La première utilisation connue d’espèces marines à des fins thérapeutiques remonte à près de 3 000 ans avant J.-C. en Chine. Quatre siècles avant notre ère, Hippocrate signalait pour sa part les propriétés antibiotiques des éponges et en recommandait l’application sur les blessures des soldats. Aujourd’hui, scientifiques et entreprises sont engagés dans une course pour découvrir les médicaments du futur, alors que les États négocient un cadre de coopération.  

Brevetage du vivant marin

Les informations génétiques extraites du milieu marin – « ressources génétiques marines » (RGM)1  – sont déjà exploitées pour développer de nombreux médicaments et cosmétiques. Des enzymes provenant d’éponges, par exemple, sont utilisées pour soigner différents types de cancer, d’infections microbiennes et d’inflammations2 , tandis que le recours aux algues est répandu dans la fabrication des produits cosmétiques3 . Des chercheurs ont récemment utilisé des enzymes isolées à partir d’un microbe présent dans les cheminées hydrothermales pour dépister des virus (tels que les coronavirus)4  et des composés d’algues rouges pourraient être utilisés dans le traitement de différents types de coronavirus5

À l’heure actuelle, trois pays concentrent à eux seuls près des trois quarts des brevets portant sur les RGM – l’Allemagne (49 %), les États-Unis (13 %) et le Japon (12 %)6  –, ce qui soulève des questions d’équité7 . Il est toutefois difficile de quantifier la nature et l’ampleur de la valeur marchande potentielle des RGM. Le processus menant à la commercialisation des RGM est coûteux, difficile et peut prendre plusieurs années. Néanmoins, la valeur du matériel génétique est « non seulement économique, mais aussi écologique, environnementale, scientifique et sociale »8 .

Les organismes qui vivent sur les cheminées hydrothermales des grands fonds marins présentent un intérêt particulier pour les chercheurs, car ils se sont adaptés et ont développé des relations symbiotiques uniques pour survivre dans des environnements extrêmes où la température, la pression et les concentrations chimiques élevées rendent la vie apparemment impossible9 . Beaucoup de ces « extrêmophiles » vivent dans les eaux profondes et lointaines qui se trouvent en dehors de toute compétence étatique. Si l’utilisation des ressources génétiques collectées dans les eaux nationales d’un État est réglementée par le protocole de Nagoya à la Convention sur la diversité biologique (CDB), le statut juridique des RGM collectées dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale (ZAJN) n’est, à l’heure actuelle, pas clairement défini.

Un partage juste et équitable des avantages

Les droits et obligations des États dans les ZAJN sont énoncés dans la « Constitution pour l’océan », la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM, 1982). Les connaissances sur les RGM et leurs utilisations commerciales potentielles étant limitées au moment de la négociation de la CNUDM, la « bioprospection »10  n’est pas explicitement couverte par la Convention. Depuis 2017, les États membres des Nations unies négocient un nouveau traité pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité dans les ZAJN et le statut juridique des RGM reste un sujet de désaccord important. 

D’un côté, certains États industrialisés, notamment les États-Unis et le Japon, considèrent que l’exploitation des RGM relève du principe de la « liberté de la haute mer », c’est-à-dire que l’accès et l’utilisation des RGM sont ouverts à tous selon le principe du « premier arrivé, premier servi ». De l’autre, de nombreux États en développement font valoir que les RGM, comme les ressources minérales des fonds marins des ZAJN, relèvent du principe du patrimoine commun de l’humanité (PCH), qui exige que leur exploitation soit menée dans l’intérêt de tous. Certains États, en particulier les membres de l’Union européenne, cherchent pour leur part à dépasser le fossé idéologique en appelant à des discussions concrètes sur un mécanisme de partage des avantages. 

In the latest draft treaty text, the Common Heritage of Mankind is included as an option as part of the general principles and approaches of the treaty, but is not mentioned in the chapter on MGRs. Regardless of whether this concept will be integrated in the text, it appears  that States are trying to establish a global standard of fairness and equity in the utilisation of MGRs. The negotiations have now taken a pragmatic approach that focuses on the practicalities of access and benefit-sharing obligations, although many questions remain unresolved. 

Dans le dernier projet de texte du traité, le patrimoine commun de l’humanité figure en tant qu’option dans les principes généraux et approches du traité, mais n’est pas mentionné dans le chapitre sur les RGM. Indépendamment de l’intégration de ce concept dans le texte, il semble que les États tentent de définir des règles d’utilisation des RGM justes et équitables au niveau mondial. Les négociations ont désormais adopté une approche pragmatique mettant l’accent sur les aspects pratiques en matière d’accès et sur les obligations de partage des avantages, même si de nombreuses questions restent en suspens.

Par exemple, aucun consensus ne s’est dégagé sur un ensemble de dispositions fondamentales, notamment la manière de définir les RGM ou l’inclusion ou non des produits dérivés dans le champ d’application du traité. De nombreuses questions se posent également sur les éventuels mécanismes de partage des avantages : ce partage doit-il être obligatoire ou volontaire ? Doit-il inclure à la fois les avantages monétaires et non monétaires, notamment l’accès aux échantillons et le partage des informations ? À quel moment les obligations de partage des avantages doivent-elles être déclenchées ? Qui doit être responsable de la surveillance de l’utilisation des RGM ? Comment le futur traité peut-il garantir la mise en œuvre des dispositions relatives au partage des avantages ? Comment prendre en compte les savoirs traditionnels ? Qui doit bénéficier des dispositions relatives au partage des avantages quand on considère qu’il n’y a pas de « fournisseurs » de RGM dans les ZAJN, mais seulement des utilisateurs et des non-utilisateurs ?

Préserver la. recherche scientifique marine

Quelle que soit la réponse commune que les États décideront d’apporter à ces questions, le nouveau traité sur la biodiversité en haute mer façonnera sans aucun doute l’avenir des biotechnologies marines, tant du point de vue commercial que de la recherche.11  À cet égard, certains chercheurs ont exprimé leur crainte que l’issue des négociations sur le régime d’accès et de partage des avantages relatifs aux RGM dans les ZAJN ne restreigne leurs futurs travaux de recherche, par exemple si le texte final comprend l’obligation d’obtenir des permis ou encore de partager les données et autres avantages12 . Encore un enjeu important qui devra être abordé par les diplomates lors de la finalisation des négociations sur ce sujet complexe et multidimensionnel.