Laurent Mermet, membre éminent du conseil scientifique de l'Iddri, vient de décéder. L'Iddri tient à rendre hommage à celui qui a inspiré, soutenu et enrichi l'action et les stratégies de nombreux acteurs qui s'engagent pour l'environnement. L’Iddri est l'un de ces acteurs, et beaucoup de nos propositions et de nos manières de voir et d'agir dans le champ d'action pour l'environnement ont été influencées par l'aventure intellectuelle de Laurent Mermet, qui a également été le compagnon de route, l’initiateur et le formateur d’une partie des membres actuels et passés de l’Iddri.

Un parcours au plus près de la nature

Son enfance en Alsace l’initie à une fréquentation enthousiaste et passionnée de la nature. Il devient ainsi ornithologue passionné dès sa jeunesse, passion qui l’a par exemple conduit à traverser une partie de l’Europe sur une mobylette ou à camper sur des îles flottantes du delta du Danube.

Elève brillant, il intègre l’Ecole normale supérieure en biologie et se spécialise en écologie forestière. Son désir profond et personnel de cohabitation avec la nature le conduit à constater, lors de son stage forestier en Guyane, que la connaissance scientifique est limitée dans ses capacités à agir pour préserver son objet, si elle ne s’accompagne pas d’une compréhension des jeux de pouvoir, d’un équipement pour penser les questions stratégiques, enfin d’un engagement personnel à faire « bouger les lignes » dans la direction de son objectif. Il se tourne alors vers la réflexion stratégique et l’intervention dans les politiques publiques, à travers sa participation à une équipe innovante, le cabinet SCORENA, et passe un an à l’International Institute for Applied Systems Analysis  (IIASA, organisme de coopération scientifique internationale basé en Autriche, qui aura marqué son parcours). À l’instigation notamment, de Claude Henry, il découvre l’intérêt de « renverser la charge de la preuve » en ce qui concerne les politiques et projets qui dégradent l’environnement, en s’intéressant de près à leur rationalité. Plutôt que de tenter de défendre une « valeur » de la nature qu’il pense plutôt une question de désir et de sens de l’existence collective, il questionne l’intérêt, souvent bien mal assuré, des projets et des programmes qui la menacent.

Il ajoute une thèse en gestion à son palmarès d’ancien élève de Normale, et, pour mettre ses idées en action, fonde le cabinet AScA. Il s’y distingue notamment sur les dossiers des barrages projetés dans le sud-ouest de la France, à la justification technico-économique discutable, puis réalise, pour le compte du préfet Bernard, la première évaluation de la politique des zones humides qui marque une époque de la politique environnementale française. Dans la même veine, il démonte le système d’acteurs qui préside à la disparition de la souche d’ours des Pyrénées. Il est habilité à diriger des recherches en 1994, et devient professeur à l’Engref (fusionnée en 2007 avec AgroParisTech). Il élabore alors les fondements théoriques de l’analyse stratégique de la gestion environnementale (ASGE), qui a fait des émules auprès de toute une génération de chercheurs et d’acteurs de l’environnement.

Un héritage important dans la pensée de l’environnement et de sa protection

Sa pensée part de l’idée que l’insuffisance de l’action pour l’environnement n’est pas (seulement) due à un déficit d’information ou de communication menant à une coordination imparfaite d’acteurs poursuivant le même but collectif. Ses approches sont traversées par une attention aux stratégies d’acteurs, et il combat la tendance de l’époque à ce qu’il appelle « l’hâtrologie », soit le fait de globaliser les problèmes et les systèmes d’acteurs dans un « nous » indistinct, un collectif flou. Cela le conduit à conceptualiser le principe des « acteurs d’environnement » et l’existence de résistances organisées et intelligentes aux changements en faveur de l’environnement, qu’il faut combattre en concevant une stratégie adaptée au contexte.

Au sein des Environment Studies, le parcours singulier de Laurent Mermet se distingue par au moins deux préoccupations centrales, qui ont guidé son exploration des terrains de recherche, des champs d'action politique, et du monde des idées :

  • s'autoriser à prendre le point de vue stratégique d'un acteur dont la mission est de protéger l'environnement, pour révéler toutes les complexités de l'action publique et de l'action collective, mais aussi comme axe de critique fondamentale des systèmes sociaux, économiques et politiques ;
  • étudier le long terme et la manière dont sont construites les représentations dans les discours et les recherches, et comment la fabrique des futurs devient elle-même un champ de bataille stratégique, particulièrement structurant pour l'action en faveur de l'environnement.

Ainsi, pour équiper les acteurs d’environnement dans leur stratégie, Laurent Mermet a apporté des idées décisives dans les champs de la prospective, de l’évaluation de politiques publiques, de la négociation , des procédures de concertation et de l’évaluation économique, qu’il a renouvelés en les concevant dans la perspective d’une intervention stratégique des acteurs d’environnement.

Il a inspiré plusieurs dizaines de chercheurs ou d’acteurs d’environnement, diffusant ses idées auprès de générations d’étudiants, et transformant ainsi, discrètement mais profondément, la pensée et le débat environnemental en France. Il avait découvert, ces dernières années, la puissance et l’intérêt de la vidéo pour faire essaimer sa pensée et dialoguer avec le monde, et alimenté avec passion une chaîne Youtube dont l’audience croissante le réjouissait.

Possédant une culture aussi éclectique que profonde, fréquentant les philosophes de l'Antiquité dans leur langue, il a constamment élargi sa pensée et en a généreusement fait bénéficier son entourage, tout en approfondissant sa propre démarche philosophique et spirituelle. Atteint fin 2018 par une maladie fulgurante, il a sidéré ses proches par son courage et sa sérénité dans la préparation de sa propre disparition, et a quitté ce monde dans l’amour et la paix le 16 juin après-midi.

Anciens doctorants, anciens étudiants, collègues, amis, nous sommes tous très tristes et adressons toutes nos pensées à la famille de Laurent.

Ce que Laurent nous a laissé en héritage continuera d'inspirer nos actions, nos réflexions, nos stratégies et de se diffuser auprès des étudiants, militants, chercheurs, acteurs qui mettent leur passion et leur énergie au service de l'environnement.