La Convention citoyenne pour le climat, qui va démarrer ses travaux le 4 octobre, est sans aucun doute une démarche positive, cohérente avec le renforcement des mouvements citoyens sur le sujet, et qui permet à la France de s’inscrire dans les pas d’expériences d’autres pays1 , dans une dynamique de démocratie participative. Que pouvons-nous en attendre ? Quel rôle spécifique une assemblée de citoyens peut-elle jouer, différent de celui des décideurs politiques et des experts, sur un sujet aussi vaste et urgent que la transition écologique ?

Il est clair que la transition écologique n’avance pas assez vite et ne transforme pas assez la société, comme nous l’avions montré fin 2018 dans une étude. Il est clair également qu’il y a des sujets controversés, qui cristallisent beaucoup d’attention et de désaccords, comme le mix électrique ou la taxe carbone. Les experts identifient le niveau des changements qui sont nécessaires, des leviers pour y arriver et des blocages. Mais l’enjeu est moins de faire comprendre aux citoyens les solutions proposées par les experts, ce qui n’est que la base de tels dispositifs participatifs, que de faire formuler par les citoyens quels sont les principaux choix de société qui leur semblent centraux, derrière les blocages. Une fois formulés ces grands choix, la convention délibèrera, exprimera son jugement et dira dans quel sens penche la majorité des 150 citoyens ; sa ou ses propositions seront ensuite soumises au Parlement ou à referendum par le gouvernement.

Que pouvons-nous attendre d’une telle convention ?

Tout d’abord il nous semble que cette convention pourra être jugée comme un succès si elle permet, sur au moins un aspect important de la transition, de faire un pas en avant, de révéler un chemin possible pour sortir d’un blocage, de donner des indices aux décideurs politiques comme aux Français sur une forme de réponse acceptable.

Ainsi, il nous semble que la revue exhaustive de tous les aspects de la transition par la convention ne devrait pas être un prérequis : ce serait le risque d’aboutir, dans le court temps imparti, à un examen superficiel ou à une synthèse « molle » des limites actuelles de la transition. Un ciblage sur quelques questions donnerait déjà largement de quoi tester l’intérêt de la démarche et en recueillir les fruits.

Ce ciblage pourrait être le fait du gouvernement, qui est légitime pour mettre en avant certaines questions, et des citoyens eux-mêmes, qui sont aussi légitimes pour mettre en avant leurs propres interrogations, avec le soutien d’experts pour les aider à formuler les faisabilités.

Si la convention permet de faire un pas en avant, alors l’expérimentation, car c’est bien d’une expérimentation dont nous parlons (un format de ce type, sur un sujet aussi large que la transition écologique n’a, à notre connaissance, jamais été mobilisé par un autre État), pourra de toute façon être répétée pour aborder les autres thématiques de la transition, et pourquoi pas transformée en un outil plus pérenne dans notre démocratie.

Quel rôle les citoyens de la convention pourraient-ils jouer ?

Il nous semble que ce que nous attendons des citoyens réunis est de juger d’arbitrages qui sont aujourd’hui difficiles à réaliser, tant dans les débats d’experts que dans les choix des décideurs politiques.

Dans les débats d’experts car il n’y a parfois pas qu’une bonne solution, à choisir sur des critères économiques ou techniques : il peut y avoir des controverses et des choix politiques à effectuer sur la vision d’une société bas carbone, mais aussi sur la transition, c’est-à-dire sur la manière de conduire le changement et ses effets régressifs, redistributifs, ou pour le moins perturbateurs des institutions et organisations actuelles.

Dans les choix des décideurs politiques car la transition implique des changements d’une telle ampleur qu’ils impactent forcément certains acteurs clés pour l’économie et que le jeu des arbitrages politiques conduit souvent à préserver le statu quo.

Si l’on suit cette logique, la convention devrait donc avant tout travailler à présenter ces arbitrages, ces diagnostics des blocages existants, au plus près des citoyens impliqués. La transition écologique est une question extrêmement complexe, l’analyse disponible pour présenter ses défis et les potentielles solutions s’appuie sur des décennies de travail scientifique et d’expertise, dans un nombre important de secteurs (production énergétique, consommation énergie, mobilité, système agroalimentaire, fiscalité…). Aucun expert ne peut prétendre maitriser l’ensemble de ces sujets. Les citoyens de la convention devront ainsi juger des questions qui s’offriront à eux sans prétendre être des experts : ils ne peuvent à l’évidence pas le devenir en quelques sessions et il nous semble que ce n’est pas le rôle d’une telle convention. Mais ils devront formuler des questions, interroger les experts adéquats pour comprendre les blocages et la nature des arbitrages qui restent à réaliser et délibérer ensuite en tant que citoyens.

De quels types de questions pourraient-ils débattre ?

D’après notre expérience des politiques de transition écologique, ces questions devraient porter sur l’appréciation de ce que l’on considère comme étant une transition écologique juste (ou, en corollaire, de ce que l’on considère comme étant injuste : pour qui, à partir de quand, dans quelles situations), ainsi que sur les conditions prioritaires du changement (à quelles conditions acceptons-nous de faire évoluer nos comportements – alimentaires, de transport, etc. ?).

Ces questions pourraient sembler conceptuelles, éloignées de la réalité et des décisions de court terme. Au contraire, elles sont au cœur d’arbitrages très pratiques, qu’il est nécessaire de prendre pour enclencher dès que possible la transition.

Par exemple, alors que les alternatives à la voiture individuelle sont inégalement réparties entre citoyens et territoires, faut-il agir prioritairement par le signal-prix (taxe carbone), par les comportements (vignette Crit’air, bonus-malus, limitation de vitesse, etc.) ou par la transformation de l’offre (accélération de l’évolution des motorisations et du poids des voitures, mise à disposition de services de mobilité partagée ou collective, évolution des infrastructures rail et route, etc.) ?

Et pour chacune de ces possibilités, où se situe le niveau d’équilibre en termes de justice sociale ? Par exemple, face aux demandes de certains experts de réduire plus rapidement le niveau d’émissions des voitures neuves, l’un des contre-arguments avancés par les fabricants automobiles, qui se reçoit parfaitement, est celui des risques d’impact sur l’emploi, de chômage. Dès lors, comment faire un choix de société ? Faut-il accompagner la mutation d’une industrie ou pas ? La justice sociale se situe-t-elle à l’intérieur d’un secteur économique ou doit-elle être considérée de manière plus globale ?

Et si l’on prend la question de la taxe carbone, dans quelle mesure doit-on la redistribuer massivement aux contribuables, en limiter la redistribution aux bas revenus et consacrer le reste au financement de l’emploi, ou en utiliser une partie importante pour financer l’investissement dans la transition ? Chacune de ces options contribue à une forme de justice sociale. La question est de savoir laquelle pèse le plus aux yeux des citoyens.

Par ailleurs, il y a également des choix à réaliser entre différentes visions d’une société bas carbone. Par exemple, où mettre le curseur entre un système agroalimentaire mondialisé, capable de fournir des aliments à faible coût mais dont les impacts environnementaux sont difficiles à maitriser et incertains, et un système plus territorialisé de production alimentaire, mieux capable d’intégrer emplois ruraux et bénéfices environnementaux mais avec des incertitudes sur la capacité à assurer son développement et sa viabilité économique ? Et quelles visions de régimes alimentaires désirables y seraient associés ?

On le voit avec ces exemples, la question centrale n’est ni technologique (ex : pour ou contre les véhicules électriques) ni purement instrumentale (ex : pour ou contre la taxe carbone). La meilleure manière pour la convention citoyenne d’aider à faire avancer la transition écologique consiste à s’approprier, reformuler et, si possible, apporter une réponse à des choix de société majeurs. Ces choix sont des jugements, qui sont le rôle unique que des citoyens tirés au sort peuvent jouer.

La création d’un débat de qualité au sein de la convention et plus largement, de la société, sera d’autant plus importante qu’il faudra ensuite une mobilisation forte de tous les acteurs pour les mettre en œuvre.

Si une telle démarche peut apparaître difficile et incertaine, elle n’est que le reflet de l’incertitude intrinsèque qui existe dans l’ambition de transition de notre société face aux crises environnementales. La transition écologique est un enjeu démocratique. Cette première expérience ne sera certainement pas parfaite mais elle aura réussi si elle pose les bases d’une démocratie renforcée sur ce sujet.