Dans ce billet de blog, 2 membres de l’équipe Nigeria (Centre for Climate Change and Development (CCCD, Alex Ekwueme Federal University) du réseau Deep Decarbonization Pathways présentent les résultats du rapport Deep Decarbonization Pathways (DDP) for Nigeria’s low emission development up to 2060, qui marque une étape importante dans l’engagement du Nigeria à atteindre l’objectif zéro émission nette et qui a contribué à la définition de la stratégie de développement bas-carbone à long terme officielle du pays. Fondé sur une méthodologie innovante de modélisation et 4 scénarios d’évolution possible de l’économie du Nigeria et de ses secteurs clés, ce rapport souligne notamment l’importance de combiner objectifs climatiques et priorités socio-économiques de développement.

L’économie du Nigeria, dont le PIB et la population sont les plus élevés d’Afrique, est fortement tributaire des combustibles fossiles : en tant que grand producteur pétrolier, elle est largement portée par les exportations de pétrole, qui représentaient plus de 86 % des recettes d’exportation du pays en 2021. Le Nigeria est également un acteur essentiel de la lutte contre le changement climatique, compte tenu de sa grande vulnérabilité aux effets de ce dernier et de son niveau relativement important d’émissions de gaz à effet de serre (424 MtCO2 en 2018), qui devraient encore augmenter d’ici à 2030 si rien ne change. C’est pourquoi l’annonce par le président Buhari, lors de la COP 26 sur le climat, d’un objectif national zéro émission nette d’ici 2060 a constitué un signal très fort pour la communauté climatique internationale.

Dans le cadre d’une démarche innovante, le projet DDP-Nigeria vient de publier un rapport qui analyse les conditions permettant d’atteindre cet objectif et ses impacts socio-économiques. Il propose notamment des lignes directrices pour l’élaboration de politiques visant à rendre la décarbonation de l’économie nigériane compatible avec les principales priorités de développement national telles que la stabilité macroéconomique, la compétitivité économique, la création d’emplois, l’accès universel à l’énergie, la disponibilité des ressources, l’éradication de la pauvreté et la sécurité alimentaire. Cette étude a notamment contribué de manière significative au volet analyse quantitative des récents travaux sur la stratégie de long terme (LT-LEDS, long-term low greenhouse gas emission development strategies) du pays.

Le rapport Deep Decarbonization Pathways for Nigeria’s low emission development up to 2060 quantifie et compare quatre scénarios qui correspondent à des évolutions distinctes de l’économie nigériane jusqu’en 2060, en décrivant en détail les secteurs clés, notamment la production d’électricité, le pétrole et le gaz, l’industrie, le transport, le secteur résidentiel ainsi que l’AFOLU (agriculture, sylviculture et autres utilisations des terres). Ces quatre scénarios sont : i) un scénario de maintien du statu quo (Business-As-Usual, BAU), qui décrit une trajectoire du système énergétique nigérian reposant largement sur la prolongation des tendances actuelles ; ii) un scénario de politiques en cours (Current Policy Scenario, CPS), qui imagine une économie guidée par les ambitions du plan de transition énergétique du Nigeria (Energy Transition Plan, ETP) et les contributions déterminées au niveau national du pays ; iii) un scénario d’économie gazière (Gas Economy Scenario, GES), qui décrit une exploitation et une utilisation intensives des ressources en gaz naturel du Nigeria, incluant une utilisation étendue de la capture et de la séquestration du carbone ; et iv) un scénario d’énergies renouvelables (Renewable Energy Scenario, RES), qui envisage une réduction ambitieuse des émissions grâce au déploiement massif des ressources renouvelables.

Les scénarios sont analysés à l’aide d’une architecture de modélisation complexe combinant l’analyse détaillée des systèmes énergétiques permise par le modèle LEAP et les évaluations macroéconomiques fournies par le cadre de modélisation KLEM. Grâce à cette approche innovante de la modélisation et de la conception de scénarios, cette étude a permis de dégager plusieurs principes clés pour la transition vers un développement bas-carbone.

Cette analyse montre que le Nigeria peut atteindre son objectif zéro émission nette d’ici 2060, mais que cela n’est possible que dans l’hypothèse d’un scénario d’énergies renouvelables couplé à la transformation du secteur AFOLU. Le rôle clé de ce secteur est l’une des idées novatrices qui ressortent de l’analyse, et qui était par exemple absente de l’ETP susmentionné. Le Nigeria a perdu 47,5 % de son couvert forestier entre 1990 et 2010 et, si aucune mesure n’est prise, il continuera à perdre 25 % de sa surface forestière d’ici à 2060. Un reboisement de 2,3 % par an serait nécessaire pour inverser la déforestation, et le reboisement aidera le Nigeria à augmenter ses puits de carbone pour atteindre zéro émission nette d’ici 2060. La transformation des pratiques agricoles telles que la gestion des effluents d’élevage, la riziculture ou la gestion des sols agricoles en pratiques agricoles intelligentes face au climat consituera également une stratégie essentielle pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur de l’AFOLU. Enfin, les solutions fondées sur la nature, telles que le boisement et le reboisement, seront cruciales dans le scénario RES pour atteindre zéro émission nette d’ici 2060.

L’analyse macroéconomique montre que des transformations structurelles positives de l’économie nigériane sont essentielles pour garantir de bonnes performances macroéconomiques. Ces changements structurels sont notamment nécessaires pour permettre une augmentation simultanée de l’approvisionnement intérieur de la consommation nigériane hors énergie et de la capacité d’exportation non énergétique. Cette transformation de l’économie nigériane permettrait au pays de s’engager sur une trajectoire de croissance stabilisée et impliquerait également une réduction des risques de volatilité à court terme associés à la dépendance du pays à l’égard des exportations de combustibles fossiles. Cette conclusion est valide indépendamment des contraintes climatiques et permet de définir une priorité centrale pour la politique macroéconomique du Nigeria dans les années à venir. Elle met également en évidence une condition nécessaire à l’alignement de la transition climatique ambitieuse sur les priorités socio-économiques.

Outre l’atteinte de l’objectif zéro émission nette d’ici à 2060, le scénario RES peut également aider l’économie nigériane à parvenir à une durabilité sociale, économique et environnementale. Mais cet alignement dépendra largement de la stratégie plus large dans laquelle le déploiement des énergies renouvelables s’inscrira. Les conditions commerciales sont notamment un aspect déterminant des scénarios. Dans le scénario RES, la demande intérieure d’énergie du Nigeria sera plus faible, ce qui permettra au pays de continuer à exporter de l’énergie ; les recettes nettes d’exportation, bien qu’en diminution rapide pendant les premières années, restent supérieures à 2 % du PIB. En revanche, si le Nigeria maintient le statu quo et continue à dépendre fortement des combustibles fossiles, il deviendra importateur d’énergie, ce qui coûtera au pays jusqu’à 0,9 % de son PIB en 2060.

Enfin, l’analyse montre que le soutien et la coopération au niveau international sont indispensables pour que les trajectoires climatiques les plus ambitieuses (c’est-à-dire celles qui permettent d’atteindre l’objectif zéro émission nette d’ici 2060) soient compatibles avec une situation macroéconomique saine. Ce soutien international est nécessaire pour compenser le risque d’une baisse de compétitivité liée aux coûts énergétiques plus élevés dans le scénario RES. Cette hypothèse de coopération permet au scénario RES d’obtenir des résultats similaires à celui du statu quo en termes de taux de croissance et de chômage, tout en permettant la transition vers la neutralité carbone. L’ampleur de la coopération requise met toutefois en évidence la nature du défi et la nécessité d’adopter une approche innovante de la coopération internationale accordant une place centrale aux besoins des pays pour la transition.