières technologiques pour le développement d’équipements efficaces. De plus, la forte croissance des énergies renouvelables annoncée par l‘INDC devrait dynamiser les marchés mondiaux – mais constitue aussi un défi compte tenu des contraintes géographiques du Japon. Le principal bénéfice d’une telle évolution du système énergétique est la réduction des importations d’énergie ; toutefois, comme l’a montré la crise consécutive à la catastrophe de Fukushima, la sécurité énergétique et le coût de l’énergie continueront d’être des enjeux clés pour le Japon.

    Au-delà de ses incidences à l’échelle nationale, la réussite mondiale de l’INDC japonais dépendra de la coopération internationale en matière d’innovation technologique et de la mise en place d’un processus clair de révision et de renforcement des INDC dans l’Accord de Paris.

    Mikiko Kainuma, National Institute for Environmental Studies (NIES)


     
  • L’analyse de l’INDC de l’Union européenne montre qu’une transformation majeure du système énergétique de l’UE est nécessaire pour atteindre l’objectif de 2030. L’effort de réduction des émissions consistera en grande partie à améliorer continuellement l’intensité énergétique (à un rythme plus élevé que dans le passé), en particulier dans les secteurs des transports et des bâtiments, plutôt rigides en termes de substitution des combustibles fossiles sur le court terme. L’analyse montre également que la décarbonation du secteur de la production d’électricité (principalement grâce au déploiement à grande échelle des énergies renouvelables), associée au remplacement des combustibles fossiles par l’électricité dans des applications en dehors du secteur des transports, est une stratégie d’un bon rapport coût-efficacité pour mettre efficacement en œuvre l’INDC. La transformation du système énergétique de l’UE pose des défis importants liés aux besoins croissants en investissements dans l’amélioration de l’efficacité énergétique, à l’accélération du déploiement des énergies renouvelables et au remplacement des infrastructures énergétiques vieillissantes. 

    La transition vers une économie à faible intensité de carbone est difficile, mais encore tout à fait possible si les politiques en place réorientent les fonds vers des investissements dans les énergies propres.

    Leonidas Paroussos, Energy-Economy-Environment Modelling Laboratory (E3M Lab)


     
  • L’INDC de l’Inde présente l’objectif ambitieux en termes d’énergies renouvelables d’atteindre d’ici 2030 environ 40 % de puissance installée cumulée issue de ressources énergétiques à base de combustibles non fossiles. Les objectifs spécifiques incluent une capacité de production de 175 GW d’ici 2022, dont 100 GW solaires par rapport aux 4 GW existants. Ce serait le programme d’énergie renouvelable le plus ambitieux au monde. L’Inde propose également plusieurs programmes visant à améliorer la consommation d’énergie d’usines fortement consommatrices, notamment 144 centrales électriques au charbon. L’INDC entend aussi dynamiser la production d’énergie propre à base de charbon. Il comprend également d’ambitieux programmes en matière d’instauration de normes et de labels sur les appareils électroménagers, de réduction des pertes liées au transport et à la distribution d’énergie, et d’élargissement de la couverture forestière d’un demi-million d’hectares supplémentaires ainsi que la plantation d’arbres le long des 140 000 km d’autoroutes nationales. L’objectif global est de réduire de 33 à 35 % l’intensité des émissions du PIB indien sur la période 2005-2030. L’Inde a sollicité un soutien international en matière de transfert de technologies ainsi que des financements pour aider à atteindre ces objectifs ambitieux. Il est également prévu que les émissions par habitant du pays restent en dessous des moyennes mondiales jusqu’en 2030. Le fort développement des énergies renouvelables annoncé dans l’INDC devrait dynamiser les marchés mondiaux, notamment en termes d’innovation et de déploiement technologiques.

    Au-delà de ses incidences à l’échelle nationale, la réussite mondial de l’ambitieux INDC de l’Inde dépendra de la coopération internationale en matière de transfert de technologies et de soutien financier.

    Amit Garg, Indian Institute of Management Ahmedabad (IIMA)


     
  • Le Brésil dispose de l’un des systèmes énergétiques les plus propres et d’un mix énergétique bas carbone reposant sur l’énergie hydroélectrique pour l’électricité (environ 70 à 80 % de la production d’électricité ces dernières années) et sur une forte pénétration des biocarburants. Le pays a récemment connu une augmentation significative de la production d’énergie éolienne et la mise en place de nouvelles enchères pour la production d’électricité solaire. Mais des études récentes indiquent qu’en l’absence de mesures d’atténuation, le mix énergétique brésilien actuel continuera sur sa trajectoire d’augmentation de l’intensité carbone. L’épuisement du potentiel hydroélectrique en dehors de la région amazonienne, et la vulnérabilité au changement climatique de la capacité hydroélectrique existante signifient que d’autres sources joueront un rôle de plus en plus important pour satisfaire la demande de base, le charbon étant la solution la moins coûteuse. L’INDC brésilien prend en compte les secteurs de l’utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie (UTCATF), ainsi que de l’agriculture et de l’énergie : il définit un objectif d’émissions absolues de 1,3 GtCO2eq d’ici 2025 et de 1,2 GtCO2eq d’ici 2030, ce qui correspond à des réductions de 37 % et 43 %, respectivement, par rapport à 2,1 GtCO2eq en 2005, soit des émissions par habitant de 6,2 tCO2eq en 2025 et de 5,4 tCO2eq en 2030.

    Notre analyse suggère que l’INDC brésilien nécessite la mise en œuvre de mesures ambitieuses contre la déforestation et la réduction des émissions dans le secteur de l’agriculture, et peut aider à éviter une augmentation de l’empreinte climatique du secteur énergétique brésilien qui serait inéluctable dans un scénario de statu quo. En outre, notre analyse suggère que des mesures supplémentaires seraient envisageables sans coûts supplémentaires majeurs dans le secteur de l’énergie. 

    Roberto Schaeffer, Center for Energy and Environmental Economics (COPPE)


     
  • La Chine a soumis son INDC à la CCNUCC le 30 juin 2015. L’INDC chinois inclut l’objectif d’un pic d’émissions de CO2 vers 2030 ou plus tôt si possible, d’une réduction de l’intensité carbone du PIB de 60 % à 65 % par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030, d’une augmentation de la part des combustibles non-fossiles dans la consommation d’énergie primaire à environ 20 % en 2030, et d’une augmentation du volume des stocks forestiers d’environ 4,5 milliards de m3 par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030. L’INDC chinois est formulé en termes de CO2, mais le texte implique des mesures prises sur d’autres gaz. Cet INDC comprend également une liste complète d’actions. Trois équipes de modélisation nationale chinoises (Université de Tsinghua, NCSC/RUC, et l’ERI) ont évalué l’INDC chinois en se basant sur leurs propres modèles. 

    Nous avons constaté que l’INDC chinois montrait une accélération de la décarbonation, en particulier la décarbonation du secteur énergétique et l’amélioration de l’efficacité dans les secteurs d’utilisation finale. Cette trajectoire de décarbonation est compatible avec l’ensemble des scénarios suivant lesquels la probabilité que l’objectif de 2 °C soit réalisé est supérieure à 50 %, d’après la base de données de scénarios du RE5 du GIEC, si des réductions importantes et ambitieuses sont réalisées après 2030, sur la base de technologies suffisamment préparées à l’avance.

    Fu Sha, Renmin University and National Centre for Climate Change Strategy and International Cooperation (NCSC)