Il en va ainsi de la routine des négociations climatiques, depuis 1995 : un round de négociations succède à un autre, toujours l’ouvrage est remis sur le métier, afin de définir, renforcer et coordonner l’action climatique mondiale. Dans ce cadre, la session intermédiaire qui vient de s’achever à Bonn (8-18 mai 2017) avait pour objectif principal, dans le sillage de la COP22 de Marrakech, de préciser les modalités de mise en œuvre de l’Accord de Paris, dans un contexte géopolitique tendu (les États-Unis vont-ils sortir de l’Accord de Paris ?) et alors que les données scientifiques convergent pour témoigner d’un réchauffement climatique toujours plus rapide.

En novembre 2016, l’onde de choc provoquée par l’élection de Donald Trump à la présidence américaine s’était propagée jusqu’au centre de négociations de la COP22 à Marrakech, nourrissant inquiétudes et ressentiments quant au rôle que les États-Unis allaient désormais jouer dans l’effort collectif de lutte contre le changement climatique. Six mois plus tard, à Bonn, les premières mesures prises par l’Administration Trump (visant notamment à restreindre l’action de l’Agence de protection de l’environnement [EPA] et à démanteler les réglementations du Clean Power Plan mis en place par l’Administration Obama) et la menace d’un retrait possible des États-Unis de l’Accord de Paris ont renforcé ces inquiétudes. Cependant, comme à Marrakech, les négociateurs et l’ensemble de la communauté internationale ont tenu à rappeler sans ambiguïté à la fois l’importance de l’engagement américain dans la lutte globale contre le changement climatique, la force de l’Accord de Paris et la pérennité de ses objectifs.Le spectre de la décision du Président américain, bien que discuté à l’envi dans les couloirs, n’est pas parvenu à faire dérailler les négociations, qui ont progressé de façon constructive dans l’esprit qui avait prévalu lors de la COP21 en 2015 et depuis.

Concernant les dispositions techniques de l’Accord de Paris, dont la définition des règles est indispensable à sa mise en œuvre, les négociateurs avaient à Bonn une feuille de route précise : poursuivre l’élaboration du rulebook de l’accord, soit son « manuel d’application », qui devra être adopté en 2018. Qu’il s’agisse de transparence dans la mesure des émissions de gaz à effet de serre de chaque pays (quelles données, quelles méthodologies, quelle cohérence possible entre les communications, quelles flexibilités), d’évaluation collective de l’atteinte des objectifs (questions qui structureront le dialogue de facilitation de 2018, mais surtout le bilan mondial sur le renforcement de l'ambition qui se tiendra tous les 5 ans à partir de 2023) ou de financement des politiques climatiques, notamment pour les pays les plus démunis, les négociations se sont déroulées sans accroc majeur. Si certains désaccords entre pays développés et grands émergents ont refait surface, les délégations se sont satisfaites des progrès accomplis, et les travaux se poursuivront à la COP23 en novembre 2017 ; la tâche reste immense.

Au-delà de ces éléments techniques, qui témoignent de rapports de force parfois mouvants et d’intérêts parfois divergents, se jouait à Bonn une autre partie, d’une autre dimension, celle du leadership de l’action climatique mondiale. Si l’ombre menaçante d’un désengagement américain n’a pas empêché le déroulement normal des négociations, elle n’en a pas moins rebattu les cartes de la géopolitique climatique. C’est pourquoi la Chine et l’Europe ont insisté sur leur rôle respectif et commun dans la dynamique d’action en faveur du climat, ce que devrait confirmer le 19e sommet bilatéral entre les deux puissances qui se tiendra les 1er et 2 juin à Bruxelles et à l’agenda duquel les questions climatiques figurent en très haute place. De même, les réunions du G7 (29 mai) et du G20 (07-08 juillet), qui se dérouleront toutes deux en Europe, devraient être l’occasion d’affirmer ce partenariat stratégique, tout en mettant les États-Unis face à leurs responsabilités multilatérales. C’est aussi le sens de l’annonce du Canada, de la Chine et de l’UE, qui vont convier conjointement une réunion ministérielle en septembre, dans le sillage du défunt Forum des économies majeures (MEF), lancé en 2009 par Obama et piloté depuis par les Américains.

Enfin, autre facette du leadership, les pays les plus fragiles ont martelé leur engagement indéfectible dans le combat contre le changement climatique, au travers d’actions et de politiques menées au quotidien sur le terrain, et ont appelé la communauté internationale à les soutenir davantage. La présidence fidjienne de la COP23 (qui se tiendra à Bonn) a mis les pays les plus vulnérables aux impacts du changement climatique au cœur des discussions, et le Climate Vulnerable Forum (qui regroupe 48 pays, et plus d’un milliard d’habitants) s’est prononcé pour un renforcement significatif de l’ambition et des financements climatiques. L’enjeu et l’urgence pour ces pays dépassent en effet les tergiversations techniques et les gesticulations géopolitiques, et rappellent la nécessité d’agir, maintenant. Espérons que ce message puisse être entendu notamment de l’autre côté du Pacifique…