La Méditerranée est à un tournant. Pendant des décennies, le tourisme a été le moteur économique de la région, mais son succès met aujourd'hui ses limites à l'épreuve. La surpopulation fait grimper le coût du logement, met sous pression des écosystèmes déjà fragilisés et pousse les infrastructures locales à leurs limites, en particulier pendant les hautes saisons. Face à ces tensions, des réponses politiques ont émergé, mais une action fragmentée ne saurait suffire. Un changement audacieux, coordonné et structurant est désormais nécessaire, reposant sur le partage des responsabilités, la planification à long terme et le renforcement de la coopération régionale.
Première destination touristique mondiale, la Méditerranée accueille environ 30 % des arrivées internationales, soit près de 360 millions de touristes internationaux par an, avec des projections dépassant les 500 millions de visiteurs d'ici à 20301. Le secteur génère quelque 20 milliards de dollars pour l’économie méditerranéenne, soit 4,8 % du PIB régional et 11,5 % de l’emploi2. Le tourisme côtier en constitue la composante dominante, en particulier en France, en Espagne, en Italie et en Grèce, où il représente plus de 70 % de la valeur du secteur3. Si cette croissance stimule les économies méditerranéennes, elle engendre également des défis environnementaux et socio-économiques majeurs. L’urbanisation intensive du littoral, la surexploitation des ressources naturelles et la perte de biodiversité mettent en péril les écosystèmes marins et côtiers. Parallèlement, l’augmentation des prix du logement, la précarisation de l’emploi et l’exclusion sociale s’accentuent, tandis que le surtourisme et les pics saisonniers nourrissent un sentiment de rejet au sein des populations locales et fragilisent les secteurs économiques traditionnels4.
Ces tensions sont exacerbées par le réchauffement climatique, la Méditerranée se réchauffant 20 % plus vite que la moyenne mondiale. Dans ce contexte, la mise en place de stratégies coordonnées pour un tourisme durable et résilient s’impose comme une priorité. Ces stratégies doivent viser à protéger l’intégrité écologique des territoires, promouvoir l’équité sociale, et garantir la durabilité économique à long terme des littoraux méditerranéens.
En réponse aux pressions croissantes exercées par le tourisme (Iddri, 2024), les gouvernements méditerranéens et les autorités locales expérimentent un large éventail d'outils politiques pour mieux encadrer les impacts. Bien que les actions soient souvent menées au niveau local, des tendances communes commencent à émerger.
Le tourisme de croisière (Iddri, 2024), contribuant de manière importante à la saturation des sites et aux émissions de gaz à effet de serre, fait l’objet de plus en plus d’encadrement. À Barcelone (Espagne), le nombre de navires de croisière accostant au port central a été réduit. En Grèce, une taxe de 20 euros a été instaurée pour les passagers visitant en haute saison certaines îles des Cyclades, comme Mykonos et Santorin. Venise (Italie) a interdit l'accès de ses canaux historiques aux grands navires de croisière et impose désormais un droit d'entrée aux visiteurs à la journée. À Marseille, des mesures strictes ont été adoptées, incluant une taxation des croisiéristes et des restrictions d’accès à des zones sensibles comme le parc national des Calanques5. Enfin, aux Baléares (Espace), Ibiza a limité les accostages simultanés de navires de croisière.
Pour protéger les zones côtières vulnérables, plusieurs destinations imposent des restrictions d’accès, physiques ou temporelles. La plage de Tuerredda, en Sardaigne (Italie), utilise désormais un système de réservation numérique qui limite les entrées à 1 100 visiteurs par jour en haute saison, tandis que les habitants de Binibeca Vell, à Minorque (Espagne)6, ont demandé aux touristes de limiter les visites en journée afin de préserver la tranquillité locale. Ailleurs, à la Spiaggia Rosa7, en Italie, des amendes pouvant aller jusqu'à 3 500 euros sont infligées en cas de dégradation de son sable rose, tandis que Capri envisage la mise en place d'une barrière de 40 bouées pour protéger son littoral des ancrages de bateaux8. Parallèlement, les instruments économiques gagnent du terrain pour mieux aligner le tourisme sur ses coûts environnementaux et d'infrastructures. La taxe grecque sur la résilience climatique, introduite en 2024, applique des taux plus élevés pendant la haute saison et aux hébergements de luxe. En Tunisie9, une taxe de séjour révisée fait désormais payer aux clients entre 4 et 12 dinars tunisiens par nuit, en fonction de la catégorie de l'hôtel. Ces outils fiscaux visent à la fois à limiter les formes de tourisme les plus impactantes et à générer des ressources pour renforcer la résilience locale.
Par ailleurs, afin de lutter contre la surpopulation urbaine et la lassitude des résidents face au tourisme de masse, plusieurs villes expérimentent de nouvelles formes de régulation. Marseille a ainsi lancé des campagnes visant à décourager les visiteurs et interdit les coffres à clés extérieurs pour les locations de courte durée, et permet aux autorités de démanteler les dispositifs non conformes. À Portofino (Italie), il est désormais interdit de prendre des selfies dans les zones très fréquentées, sous peine d'amendes pouvant aller jusqu'à 275 euros. En Grèce, la loi grecque de 2024 sur le développement côtier a introduit des règles plus strictes en matière de gestion des plages, tout en réaffirmant le droit d'accès du public au littoral.
Ces initiatives traduisent un sentiment d’urgence croissant parmi les décideurs politiques, face à l’intensification des défis environnementaux et des attentes sociales, qui s’exacerbent à chaque saison touristique. Toutefois, elles s’inscrivent souvent dans une logique réactive et fragmentée, privilégiant des réponses ponctuelles aux crises, sans réelle cohérence ni vision à long terme pour l’avenir du tourisme dans le bassin méditerranéen. Surtout, si ces mesures peuvent apporter des réponses utiles à l’échelle locale, leur impact reste limité à l’échelle régionale. Par exemple, interdire l’accès des grands navires de croisière à certains ports n’améliorera ni la santé des écosystèmes ni la qualité de vie des populations côtières si ces mêmes navires sont redirigés vers des villes voisines. Sans coordination régionale, les pressions seront simplement déplacées, sans résolution durable des problèmes.
Une approche véritablement intégrée est aujourd’hui indispensable pour favoriser la coopération sur des enjeux clés : harmonisation des réglementations sur la taille des navires de croisière, gestion du surtourisme, définition de normes communes en matière de carburants et d’émissions, partage de données sur les flux touristiques entre destinations, et développement de partenariats public-privé alignant croissance économique et protection de l’environnement. Dans cette perspective, des plateformes de collaboration multipartites pourraient jouer un rôle crucial : elles permettraient le partage d’expériences entre acteurs, l’alignement des cadres politiques et la coordination des instruments de gouvernance à différents niveaux. Une telle dynamique contribuerait à des solutions cohérentes à l’échelle régionale, tout en réduisant les effets de report que peuvent générer10 des mesures isolées d’une destination vers une autre.
Le moment est particulièrement propice. Le 50e anniversaire de la Convention de Barcelone, pierre angulaire de la coopération environnementale en Méditerranée, et la tenue imminente à Nice de la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan, offrent une occasion unique de redéfinir l’avenir du tourisme dans la région. Ces rendez-vous doivent permettre de dépasser les limites des politiques nationales fragmentées et de construire une stratégie régionale véritablement coordonnée, au service des écosystèmes comme des communautés côtières.
- 1
- 2
- 3
TOURISM; https://planbleu.org/wp-content/uploads/2015/08/esa_ven_en.pdf.
- 4
REVIVING THE ECONOMY OF THE MEDITERRANEAN SEA; STATE OF PLAY OF TOURISM IN THE MEDITERRANEAN.
- 5
Accès réglementé aux Calanques et massifs forestiers : ce qu'il faut savoir | Ville de Marseille
- 6
- 7
- 8
The major holiday hotspots cracking down on overtourism | The Independent
- 9
- 10
https://www.unep.org/unepmap/fr/who-we-are/barcelona-convention-and-protocols