En 2018, 4,5 milliards de personnes dans le monde (soit 61 % de la population totale) n’ont pas accès à des services d’assainissement gérés en toute sécurité, 2,5 milliards (30 %) ne disposent pas d’installations sanitaires de base (toilettes ou latrines), et près d’1 milliard pratiquent la défécation à l’air libre. 2018, c’est aussi l’année où l’Objectif de développement durable n°6 sur l’eau et l’assainissement sera évalué par le Forum politique de haut niveau qui se tient aux Nations unies en juillet, dix ans après l’année internationale des Nations unies pour l’assainissement. Où en sommes-nous des avancées et des efforts dans ce secteur ? Quelles sont réellement la place accordée et l’importance de l’assainissement pour le développement urbain durable ? 

Assainissement et développement urbain durable

Au vu des taux de croissance urbaine en Afrique (3-5 %) et en Asie (≈3 %), deux continents où le manque d’assainissement est le plus flagrant, la question de l’assainissement urbain est cruciale. Non seulement il s’agit d’une véritable « bombe sanitaire » dans des villes denses et congestionnées, mais le coût de l’inaction croît également de manière exponentielle. Le sentiment d’urgence est d’autant plus aigu que les bénéfices apportés par une amélioration de l’accès à l’assainissement peuvent se répercuter sur toutes les dimensions du développement urbain durable.

  • Sur le plan social, le contrôle des épidémies et la santé publique en sont vite améliorés. Au niveau individuel, l’accès aux toilettes apporte une amélioration immédiate des conditions de vie : confort, hygiène, et dignité humaine s’en trouvent renforcés, notamment pour les femmes qui bénéficient d’une meilleure privauté et sécurité. Par ailleurs, agir dans ce secteur contribue à une amélioration des conditions de travail, souvent insalubres voire dangereuses, des opérateurs de l’assainissement, bien souvent également des travailleurs informels précaires.
  • Le manque d’assainissement coûte selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) 7 % du PIB dans les pays à faible revenus, en raison de la baisse de productivité des travailleurs et de la moindre attractivité économique d’une ville mal assainie. À l’inverse, l’OMS estime le retour sur investissement pour l’assainissement à un facteur 5,5. Autrement dit, si les bénéfices de l’assainissement semblent parfois peu tangibles, ils sont pourtant réels.
  • Un meilleur assainissement urbain contribue indéniablement à la protection de l’environnement, via une réduction de la pollution des sols, cours d’eau et nappes phréatiques. Et il permet d’atténuer les effets néfastes d’inondations aggravées par le changement climatique.

Enfin, l’assainissement est dans les villes en développement un enjeu fondamentalement urbain. La santé publique est directement impactée par la qualité de l’assainissement. Les interactions avec l’environnement urbain et les autres services en font aussi un secteur central : interdépendances avec les secteurs des déchets solides, de l’eau, voire l’agriculture dans le cadre de l’économie circulaire via la valorisation des eaux usées.

Intervenir pour améliorer l’accès et le fonctionnement des systèmes d’assainissement en ville est donc un axe déterminant pour le développement urbain durable. Néanmoins, malgré ce potentiel, l’assainissement reste le parent pauvre des services essentiels, notamment par rapport à l’accès à l’eau potable par exemple.

Plaidoyer international, innovations et volonté politique

Pourtant, depuis les années 1990, une communauté internationale d’expertise porte ces arguments. Partant de la notion d’« assainissement écologique » (ecosan), des principes et déclarations internationales ont été élaborés, et une cible visant à réduire de moitié le pourcentage de la population n'ayant pas accès à un approvisionnement en eau salubre et à des services d'assainissement de base ajoutée dans les Objectifs du Millénaire pour le développement (2000-2015) ; si des progrès ont été faits pour l’eau, ceux-ci sont moins nets pour l’assainissement. En 2007 a été créée la plateforme d’échange Sustainable Sanitation Alliance et les Nations unies ont fait de 2008 l’année internationale pour l’assainissement.

Mais les progrès restent insuffisants. Depuis quelques années, la question réapparait : l’adoption d’une cible dédiée dans les ODD, l’engagement de la Fondation Bill & Melinda Gates, le succès des conférences internationales sur les boues de vidange (Faecal Sludge Management Conference – FSM), la création de la Toilet Board Coalition, etc., contribuent à une visibilité accrue. En 2017, la Banque mondiale a lancé un appel Citywide inclusive sanitation qui capitalise sur ce mouvement.

Nombres d’ONG et instituts de recherche mènent en parallèle des projets pionniers visant à montrer la faisabilité de solutions techniques et commerciales pour l’assainissement. Partant du principe que les systèmes d’égouts conventionnels ne sont ni faisables (trop coûteux, inadaptés au cadre bâti dense et irrégulier), ni nécessairement souhaitables, voire soutenables (manque de résilience face aux évènements climatiques extrêmes, surconsommation des ressources en eau), les acteurs de terrain promeuvent des systèmes d’assainissement alternatifs ou hybrides : toilettes sèches, techniques de participation communautaire, marchés d’équipement sanitaires avec des offres commerciales pour les plus pauvres, ou encore actions de renforcement des capacités des vidangeurs et des outils d’aide à la décision pour les autorités (Stratégies municipales concertées, Mémento de l’assainissement). Les idées, testées et éprouvées, ne manquent pas, mais reste le défi du passage à l’échelle.

Malheureusement, l’assainissement continue de concentrer peu d’attention et de moyens politiques et financiers. Peu attractif, notamment sur le plan symbolique et culturel, l’assainissement suscite peu de demandes explicites de la part des populations et décideurs politiques locaux. En outre, les alternatives vers des systèmes décentralisés s’éloignent du modèle des égouts occidentaux qui sert encore de référence. Dès lors, ce sont aussi les modes d’intervention des bailleurs et opérateurs internationaux de services urbains, historiquement fondés sur le financement de grandes infrastructures et peu adaptés au soutien à une myriade de petits opérateurs locaux intervenant avec des solutions techniques et commerciales variées, qu’il faut réorienter. Dans ces conditions, sortir du business as usual, innover, travailler avec des techniques et des acteurs stigmatisés est un double défi : il s’agit à la fois de susciter une volonté politique locale de se saisir d’un sujet tabou et d’inventer de nouveaux modèles et arrangements de gouvernance multi-acteurs pour que l’assainissement réalise son potentiel de contribution au développement urbain durable, surtout pour les plus vulnérables.