8 ans après leur adoption et 7 ans avant leur terme, les 17 Objectifs de développement durable (ODD) et de l’Agenda 2030 dans son ensemble sont en péril, leur mise en œuvre considérablement ralentie par la superposition, partout dans le monde, de crises environnementales, économiques et géopolitiques et de leurs impacts sur les sociétés. Dans ce contexte, la nécessité de transformations structurelles, déjà présente en 2015, l’est encore plus aujourd’hui. À quelques semaines du « Sommet ODD » qui se tiendra aux Nations unies à New York, ce billet de blog examine, sur la base de ce constat, les possibles voies d’amélioration, tant en termes d’organisation des politiques que de leur financement.

À mi-parcours, un constat alarmant

Le rapport du Secrétaire général des Nations unies publié en mai 2023 souligne clairement la détérioration des progrès vers l’atteinte des Objectifs de développement durable (ODD), en particulier dans les pays en développement, pour de nombreuses cibles, telles que la pauvreté, la sécurité alimentaire, la fin de l'épidémie de paludisme, la couverture vaccinale et l'emploi. En cause, les impacts de la pandémie de Covid-19, du changement climatique et des conflits armés à travers le monde. Par rapport à 2015, ces récentes crises en cascade, liées à de multiples facteurs environnementaux, économiques et sociaux, chacun alimentant l'intensité des autres, ont amplifié les défis à relever pour atteindre les ODD. La prise en compte des interconnexions avait pourtant été le point de départ de l'élaboration de l'Agenda 2030 pour le développement durable. 

L’édition 2023 du Rapport mondial sur le développement durable (GSDR en anglais) tente de résumer les échecs dans la mise en œuvre des ODD et ce qui peut être fait pour les sauver, insistant en particulier sur la nécessité d'un changement transformationnel pour mettre le monde sur la voie de la durabilité. En particulier dans les pays en développement, l’Agenda 2030 fait face à deux défis liés : enclencher les transformations indispensables et les financer dès maintenant et sur le long terme. Le constat du GSDR est clair : si rien n'est fait pour inverser la tendance, les ODD resteront hors de portée d'ici à 2030, voire 2050. Des progrès seraient certes réalisés dans des domaines clés, notamment la réduction de l'extrême pauvreté et la convergence des revenus mondiaux et nationaux, mais ils seraient minimes en termes de malnutrition et de gouvernance ; et le monde serait même en régression pour ce qui concerne la pollution atmosphérique et ses effets sur la santé, l'utilisation de l'eau à des fins agricoles, les taux de pauvreté relative, le gaspillage alimentaire, les émissions de gaz à effet de serre et la biodiversité.

Renforcer les capacités de transformation

Le besoin d’actions urgentes, renforcées et coordonnées de la part de tous les pays et parties prenantes apparaît indispensable pour accélérer la mise en œuvre des ODD. C’est tout l’enjeu du sommet qui se tiendra les 18 et 19 septembre prochains aux Nations unies à New York : remettre les transformations nécessaires au cœur des discussions et de l’action. Le GSDR reprend à cet égard le cadre des six « points d'entrée » développés pour l’édition 2019 du rapport : bien-être humain et capacités ; économies durables et justes ; systèmes alimentaires durables et modes de nutrition sains ; décarbonation de l'énergie avec accès universel ; développement urbain et périurbain ; et biens communs environnementaux mondiaux. Et insiste sur le besoin de renforcer les « capacités de transformation » au niveau individuel, institutionnel et des réseaux, afin d'élaborer des stratégies, d'innover, de gérer les conflits, d'identifier et de surmonter les obstacles et de faire face aux crises et aux risques. 

Or, si la transformation est inévitable, son cours, ses orientations et sa vitesse ne le sont pas. Pour être effectif, le changement peut et doit être orienté dans des directions positives par la détermination politique. Ce qui nécessite une certaine radicalité et un volontarisme des acteurs concernés. C’est également un enjeu de cohérence des politiques, notamment entre les politiques intérieures et leur impact sur l’atteinte des ODD par les autres pays, encore loin d’être effective même si de nombreux acteurs (par exemple la France dans sa loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales) y font référence, Le groupe de travail Agenda 2030 du Conseil national pour le développement et la solidarité internationale (CNDSI) recommande ainsi de « placer le processus de cohérence des politiques pour le développement durable tout au long du cycle de décisions politiques, de la planification jusqu’à l’évaluation des politiques publiques »

Les auteurs du GSDR proposent en outre que les États membres des Nations unies élaborent un cadre commun de transformation des ODD comprenant six éléments : (i) des plans d'action nationaux pour contrer les tendances négatives ou la stagnation dans la mise en œuvre des ODD ; (ii) une planification locale et sectorielle spécifique pour alimenter les plans nationaux ; (iii) des initiatives dans le cadre notamment du programme d'action d'Addis-Abeba pour accroître l'espace budgétaire, y compris les réformes fiscales, la restructuration et l'allègement de la dette, et un engagement accru des institutions financières internationales pour la mise en œuvre des ODD ; (iv) l'investissement dans les données liées aux ODD, les outils scientifiques et l'apprentissage des politiques ; (v) des partenariats pour renforcer l'interface science-politique-société ; et, (vi) des mesures pour améliorer la responsabilisation des gouvernements et des autres parties prenantes.

L’enjeu est d'assurer la cohérence et l'équité, et de veiller à ce que les progrès en matière de bien-être humain ne se fassent pas au détriment du climat, de la biodiversité et des écosystèmes. Le chemin vers la durabilité passe par l'abolition des pratiques non durables, tout en tenant compte de la souffrance économique et sociale que cela peut engendrer. Le GSDR insiste particulièrement sur ce qu'il faut faire, sur le « comment ». 

Mettre le financement à l’échelle

Mais ces transformations seront coûteuses : elles nécessiteront des investissements publics et privés annuels supplémentaires pouvant atteindre 2 500 milliards de dollars. Si les discussions en cours pour un nouveau pacte financier mondial sont un pas dans la bonne direction, il sera essentiel de s'assurer que l'augmentation de la marge de manœuvre des banques multilatérales de développement et que l'élargissement de leur mission de fourniture de biens publics mondiaux ne se fassent pas au détriment des ODD et des pays les plus vulnérables (OCDE-SDSN). Le système financier international devra donc être adapté, plus particulièrement à la nécessité de pérenniser des financements sur le long terme. 

Or, comme le soulignent l’OCDE et le SDSN, un décalage existe entre les objectifs de long terme des pays en développement et la recherche par les créanciers de rendements financiers à court terme. Ces derniers proposent généralement des prêts assortis d'échéances à court terme et de taux d'intérêt élevés, ce qui entrave les investissements à long terme et augmente les risques de manque de liquidités. Les méthodologies actuelles des agences de notation empêchent les économies en développement d'obtenir le niveau de prêts à long terme requis pour financer les transformations sectorielles à grande échelle. Pour l’OCDE et le SDSN, il est important d'explorer les options pour améliorer ces méthodologies, en particulier pour les rendre plus alignées sur les ambitions de développement durable des pays en développement.

Le constat de l'incapacité de l'architecture internationale actuelle à remplir ses missions essentielles et à soutenir un financement stable à long terme des ODD est clair. À quelques semaines du sommet de New York, la dynamique actuelle n’est pas suffisante. Sans une prise de conscience des acteurs et un changement radical d’approche, pour à la fois soutenir et financer les transformations inhérentes à l’atteinte des ODD, l’Agenda 2030 ne sera jamais atteint.