Le traité de l'Élysée a été signé il y a 60 ans. Aujourd'hui, l'Allemagne et la France sont des partenaires solides en Europe. Mais si les deux pays ne collaborent pas plus étroitement en matière de politique climatique et énergétique, la cohésion de l'Union européenne sera menacée. Une tribune (également disponible en allemand et en anglais) publiée le 19 janvier 2023 par le média allemand Table Europe, et reproduite en français sur le site de l’Iddri avec l’aimable autorisation de Table Europe. 

Le soutien de l’Allemagne et de la France à la mise en œuvre du Pacte vert est indispensable. Il est clair, et s’illustre en particulier pour l’adoption fin 2022 du volet climatique du paquet ajustement à l’objectif - 55 % à l’horizon 2030. Toutefois, alors que la crise du prix de l’énergie diffuse ses effets dans l’économie européenne et que les États doivent maîtriser leurs dépenses, après le « quoi qu’il en coûte » lié à la gestion de la pandémie de Covid-19, et trouver des solutions innovantes aux différentes crises économiques, sociales et environnementales qui se succèdent, est-ce suffisant ?

Le projet européen et la cohésion de l’Union sont mis en danger par les conséquences de la guerre d’Ukraine. Si la pandémie a permis de renforcer la solidarité européenne, l’Allemagne et la France œuvrant de concert pour la relance économique, les risques de divergence restent aujourd’hui nombreux et le cavalier seul ne peut être une option.

L’Union européenne a réagi rapidement à l’invasion russe avec la publication d’une nouvelle stratégie et de mesures d’urgences pour passer l’hiver, infléchir la transition de son mix énergétique et autoriser le prélèvement des profits exceptionnels, mais l’essentiel des politiques de soutien aux ménages et aux entreprises pour faire face à la crise énergétique ont pris des chemins divergents. Chaque pays est souverain pour trouver les solutions d’accompagnement social face à cette crise. Le bouclier énergétique français a été particulièrement massif, protégeant les ménages des montées des prix les plus fortes. Pas assez ciblé sur les ménages les plus pauvres, ce bouclier ne s’est pas accompagné d’une accélération de l’aide à l’investissement dans des équipements peu consommateurs d’énergie1 mais de la mise en place de dispositifs d’aide ciblés pour les entreprises exposées à l’augmentation du prix de l’énergie. L’Allemagne est pour sa part accusée, avec son propre programme d’aide, d’organiser une forme de dévaluation compétitive, réduisant les prix de l’énergie en Allemagne pour soutenir son industrie..

Cette course au soutien économique de crise qui pourrait se poursuivre en course aux nouveaux investissements verts est inquiétante pour les autres États membres qui n’ont pas leur puissance de feu du point de vue des finances publiques. Le risque que le traitement des crises ne conduise à renforcer le sentiment d’égoïsme économique des deux grandes puissances économiques du continent est donc fort, et il n’est pour l’instant que partiellement conjuré par les mécanismes de solidarité autour de l’endettement commun comme NextGenerationEU

L’UE peut-elle faire l’économie, dans ces conditions politiques délétères, d’une réflexion sur des nouvelles formes d’endettement commun ? La France est force de proposition en la matière, l’Allemagne davantage vue comme réticente. C’est cela qui doit faire l’objet d’un dialogue approfondi entre la France et l’Allemagne et en transparence avec les autres États membres, et en particulier lors du conseil des ministres franco-allemand qui célébrera 60 ans d’amitié et de compromis pragmatique autour de l’anniversaire du traité de l’Elysée.

Faut-il pour autant revenir à l’orthodoxie macroéconomique d’avant ? Face aux montants mis sur la table par les États-Unis ou par la Chine, il est raisonnable que les acteurs européens ne soient pas les derniers à s’interdire les aides d’État. D’autant que ces aides aux industries vertes semblent nécessaires pour la transition. 

Mais ce qui n’est pas assez discuté, c’est la répartition des aides d’État aux entreprises versées par les États membres. Les montants d’aides aux entreprises approuvés par la Commission depuis le cadre temporaire de crise sur les aides d’Etat sont éloquents : plus de la moitié est versée par l’Allemagne à ses entreprises, 24 % par la France à ses propres acteurs économiques, et le reste pour les 25 autres États membres !2 Les stratégies économiques de ces deux grands pays doivent être discutées : les acteurs et pays plus frileux par rapport aides d’État et attachés à la libre concurrence doivent être entendus, pour pouvoir construire avec eux la réponse européenne aux plans américain et chinois ; au risque sinon d’aggraver les déséquilibres économiques au sein du marché intérieur. Une approche commune est nécessaire pour déployer et soutenir l’industrie verte.

Enfin, les désaccords franco-allemands sur les formes d’intégration du climat dans les politiques commerciales (mécanisme d’ajustement carbone aux frontières contre clubs climat) ont trouvé une résolution provisoire. Mais les pays du Sud, et notamment les pays africains, n’ont que des raisons de s’affoler des effets d’éviction pour eux d’un réarmement de la course aux aides d’Etat entre les grandes puissances économiques asiatiques, européenne et américaine. Les promesses de prise en compte de l’intérêt des pays du Sud lorsqu’on va s’approvisionner chez eux en gaz ou en hydrogène vert ne cachent que très mal les stratégies individuelles poursuivies par les États membres et notamment l’Allemagne, et cela ne rassure pas du tout les partenaires africains : les acteurs européens ne donnent pas de signes qu’ils ont pris la mesure des effets délétères des autres grandes décisions économiques non coordonnées, sur leur potentiel à réémerger économiquement. Cela aussi sera très dangereux pour le projet européen.

Qu'il s'agisse de la politique commune en matière d'endettement, du soutien des pouvoirs publics à une transformation respectueuse du climat ou de la politique commerciale liée à l'énergie, si l'Allemagne et la France, les deux poids lourds économiques de l'UE, ne veulent pas mettre en péril sa cohésion, les deux pays doivent mieux se coordonner.