Avant la COP21, son président Laurent Fabius, a souvent évoqué le fantôme de Copenhague qui planait sur les négociations climatiques depuis l’échec de la COP15 en 2009. C’est le fantôme du futur président américain qui aura fait trembler les négociateurs réunis à Marrakech quand l’onde de choc du séisme électoral a atteint les coteaux de l’Atlas, deux jours à peine après l’ouverture de la COP22.

Elle avait pourtant débuté sous d’excellents auspices après une année de mobilisation politique et diplomatique sur le climat, qui a permis d’obtenir plus d’une centaine de ratifications de l’Accord de Paris en un temps record, sans parler des avancées dans la réglementation du transport aérien ou des gaz réfrigérants. L’Accord de Paris est ainsi entré en vigueur, le 4 novembre, quelques jours avant l’afflux des délégations au Maroc, moins d’un an après son adoption à Paris le 12 décembre 2015, du jamais vu de mémoire onusienne. Personne ne l’avait anticipé. Personne non plus n’aurait cru qu’à peine après être entré dans le droit international, il éprouverait son premier « stress test ».

En effet, difficile d’analyser les discussions lors de la COP22 sans évoquer l’effet Trump, que chacun avait à l’esprit, source indéniable d’inquiétudes, de conjectures ou du moins d’incertitudes. Voulait-il, pouvait-il, allait-il mettre à bas l’Accord de Paris pour lequel la communauté internationale s’était rassemblée malgré ses différences pour écrire une nouvelle page de l’action climatique ? L’hésitation des délégués sur la meilleure approche à suivre était palpable : rejet ? Résistance ? Passivité ? Combat ? Provocation ?

Après ce moment de fébrilité, voire d’inquiétude où les spéculations sont allées bon train, le message d’unité de la communauté internationale à l’issue de ces deux semaines est clair : l’Accord de Paris a amorcé la transformation du monde vers des sociétés résilientes et faiblement carbonées, et ce mouvement est « irréversible ». Les pays et leurs leaders présents l’ont affirmé haut et fort, et la présidence marocaine a consigné ce message rassurant dans la « proclamation de Marrakech » : l’élan continue, et la communauté internationale reste rassemblée et solidaire. Pallier ce type de soubresaut politique est justement une des raisons pour lesquelles il était essentiel d’obtenir un accord véritablement universel l’an dernier. Par ailleurs, faute de leadership américain ou européen, ce sont les pays les plus vulnérables au changement climatique qui se sont positionnés comme moteurs, en annonçant lors du « Climate Vulnerable Forum » leur objectif d’atteindre un mix énergétique à 100 % renouvelable aussi vite que possible, appelant pour ce faire le soutien du Nord et des grands émergents.

Les États n’ont pas été les seuls à marteler ce credo, renforcés par ceux que l’on appelle dans le jargon onusien les « acteurs non-étatiques », c’est-à-dire les entreprises, les ONG, les villes, les régions qui elles aussi s’engagent pour le climat. Après la COP21, dont le succès a aussi été celui des nombreuses initiatives et coalitions, régionales ou sectorielles, regroupant ces nouveaux acteurs de l’action climatique, ceux-ci sont venus en nombre à Marrakech pour démontrer que la transition est en marche : pour le secteur privé comme pour les territoires, l’engagement est stratégique et s’inscrit dans le long terme. Il répond à une logique économique qui s’amplifie et à une demande croissante de la part de leurs clients, concitoyens et collaborateurs, une dynamique qui n’est pas prête de s’inverser. Un mouvement qui se manifeste bien au-delà des enceinte onusiennes, comme l’ont par exemple montré : 1) le courrier de 365 grandes entreprises américaines au futur Président Trump l’exhortant à poursuivre l’action climatique domestique faute de quoi la prospérité américaine serait en danger ; ou 2) le second rapport annuel de la Coalition de pour la décarbonation des portefeuilles (Portfolio Decarbonization Coalition, PDC), qui compte 27 investisseurs institutionnels représentant un total de 3 000 milliards de dollars d’actifs et visant à réorienter 600 milliards de dollars vers des investissements climato-compatibles.

La dynamique est désormais celle de la mise en œuvre conjointe des engagements. Le lancement d’une plateforme pour les stratégies de long terme (2050 Pathways Platform), soutenue par l’Iddri, l’illustre bien : en plus de 22 États, plus d’une trentaine de collectivités et près de 200 entreprises se sont engagées dans cette démarche visant à partager des plans d’action concrets pour anticiper et conduire, chacun à son échelle, une décarbonation profonde, nécessaire pour atteindre l’objectif de l’Accord de Paris.

Les négociateurs, enfin, ont joué leur rôle. Sans remettre en cause les grands principes de transparence, d’ambition et de solidarité établis à Paris, ils ont entamé le travail technique visant à fixer les règles et dispositions de mise en œuvre de l’Accord de Paris, couvrant des sujets aussi divers que la mesure des émissions, la valorisation et le financement des actions d’adaptation, ou le design du mécanisme d’ambition qui devra permettre aux États d’aller plus loin dans leurs engagements. Ils se sont mis d’accord pour accélérer leur programme de travail afin de le conclure dans deux ans, lors de la COP24 qui se tiendra en Pologne. Se fixer une limite est un progrès significatif, et doit permettre à la communauté internationale de relancer une dynamique politique et diplomatique en vue de 2020.

L’Accord de Paris semble donc bien armé pour relever ce premier « stress test ». La communauté climatique poursuit son travail et s’est dotée des moyens et des outils pour ce faire. Elle doit cependant intégrer la nécessité de répondre à l’appel trop souvent instrumentalisé par les populismes ambiants : la transformation bas carbone, combinée au contexte socio-économique, effraie une frange de la population, une partie des territoires et des acteurs économiques qui se cabre et y résiste. Cette inquiétude est légitime, et les moyens d’y répondre doivent ête trouvés. Cela nécessite de mettre en œuvre une « transition juste ». Cette notion, adoptée par l’Organisation internationale du travail en 2013 et reprise dans l’Accord de Paris, se décline en plusieurs volets : créer des emplois décents, favoriser le dialogue social, anticiper les impacts et les besoins de formation, développer des plans de diversification économique locaux, et assurer la pérennité de la protection sociale et des systèmes de retraite. Opérationnaliser cet engagement sera déterminant pour accompagner la reconversion des personnes, activités et territoires, et assurer le succès de la transition vers le développement durable.

La mise en œuvre de tous les engagements pris à Paris puis à Marrakech doit désormais se poursuivre. Le discours doit ainsi évoluer pour réaffirmer chaque jour ce message de conviction : l’action climatique et la transition vers des sociétés résilientes et sobres en carbone n’est pas seulement un impératif moral, c’est la seule voie pour assurer un développement socio-économique véritablement durable au Nord comme au Sud, afin de répondre aux aspirations des peuples à un monde plus sûr, plus prospère et plus juste.