Du 10 au 20 juillet, tous les pays du monde se sont retrouvés au siège de l’ONU pour faire le point sur les Objectifs de développement durable (ODD). Le cru 2017 de ce Forum politique de haut niveau (FPHN) a-t-il tenu ses promesses ? De retour de New York, l’équipe de l’Iddri propose quelques idées pour améliorer ce Forum, afin qu’il soutienne l’apprentissage collectif et contribue à la redevabilité des États. Des idées pour un FPHN avec une forte valeur ajoutée par rapport aux autres instances internationales, et orienté vers l’impact des politiques publiques et des processus de mise en œuvre des ODD.

Les 17 ODD définissent une vision du monde sans pauvreté, sans discriminations et qui protège notre environnement ; un monde dans lequel les pays coopèrent entre eux et aident les plus vulnérables. Cette vision peut sembler utopique, mais elle est chiffrée – avec des indicateurs et des cibles détaillées à atteindre d’ici 2030 – et tous les pays des Nations unies y ont souscrit en 2015. À l’évidence néanmoins, deux ans après l’adoption des ODD, cette vision est loin d’être atteinte. Tous les pays ont d’énormes progrès à faire, comme le rapport du secrétaire général des Nations unies l’a rappelé.
 

Mais les ODD ne sont pas seulement des objectifs destinés à révéler l’ampleur de la tâche à accomplir : ils sont aussi censés être un outil pour aider les pays à faire plus et mieux. Les ODD doivent ainsi stimuler la collecte de données et la production d’indicateurs, indispensables pour guider l’action publique. Ils doivent aussi se traduire – et se traduisent déjà dans les faits – par des « processus de mise en œuvre des ODD » dans les pays, processus qui doivent conduire – entre autres – à une meilleure coordination entre ministères, de nouveaux plans de développement, une plus grande inclusion de la société civile.

 

Quant au FPHN, il doit favoriser l’apprentissage entre pays et avec la société civile, ainsi que – même si le mot est parfois tabou – la redevabilité des pays vis-à-vis de leur engagement à atteindre chez eux ces objectifs mondiaux. La dynamique est engagée, avec cette année pas moins de 44 pays qui se sont portés volontaires pour élaborer des rapports d’avancement et les soumettre à l’examen de la communauté internationale. Mais elle n’en est qu’à ses débuts. L’organisation des discussions en séance plénière notamment pourrait être améliorée, pour faire du FPHN le véritable « dialogue interactif » que l’ONU appelle de ses vœux, même si toutes les enceintes multilatérales sont depuis longtemps confrontées à ce problème [1]. Et trois évolutions plus fondamentales du FPHN pourraient être envisagées dès 2018 ou après le point d’étape prévu 2019.
 

FPHN : Pour des discussions thématiques à forte valeur ajoutée

Tout d’abord, l’organisation de la première semaine du FPHN, dédiée à des discussions thématiques, devrait être revue. Cette année, les discussions ont porté sur la lutte contre la pauvreté, l’agriculture, la santé, les inégalités de genre, les infrastructures et les océans, c’est à dire les ODD 1, 2, 3, 5, 9 et 14. Des thèmes nombreux, donc nécessairement abordés de manière superficielle.


Et des thèmes discutés devant des délégués qui sont généralement des généralistes du développement, du développement durable ou des ODD. Or, comme l’a fait remarquer un intervenant, pour avoir une discussion enrichissante sur l’efficacité des politiques publiques, il faut avoir de l’expertise. Et on en vient automatiquement à se poser la question de la valeur ajoutée du FPHN par rapport à des institutions internationales thématiques comme l’OMS, l’ONU Femmes, le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) ou encore la FAO. Cette valeur ajoutée devrait, dans un premier temps, résider dans la prise en compte des synergies – et parfois des antagonismes – entre les ODD : par exemple, réduire les inégalités entre hommes et femmes (ODD 5) nécessite d’améliorer l’accès des femmes à l’eau potable (ODD 6) ainsi que leur droit à disposer de leurs corps (ODD 3). C’est sur cette complémentarité entre expertise spécialisée et vision intégrée que le FPHN doit continuer d’explorer la spécificité de son rôle.
 

Par ailleurs, pour remplir son rôle (et son mandat) de « leadership politique », le FPHN pourrait se concentrer sur les thèmes émergents, ceux ayant un besoin criant de visibilité politique accrue. Pour dire les choses clairement : rien ne sert de discuter des politiques climatiques, largement couvertes par ailleurs, et mieux vaudrait se concentrer sur – par exemple – les inégalités de revenu dans les pays, les inégalités de genre, la bonne gouvernance. Le FPHN pourrait également se concentrer sur les « spillovers négatifs » entre pays, comme le commerce de produits issus de la déforestation ou les paradis fiscaux. C’est une liste indicative dont le seul objectif est d’inviter chacun à se demander quelle pourrait être la valeur ajoutée du FPHN.
 

Pour un FPHN orienté vers l’impact des politiques publiques

La deuxième évolution nécessaire concerne les rapports volontaires remis par les pays et leur examen en séance plénière, qui débute la deuxième semaine du FPHN, avec l’arrivée de représentants de plus haut niveau : quelques (rares) Premiers ministres, un certain nombre de ministres – de l’Environnement, de la Coopération ou de la Planification pour la plupart –, des secrétaires d’État ou des représentants de haut niveau de l’administration. Ces rapports font le point sur les processus de mise en œuvre des ODD dans les pays, sur l’état d’avancement des pays par rapport à tous les ODD, et explicitent les politiques publiques d’ores et mises déjà en place pour répondre à ces enjeux. Chaque pays a quinze minutes pour présenter son rapport, puis est rapidement questionné par les autres pays et la société civile.

Énormément de sujets sont traités à la fois : en quelques minutes, c’est toute la politique d’un pays qui est censée être examinée. Tout est dès lors abordé très superficiellement. Et les rapports, comme leur présentation à la tribune, ont tendance à passer en revue les politiques publiques et toutes les actions entreprises sans questionner leur efficacité. Lors de leur examen, les pays devraient donc se concentrer sur les enjeux et défis les plus critiques et les plus stratégiques auxquels ils doivent faire face pour atteindre simultanément les 17 objectifs. Ils devraient aussi – et cela devrait se retrouver dans leurs rapports – se concentrer sur l’efficacité des politiques : évaluer les actions passées et en cours, évaluer l’écart entre les tendances et les objectifs, identifier les obstacles principaux à l’action et les leviers.

Une des innovations principales des ODD et du FPHN, par rapport à la précédente Commission des Nations unies sur le développement durable, est de disposer d’un cadre d’objectifs, de cibles et d’indicateurs. Elle doit être pleinement utilisée.


Pour un FPHN qui questionne les processus de mise en œuvre des ODD

La troisième évolution qui nous semble indispensable concerne les « processus de mise en œuvre des ODD ». Production de données et d’indicateurs, mise en place d’un mécanisme de coordination des ministères, consultation de la société civile, identification des « policy gaps », évaluation des budgets au prisme des ODD, élaboration de nouveaux documents de planification pour les ODD ou « alignement » des stratégies nationales existantes… Tous ces éléments font partie du processus « idéal » de mise en œuvre des ODD dans les pays, en tout cas tel qu’il s’impose aujourd’hui, et les pays les présentent plus ou moins rapidement dans leurs rapports et les discutent au long du FPHN, en particulier pendant la phase d’examen en séance plénière.


Mais, au final, on en sait assez peu sur ce qui est réellement mis en place et sur l’impact potentiel de ces actions. C’est peut être inévitable dans cette période initiale, mais le temps est court d’ici à 2030 et il faudra rapidement être en mesure de focaliser les discussions sur l’évaluation des impacts et de l’efficacité des processus de mise en œuvre des ODD, même s’il ne s’agit que d’évaluation ex ante, lorsque le recul n’est pas encore suffisant. La communauté internationale a urgemment besoin d’un regard critique sur ce processus « idéal », afin d’utiliser au mieux le capital politique – restreint – des ODD.


Conclusion
Le FPHN n’est pas le seul espace d’apprentissage collectif et de redevabilité sur les ODD et encore moins sur les différents sujets couverts par les ODD. D’autres espaces existent, au niveau international, et les ODD ouvrent eux-mêmes de nouveaux espaces de discussion dans les pays, entre les ministères et avec la société civile. Mais le FPHN est la figure de proue des ODD : il doit donner un écho aux apprentissages tirés d’autres lieux, aux critiques formulées vis-à-vis des actions des pays, de leur niveau d’ambition, de leur efficacité, de leur impact ; et doit identifier les sujets sur lesquels plus d’apprentissage collectif et de redevabilité sont nécessaires, et impulser un travail sur ces sujets qui dépasse les silos institutionnels traditionnels. C’est dans cette logique que nous avons, ici, apporté quelques idées pour améliorer le FPHN.
 

Les exercices multilatéraux de revue des politiques mises en place par les pays sont éminemment sensibles du point de vue diplomatique et de la souveraineté des États, comme le montre la difficulté de la négociation sur la transparence des engagements dans l’Accord de Paris sur le climat. Il faut donc saluer le début d’une forme de discussion de cette nature au sein du FPHN, indispensable à l’apprentissage collectif et au renforcement de l’ambition de chacun et de tous, tout en reconnaissant qu’il existe encore une marge de progrès importante. On est évidemment bien loin des exercices de revue par les pairs, comme ceux mis en place par l’OCDE. Une innovation potentiellement acceptable au FPHN pourrait être le suivi, par un ou deux pays « observateurs », de l’ensemble du processus national d’élaboration des rapports des pays volontaires, ces observateurs étant alors les discutants officiels lors de la phase d’examen.


Notons enfin que le FPHN est aussi l’occasion, pour la communauté du développement durable et des ODD, d’entendre quelques discours inspirants sur l’état du monde et sur les solutions à venir, ou des rappels à l’ordre forts sur le climat, les droits humains et en particulier sur celui des femmes à disposer de leurs corps. C’est un lieu de « team building » pour cette communauté, un moyen de se compter, de prendre des forces ensemble en parallèle de la réalité des politiques nationales. Une réalité moins utopique que les ODD.

[1] Plus de temps pourrait être dédié aux échanges entre pays et avec la société civile ; il devrait être demandé aux intervenants d’être plus précis, de donner des exemples concrets, d’éviter la novlangue ODD, d’être diplomate tout en étant plus « challenging » ; il faudrait que les intervenants réagissent à ce qui a été dit plutôt que de faire des déclarations déconnectées, et enfin que la société civile utilise moins de son temps de parole pour demander… plus de temps de parole.