Le 16 juillet 2025, la Commission européenne a présenté un ensemble de propositions législatives définissant une nouvelle architecture budgétaire et réglementaire pour le cadre financier pluriannuel (CFP) 2028-2034, qui doit être débattue par le Conseil de l’UE et le Parlement européen. Ce paquet législatif inclut une proposition de réforme de la politique agricole commune (PAC), une politique centrale dans le budget européen (dont elle absorbe 25 % des fonds) et pour l’évolution des systèmes de production. Dans une perspective de durabilité du secteur agricole, ce billet de blog identifie quatre éléments clés qui devraient être au cœur de la suite des négociations.1

Une architecture environnementale porteuse de risques et d’opportunités pour le secteur

La Commission propose une réforme de l’architecture environnementale de la PAC, critiquée pour son manque d’ambition et d’efficacité. Dans une logique proche du cadre actuel, ce nouveau modèle repose sur deux types de dispositions : des règles obligatoires pour les agriculteurs recevant des subventions européennes et des mesures incitatives facultatives pour les agriculteurs mais obligatoires pour les États membres. L’architecture de ces dispositifs est toutefois modifiée, offrant plus de liberté aux États membres pour penser des programmes au plus près des besoins des agriculteurs : choix de paiements annuels ou pluriannuels ; rémunération de services ou accompagnement à la transition agroenvironnementale ; ciblage des territoires ; montant des aides ; pratiques faisant l’objet d’un soutien. 

Par ailleurs, alors que les mesures environnementales de la PAC actuelle (2023-2027) bénéficient d’un budget prédéfini et d’un financement intégralement européen pour une majorité d’entre elles, ces dispositifs sont supprimés dans la proposition de la Commission. Les États membres sont tenus de proposer des mesures vertes aux agriculteurs, mais le budget devant leur être octroyé n’est pas encadré : il est laissé à la discrétion des États membres et doit être complété par un co-financement national d’au moins 30 %.

L’absence d’incitations ou de contraintes budgétaires et/ou règlementaires définies au niveau européen pourrait conduire à la marginalisation des mesures agro-environnementales, a fortiori dans un contexte de restriction budgétaire et de désintérêt politique pour les enjeux environnementaux. 

La gestion des risques : un levier de durabilité ? 

Au contraire, la question de la gestion des risques et des crises suscite un intérêt croissant de la part des co-législateurs, en raison de l’augmentation des aléas – géopolitiques, sanitaires, climatiques – auxquels les agriculteurs font face et dont la puissance publique doit amortir les conséquences. En réponse à ces préoccupations, la Commission propose de doubler le budget de la réserve agricole (renommée « filet de sécurité unitaire »), utilisée pour répondre aux crises de marché, et prévoit un mécanisme de flexibilité permettant aux États membres d’aider les agriculteurs en cas de crises climatiques et sanitaires.  

La Commission ouvre également la voie à un renforcement de la gestion des risques par les États membres : elle est rendue obligatoire lorsqu’aucun dispositif n’est prévu au niveau national. De plus, la proposition de règlement ne mentionne pas d’outils spécifiques, laissant une entière liberté aux États membres : ceux qui le souhaitent peuvent ainsi privilégier les mesures d’adaptation rendant les fermes plus résilientes face aux aléas. Pensée dans une logique de long terme, cette recherche de résilience pourrait permettre de favoriser l’adoption de pratiques également bénéfiques en matière d’atténuation du changement climatique et de restauration de la biodiversité.

Cependant, à l’instar des actions agro-environnementales et climatiques, ces mesures ne bénéficient pas d’un budget pré-alloué ni d’un financement intégralement européen. En l’absence de directives communes, la mise en place d’une gestion des risques efficace repose entièrement sur les États membres, dont rien ne garantit qu’ils se saisiront de l’opportunité offerte par la Commission. 

Les mesures de prévention des risques, plus propices à susciter l’intérêt des co-législateurs dans la période politique actuelle qu’un agenda purement environnemental, ne pourront effectivement servir de levier de durabilité que si le cadre commun est renforcé afin que, d’une part, les États membres partagent une même définition des mesures les plus efficaces à mettre en œuvre pour anticiper les aléas et atténuer leurs effets lorsqu’ils surviennent et que, d’autre part, les États soient incités à effectivement les mettre en œuvre. 

La nécessité de penser des garde-fous au niveau européen

La nouvelle architecture proposée par la Commission repose sur une subsidiarité accrue : chaque État membre élabore un plan de partenariat national et régional (PPNR) qui définit la façon dont il va utiliser les fonds européens lui étant pré-alloués. L’ambition et le caractère commun de ce nouveau cadre reposent quasi exclusivement sur les prérogatives que la Commission s’alloue pour contraindre les États membres dans l’élaboration et le suivi de leur plan. 

Ces dispositifs, peu populaires auprès des États membres, pourraient être affaiblis, voire supprimés, lors des négociations entre le Conseil et le Parlement européen. Or, en l’absence d’un partage de compétences encadré juridiquement, la Commission ne dispose pas d’une « autorité naturelle » à même de contraindre les États membres. 

En cas de modification des prérogatives de la Commission au cours des négociations, il reviendrait alors au Conseil et au Parlement de penser d’autres garde-fous à même de garantir un marché commun juste et équitable pour les agriculteurs européens, mais également d’assurer une ambition environnementale dans les plans d’action des États membres. Cela est d’autant plus important que la proposition de réforme de la PAC est peu détaillée et laisse d’importantes marges de manœuvre aux États membres et à la Commission. D’où l’importance de s’intéresser aux acteurs et intérêts qui influeront sur le cours des négociations de cette réforme.

L’ouverture des négociations agricoles à de nouveaux acteurs : quelles conséquences pour la prochaine PAC ? 

Le secteur agricole européen a historiquement bénéficié d’un traitement politique et législatif spécifique, ce qui contribue à expliquer certaines permanences dans l’évolution de la PAC. Or les propositions législatives de la Commission mettent en place une nouvelle architecture décisionnelle qui ouvre l’espace des négociations à des acteurs non agricoles aux niveaux européen et national. 

Au niveau européen, l’adoption d’un Fonds unique, auquel est intégré la PAC au même titre que les autres politiques en gestion partagée, telle que la politique de cohésion, relève des compétences du Conseil des affaires générales. Les experts agricoles sont associés à ces négociations, mais n’en sont plus les principaux acteurs ; ils doivent de plus composer avec les autres secteurs inclus dans le Fonds. L’agriculture est donc désormais intégrée, de façon plus importante que par le passé, à des négociations multisectorielles. 

Au niveau des États membres, le secteur agricole ne dispose plus d’un plan national spécifique, mais est inclus dans le PPNR, dont l’élaboration fait intervenir différents ministères et parties prenantes. Là aussi, les intérêts agricoles seront mis en balance avec d’autres, sous la houlette d’instances de coordination transversales. En raison de taux de co-financements nationaux plus élevés, les ministères chargés des finances et du budget devraient également gagner en importance.  

Poursuite ou sortie du statu quo pour la PAC 2028-2034 ? 

Ainsi s’ouvre une période de négociations déterminantes pour le futur du secteur agricole européen. Plusieurs processus, dépendants les uns des autres, se déroulent parallèlement au sein de différentes instances. Cette nouvelle architecture décisionnelle ainsi que la plus grande subsidiarité octroyée aux États membres et la concision des propositions législatives de la Commission renforcent l’incertitude quant aux textes qui seront finalement adoptés. 

Rien ne garantit une révolution de la PAC ; au contraire, les États membres pourraient adopter un cadre permettant de garder une politique proche de celle actuellement en vigueur au prix de la poursuite de l’affaiblissement de son caractère commun et de son cadre environnemental. Pour autant, en proposant une nouvelle gouvernance et une refonte de certains dispositifs phares de la PAC, dont l’aide au revenu, la Commission offre aussi la possibilité aux États membres et au Parlement européen de réformer en profondeur la PAC. L’issue des négociations dépendra des rapports de pouvoir entre les différents acteurs, tant à Bruxelles que dans les différentes capitales.