En mai 2018, un comité de pilotage a lancé l’élaboration d’une feuille de route pour la mise en œuvre de l’Agenda 2030 pour le développement durable et des Objectifs de développement durable (ODD) en France. Le 11 Janvier 2019, ce comité s’est réuni pour la deuxième fois. Une première ébauche de la feuille de route, qui se veut un agenda à la fois pour la solidarité et pour la transition écologique, a été présentée aux deux secrétaires d’État, Brune Poirson (Transition écologique et solidaire) et Jean-Baptiste Lemoyne (Europe et Affaires étrangères). Ce document de 140 pages, fruit d’un travail multi-acteurs, n’est pas définitif et la réunion était l’occasion de débattre des propositions à retenir et des nombreuses pistes d’évolution. Quels sont les points saillants qui ressortent de ce point d’étape ? Et quelles suites donner à ce processus ?

Une dynamique multi-acteurs et une ambition affichée forte

La première phase de travail sur la feuille de route, entre juin et décembre 2018, a lancé une dynamique de mobilisation d’un grand nombre d’acteurs – entreprises, associations ou encore recherche – engagés dans différents groupes de travail (26 au total)1 .

Le chapitre qui présente la vision de la feuille de route affiche très clairement et précisément les ODD comme un outil de transformation et un projet de société. Les attentes de la société civile sont fortes.

La résonance entre l’Agenda 2030, avec ses ambitions de réconcilier solidarité et transition écologique, et la situation actuelle en France a été évoquée lors de la réunion par Brune Poirson, qui voit beaucoup de réponses dans les ODD à la crise de sens dans laquelle se trouve le pays. La ministre a d’ailleurs fait le lien avec le grand débat national2 auquel elle invite les mêmes acteurs à participer ; la commissaire générale au développement durable, Laurence Monnoyer-Smith, a par ailleurs indiqué que les résultats de ce grand débat pourront être pris en compte dans la feuille de route. Le ministre Jean-Baptiste Lemoyne reconnaît, lui aussi, le potentiel transformateur des ODD et dit vouloir faire le lien avec la présidence française du G7 cette année3 , qui met d’ailleurs l’accent sur la lutte contre les inégalités, ainsi qu’avec la loi, en préparation, sur le développement et la coopération internationale.

Un manque de passage à l’action et de remise en question des pratiques

Les ministères ont eux aussi contribué à cette première ébauche de la feuille de route. Alors que ces contributions sont riches en contenu, il manque un diagnostic stratégique sous la forme d’un état des lieux des pratiques à remettre en cause et des changements nécessaires face aux défis des ODD et de leur transversalité. Des grandes parties de la feuille de route se contentent, en effet, de réafficher des plans et mesures existants (un constat qui ne se limite pas nécessairement aux parties rédigées par les ministères). Pour donner un exemple, les chapitres sur l’ODD1 (éradication de la pauvreté) et l’ODD10 (lutte contre les inégalités) reprennent principalement le plan pauvreté récemment adopté. Alors que cela semble assez naturel de le mentionner, une feuille de route ODD pourrait aller plus loin.

D’une part, une analyse de 29 cibles de l’Agenda 2030, menée par l’Iddri, révèle que cet agenda demande des changements profonds et que la France court le risque de ne pas atteindre les trois-quarts d’entre elles d’ici à 2030, si on se base sur les tendances passées. D’autre part, comme l’a souligné une ONG durant la réunion, une feuille de route ODD pourrait développer des mesures qui ciblent à la fois des objectifs zéro carbone et zéro pauvreté. Pour l’instant, les contributions des différents ministères, chacun pilotant un ou plusieurs des 17 ODD, restent encore trop souvent dans une approche cloisonnée alors que la logique même de l’agenda 2030 consiste à « casser les silos ». À cet égard, l’ébauche actuelle de la feuille de route ne parvient pas à traduire la transversalité de l’agenda 2030 et son appel à la cohérence des politiques.

Des pistes de mesures concrètes pour avancer 

Le chapitre sur les leviers transversaux de mise en œuvre des ODD développent quelques pistes d’usages concrets des ODD dans le contexte français, qui ont retenu l’intérêt d’un nombre important d’acteurs, et à l’analyse desquels l’Iddri a contribué. Il propose, par exemple, d’intégrer l'Agenda 2030 dans l’élaboration  des lois en améliorant la qualité des études d'impact. Cela voudrait dire analyser l’impact des futures lois sur les indicateurs de la loi Sas (sur les nouveaux indicateurs de richesse)4 ou une sélection d’indicateurs ODD, par exemple l’impact de toutes les politiques sur les 20 % les plus pauvres de la population comme l’a proposé l’ONG ATD Quart Monde durant la réunion. Une journée annuelle d’évaluation au Parlement autour des ODD et des indicateurs de la loi Sas est aussi proposée dans le document ; cette journée pourrait associer la société civile avec un contre-rapport ainsi que les médias pour faire vivre le débat autour de l’avancement de la France vers un avenir durable à l’horizon 2030.

Le groupe de travail a aussi élaboré plusieurs mesures qui viseraient à améliorer la lisibilité du budget national et de sa contribution au développement durable : créer un tableau de bord de suivi budgétaire à destination des citoyens, par exemple, ou encore mobiliser la Cour des Comptes pour évaluer des ODD.

Ces différentes pistes ayant été élaborées par un groupe de travail multi-acteurs, leurs pertinence et potentielles modalités de mise en œuvre doivent maintenant être évaluées à un niveau plus politique.

Quelles suites donner aux travaux de la feuille de route ?

Outre l’attente d’une validation politique de certaines pistes de mesures, plusieurs questions doivent être traitées. Notamment, comment faciliter le passage à l’action ? Et comment sortir des silos ? Une potentielle piste serait de décloisonner les travaux et d’identifier 2 à 4 thématiques ou chantiers concrets autour desquels mobiliser les acteurs. Le groupe de travail « vision » en identifie 6 : la réduction des inégalités, l’amélioration de la santé et de l’éducation, la lutte contre le changement climatique, la lutte contre la pauvreté, l’égalité femme-homme. Ces travaux pourraient chercher à développer des objectifs précis et à susciter des engagements de la part des différents acteurs, y compris les ministères.

On pourrait aussi imaginer une organisation des chantiers autours de quelques leviers prometteurs, comme la lisibilité du budget, les pistes de réformes des études d’impact, certains leviers concrets ayant pour but d’encourager les nouveaux modèles économiques, comme le propose le chapitre sur l’ODD12 (tel que généraliser la pratique de la commande durable), ou encore autour du développement de projets de recherche participative pour les ODD (mentionné à la fois par le groupe de travail « recherche » et le groupe « association »). Ces chantiers ne couvrent pas tous les domaines, mais constitueraient des axes pilotes pour le passage à l’action et la transformation. D’autres chantiers potentiels sont imaginables, un enjeu important de la prochaine phase de l’élaboration de la feuille de route étant de penser son opérationnalisation.

Au final, la question centrale à l’issue de cette première phase de travail est celle de la mise en politique cette feuille de route. Les discours des ministres ont fait le lien avec l’actualité sociale de la France, qui constitue un moment de vérité pour l’agenda 2030, un test de sa valeur ajoutée en tant qu’outil de médiation entre objectifs sociaux, économiques et environnementaux. Les acteurs sauront-ils s’en saisir ?