Highsea Iddri

Un nouvel accord sur la haute mer, actuellement en cours de négociation sous les auspices des Nations unies, ne sera efficace que s’il est soutenu par des mécanismes de mise en œuvre pertinents. Cela constitue un immense défi dans les vastes zones qui s’étendent au-delà des juridictions nationales. Cependant, alors que les outils de suivi, contrôle et surveillance (SCS) se multiplient, la manière dont un système global de SCS pourrait être élaboré et mis en œuvre reste à clarifier.

De nombreuses possibilités pour surveiller les océans mondiaux  

Un peu plus de 70 % de la surface du globe est recouverte par les eaux, les deux-tiers de celles-ci étant situées dans des zones situées au-delà des juridictions nationales (ZAJN). Alors que débutent des négociations pour l’élaboration de nouvelles normes dans les ZAJN, la communauté internationale doit se pourvoir d’outils et de méthodes destinés à mieux comprendre ce qui se passe sur ces espaces. Le système de SCS permet la gestion des pêches et appuie la lutte contre les activités illégales, mais il peut aussi contribuer à assurer un suivi des questions de pollution et des indicateurs environnementaux, ainsi qu’à apporter un soutien aux opérations de recherche et de sauvetage.

Les capacités de l’arsenal traditionnel en matière de SCS (qui comprend notamment des observateurs embarqués à bord, des journaux de bord, ou des navires et avions de surveillance) sont limitées, en particulier en haute mer. Au cours de la dernière décennie, toutefois, un ensemble de nouveaux outils a été mis au point en faisant usage de sources de données et de technologies précédemment indisponibles, inaccessibles ou trop coûteuses, notamment :

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Vessel monitoring system (VMS) 

 

Nous pourrions avoir prochainement l’embarras du choix en matière de solutions technologiques, mais la création d’un système de SCS global et efficace ne se limitera pas à simplement choisir une technologie et à l’utiliser pour surveiller les océans mondiaux. Aucune technologie ne pouvant à elle seule fournir une couverture complète et fiable, l’intégration de différentes technologies et sources de données est indispensable.

 

Dans le même temps, le volume considérable de données disponibles pourrait bientôt dépasser notre capacité à interpréter et utiliser celles-ci ; une sélection soigneuse des observations à mener et la mise en place de nouvelles capacités analytiques s’avèrent donc essentiels.

A titre d’exemple, suivre la trace d’un navire ne peut suffire à démontrer avec certitude que des activités de pêche ont eu lieu (bien qu’une réduction de vitesse ou d’autres schémas de déplacement pourraient le laisser supposer) ; toute enquête doit par conséquent être étayée par d’autres informations, telles que les éléments consignés dans les journaux de bord ou les enregistrements vidéo fournis par les caméras installées à bord. Parallèlement, la collecte de ces données et leur traitement constituent des taches demandant beaucoup de temps et de moyens, ce qui pourrait rendre nécessaire la mise en place d’une coopération entre un ensemble d’acteurs et d’organisations.

Elaborer un système de SCS fonctionnel pour la haute mer : des intérêts divers à prendre en compte

Plusieurs facteurs doivent être pris en considération pour évaluer la pertinence d’une technologie de SCS, notamment : le coût, l’accessibilité, la fiabilité, la couverture offerte, la facilité de maniement, et les paramètres relatifs à la confidentialité. Considérer qu’une technologie est appropriée ou non peut aussi dépendre de qui procède à son évaluation, comme l’illustre  une comparaison de deux sources de données ayant fait l’objet d’une attention considérable au cours des dernières années : le SSN et le SIA

Le SIA est un système automatique de traçage des navires, conçu à l’origine pour prévenir les collisions et assurer la sécurité de la vie en mer. La portée des récepteurs SIA installés à terre avoisinant les 40 miles nautiques, ce n’est que lorsqu’un récepteur a été placé sur un satellite en orbite basse en 2008 qu’il est devenu possible de surveiller les activités dans les ZAJN. Bien que ce système soit obligatoire pour les navires de marchandises et ceux transportant des passagers au-delà d’une certaine taille, il n’existe pas actuellement d’exigences au niveau international concernant l’utilisation du SIA par les navires de pêche (nombre d’entre eux toutefois l’emploient de manière volontaire). Le SSN, pour sa part, est spécifiquement conçu pour la gestion des pêches et il est imposé par plusieurs États du pavillon et États côtiers, et par les organisations régionales de gestion des pêches (ORGP).

L’avantage des données SIA réside dans le fait qu’elles sont non cryptées et en accès libre et gratuit. Ceci a permis à des initiatives telles que Global Fishing Watch et Fish-i Africa d’utiliser des signaux SIA pour déduire et cartographier les activités de pêche à l’échelle mondiale. Toutefois les données peuvent se révéler erronées ou faire l’objet de manipulations, ou bien les navires peuvent simplement décider d’éteindre leur émetteur SIA.

Le “silence radio” est souvent cité comme un exemple de l’hostilité manifestée par l’industrie de la pêche à l’encontre de toute forme de surveillance, bien que cela puisse constituer une forme de simplification injuste d’un ensemble de circonstances beaucoup plus complexes. Bien qu’il y ait incontestablement existé des cas dans lesquels des navires de pêche ont tenté de dissimuler des activités illicites, certains navires peuvent aussi agir de la sorte dans le but de se protéger des pirates ou d’empêcher la diffusion d’informations sensibles sur le plan commercial à propos de leurs zones de pêche.

Lorsque des pêcheurs sont réticents à l’idée de divulguer leur position pour des raisons légitimes, ils peuvent préférer que le SCS soit conduit au moyen des données du SSN ou des enregistrements du système CCTV, car ces données ne sont pas rendues publiques et ne font généralement l’objet d’un partage que dans le cadre d’accords de confidentialité stricts. Certains opérateurs de pêche pourraient même apprécier cette possibilité, dans la mesure où cela leur apporte une forme de maîtrise sur leurs opérations et leur permet de faire la preuve de leurs pratiques durables auprès des organismes de certification. Les chercheurs, les ONG, et les États concernés qui ne pratiquent pas la pêche, d’un autre côté, pourraient s’inquiéter : ils n’ont pas ou peu la possibilité d’avoir accès à ces données ou de s’impliquer dans les efforts déployés en matière de SCS.

Il est par conséquent impératif de prendre en considération les intérêts de l’ensemble des parties prenantes afin de mettre au point un système de SCS qui fonctionne, compte tenu notamment de la complexité de ces questions et de l’absence d’une autorité compétente dotée d’un mandat général.

 

Vers un système de SCS global pour la surveillance marine

Nous ne pouvons pas attendre des négociations à venir qu’elles créent un système de SCS global. Ceci impliquerait de prendre des mesures allant au-delà du mandat de la conférence intergouvernementale, comme exiger que des systèmes de suivi des navires équipent tous les bateaux, créer un registre exhaustif des numéros OMI, traiter les questions liées aux pavillons de complaisance et accroître les capacités d’analyse des données à l’échelle de la planète.

La question de la SCS devrait toutefois apparaitre à un certain stade des discussions, et plus particulièrement lorsque seront abordés les deux éléments suivants du “Package Deal” :

  • Le renforcement des capacités et le transfert de la technologie marine, parce qu’il est indispensable de s’assurer que l’ensemble des régions dispose de la technologie et des ressources nécessaires à un système de SCS efficace ainsi qu’à sa mise en œuvre ;
  • Les outils de gestion par zone, notamment les aires marines protégées, parce que les mécanismes qui seront mis en place n’aurons d’utilité que si nous sommes capables de surveiller les activités humaines en mer.

Les négociations en vue de la mise au point d’un nouveau traité fournissent  une occasion unique de faciliter l’élaboration d’un système de suivi, contrôle et surveillance de la haute mer plus efficace et harmonisé

Ainsi il existe une relation à double sens entre le SCS et l’accord sur la haute mer : le SCS n’est pas seulement nécessaire à la mise en œuvre du futur traité, les négociations elles-mêmes pourraient être utilisées pour réduire la fragmentation sectorielle et régionale du cadre de gouvernance de la haute mer. Les négociations en vue de la mise au point d’un nouveau traité fournissent donc une occasion unique de faciliter l’élaboration d’un système de suivi, contrôle et surveillance de la haute mer plus efficace et harmonisé.


Ce billet de blog a été rédigé à la suite d’un atelier organisé par l’IDDRI dans le cadre du  projet STRONG High Seas.