L'Indonésie a soumis hier sa stratégie de long terme (Long-Term Strategy, LTS) à la Convention des Nations unies sur le climat, dans le cadre de l'Accord de Paris sur le climat. Dans sa trajectoire la plus ambitieuse, cette stratégie décrit les options permettant d'atteindre un pic des émissions nationales de gaz à effet de serre (GES) en 2030 et de parvenir à 540 MtCO2e en 2050 (l'équivalent de 1,61 tCO2/cap), avec la possibilité d'atteindre la neutralité carbone en 2060 ou plus tôt. Cette soumission démontre l'engagement ferme envers l'Accord de Paris d’un pays particulièrement important pour l'ambition mondiale – l’Indonésie est le 4e pays au monde au monde en termes de population, le 16e en termes de richesse et le 8e émetteur de GES. Elle est d'autant plus remarquable qu'elle émane d'un pays en développement confronté à de graves problèmes de développement – classé 107e dans l'indice de développement humain – et brutalement touché par la crise de la Covid-19, ce qui démontre qu'une action climatique ambitieuse et le développement socio-économique peuvent aller de pair. L’objectif de neutralité carbone de l’Indonésie fait suite à des engagements similaires, pris notamment par d'autres pays du G20. Les visions stratégiques détaillées qui sous-tendent les trajectoires d’émissions révèlent les efforts nécessaires à la transition nationale vers une économie à faible intensité de carbone et mettent en évidence les principaux leviers d’action aux niveaux national et international. Cette LTS est un guide concret pour soutenir la mise en œuvre au niveau sectoriel et national et pour informer les priorités de la coopération mondiale, qui contribue de manière décisive à la dynamique globale en faveur d'une action climatique ambitieuse dans la perspective de la COP 26 et à une confiance accrue entre les pays et les parties prenantes.

Les auteurs de ce billet de blog représentent l'équipe de recherche qui a élaboré les scénarios et le travail analytique à la base de la LTS indonésienne dans le cadre de l'initiative Deep Decarbonisation Pathways (ddpinitiative.org), collaboration internationale de recherche menée par l’Iddri, avec le soutien financier de l'International Climate Initiative (IKI).

La stratégie de long terme de l'Indonésie a été élaborée dans le cadre d'un processus participatif approfondi mené par le gouvernement indonésien et guidée par une analyse scientifique des trajectoires de transition explorant différentes scénarios techniques et socio-économiques d'ici le milieu du XXIe siècle. Plus précisément, la stratégie de long terme envisage trois trajectoires : un scénario « politiques actuelles » (Current Policy Scenario, CPOS), qui reflète une version étendue du scénario sans conditions de la contribution déterminée au niveau national (CDN) indonésienne ; un scénario de « transition » (Transition Scenario, TRNS), reposant sur un secteur énergétique plus diversifié ; et un scénario « faibles émissions de carbone compatibles avec l’Accord de Paris » (Low-Carbon Compatible with Paris Scenario, LCCP), qui montre que les émissions nationales atteignent un pic en 2030 et 540 MtCO2e en 2050, à un rythme qui, s'il est maintenu après 2050, conduirait à la neutralité carbone en 2060 ou plus tôt.

Comment atteindre la neutralité carbone ? Des changements systémiques dans les secteurs de l'agriculture, de la forêt, de l'énergie et de l'industrie

Dans le scénario « neutralité carbone » (cf. LCCP Scenario), les émissions du secteur de l'agriculture et de l'utilisation des terres atteignent un niveau net nul en 2030 et deviennent ensuite un important puits net de carbone. Ce résultat nécessite une action systémique proactive dans le secteur forestier, combinant une réduction massive de la déforestation légale et illégale, la préservation des forêts, la restauration des écosystèmes tourbeux et le renforcement des puits de carbone. Il faut également, dans le secteur agricole, une amélioration massive de la productivité et de l'intensité des cultures, l'adoption de technologies efficaces pour réduire les pertes alimentaires et des changements dans les régimes alimentaires et les comportements. Des politiques sectorielles et des innovations institutionnelles aux niveaux national et infranational permettent d'atteindre ces objectifs.

Le scénario « neutralité carbone » implique également un changement majeur dans le secteur de l'énergie, deuxième source d'émissions de carbone, afin d'assurer une réduction des émissions compatible avec l'augmentation de la demande d'énergie générée par la croissance économique. Notamment, l'utilisation du charbon pour la production d'électricité est réduite de manière drastique, les énergies renouvelables seront la principale source d'énergie d'ici 2050 grâce à un doublement de la production par rapport au scénario « politiques actuelles ». De plus, les technologies de capture et de stockage du carbone sont déployées à grande échelle ; les conditions de ce déploiement nécessitant des recherches supplémentaires.

Des transformations sont également envisagées dans les secteurs industriels clés, tels que le ciment, les produits chimiques de base, la sidérurgie et les fonderies de métaux, qui dépendent fortement du charbon et du gaz naturel comme source d'énergie. Elles comprennent à la fois des changements de processus et des changements technologiques.

Pour faciliter cette transformation, l'Indonésie élabore une stratégie de financement de la lutte contre le changement climatique, en partant de l'hypothèse que les besoins de financement peuvent être satisfaits grâce à l'optimisation du système de financement de la lutte contre le changement climatique, en commençant par ses sources, ses institutions et leur fonctionnement, ainsi que les institutions bénéficiaires du financement pour mettre en œuvre des programmes/activités visant à atteindre les objectifs qui ont été fixés. Le gouvernement indonésien a adopté diverses politiques qui ouvrent des possibilités d'accroître la diversification des sources de financement, qu'elles soient nationales ou internationales, publiques ou privées. Au niveau national, les possibilités d'optimiser le budget de l'État sont explorées, telles que : l'utilisation d'instruments de type sukuk (obligations islamiques vertes) ou d'obligations vertes, et les régulations énoncées dans le projet de règlement présidentiel sur les instruments de tarification du carbone, tels que l’application de tarifs et ou taxe sur le carbone ; les instruments de transfert fiscal intergouvernemental ; les instruments de revenu des ressources locales, et d'autres sources de revenus. L'Indonésie continue de mobiliser des ressources financières internationales par le biais de canaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux, notamment des paiements basés sur la performance pour les solutions fondées sur la nature dans le cadre de l'Accord de Paris (REDD+), des subventions et d'autres sources et mécanismes potentiels.

La neutralité carbone peut être compatible avec les priorités socio-économiques nationales

Le scénario « neutralité carbone » envisage des politiques innovantes et des réformes structurelles afin de permettre une transformation à faibles émissions de carbone et résiliente au changement climatique tout en assurant une croissance économique continue et inclusive et en répondant aux priorités de développement essentielles pour le pays. Il s'agit notamment de réformes visant à renforcer un écosystème commercial porteur, l'équité entre les sexes et entre les générations, notamment en mettant l'accent sur les groupes vulnérables et les communautés forestières locales ou Masyarakat Hukum Adat.

La croissance des investissements est un moteur essentiel d'un scénario de neutralité carbone. Un environnement favorable est donc nécessaire pour garantir la confiance des investisseurs, notamment des politiques de soutien, une stabilité politique, une amélioration des infrastructures et des marchés financiers efficaces. L'Agence de gestion des fonds environnementaux (Environmental Fund Management Agency, BPDLH) et le règlement présidentiel sur la gestion de l'économie du carbone en sont deux exemples concrets.

Des interventions clés sont également identifiées pour soutenir une transition inclusive, c'est-à-dire assurer un avenir décent aux travailleurs qui sont affectés par la transition, promouvoir des emplois de qualité dans les activités économiques durables et à faibles émissions de carbone, renforcer les capacités de la main-d'œuvre tout en assurant l'égalité entre les sexes et entre les générations et les besoins des groupes vulnérables, et augmenter les taux d'emploi, une protection sociale adéquate, les normes du travail et le bien-être des travailleurs.

Neutralité carbone et coopération internationale

En tant que pays exportant principalement des produits issus de la terre (huile de palme, caoutchouc, cacao, etc.), les partenariats commerciaux internationaux doivent être renforcées de manière à parvenir à un équilibre entre la stabilité des exportations et les efforts du pays pour transformer les produits forestiers en produits à faibles émissions de carbone. 

En outre, la transition énergétique nécessite une diversification des sources d'énergie pour l'approvisionnement en énergie, conditionnée par la disponibilité d'investissements dans les énergies renouvelables et les carburants à faible teneur en carbone dans le cadre d'un écosystème commercial favorable, avec moins d'obstacles au commerce des biens liés aux énergies renouvelables. Le déploiement réussi des technologies de bioénergie avec captage et stockage de dioxyde de carbone (BECSC) et de l'énergie solaire jouera un rôle essentiel dans l'atteinte de la neutralité carbone d'ici 2060 ou plus tôt.

De plus, la neutralité carbone dépend du déploiement à grande échelle et à des coûts compétitifs de nouvelles technologies, telles que le captage et le stockage du carbone. Une telle innovation technologique nécessiterait une coopération internationale ciblée afin d'accélérer le processus d'innovation et de faire baisser les coûts.

Certaines mesures concrètes ont déjà été prises pour faire avancer ces programmes de coopération. Par exemple, l'Indonésie a signé le Partenariat économique global régional entre les pays de l'ANASE (Association des nations de l'Asie du Sud-Est) et d'importants partenaires commerciaux tels que l'Australie, le Japon, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande. Le gouvernement indonésien s'est également engagé à créer un environnement commercial qui favorise une chaîne d'approvisionnement durable et des produits certifiés afin de lutter contre les pratiques de production non durables. Cependant, bien que ces efforts de coopération aillent certainement dans la bonne direction, ils ne sont pas suffisants pour soutenir la mise en œuvre complète de la trajectoire de neutralité carbone. Cela souligne la nécessité d'une coopération internationale renforcée, qui devrait sans aucun doute être au centre des discussions internationales en vue du Bilan mondial de 2023 prévu dans le cadre de l’Accord de Paris, lors duquel des solutions concrètes en soutien du renforcement progressif des engagements à court et à long terme des pays pourraient émerger.