Le changement climatique va intensifier les risques côtiers, à évolution lente et rapide, dans le monde entier, avec des répercussions sur les habitations, les infrastructures, les écosystèmes et les activités économiques. L'Espagne et la France font face à ces impacts sur leurs côtes et lancent de nouvelles initiatives pour se préparer et s'adapter aux risques climatiques, dans une perspective de long terme. Comment ces réformes s'attaquent-elles aux facteurs de vulnérabilité, et comment surmonter les difficultés de mise en œuvre ?

Vulnérabilité, risques, impacts : une approche dynamique et inclusive est nécessaire

Les récents événements météorologiques nous rappellent la vulnérabilité des zones côtières face aux tempêtes et aux inondations. Des changements progressifs (par exemple, l'érosion et l'élévation du niveau de la mer) affectent également ces paysages. Si les risques côtiers sont souvent associés aux petits États insulaires en développement (PEID), ou aux pays en développement (en particulier dans les grands deltas, comme au Bangladesh et au Vietnam), les pays développés ne sont pas à l'abri (OCDE, 2019)1 . En Europe, les tempêtes Gloria en Espagne (janvier 2020) et Dennis en France (février 2020) ont provoqué la perte de plages (jusqu'à 32 mètres près de Valence), l'érosion de falaises (côte bretonne), l'intrusion d'eau salée dans les rizières (delta de l'Èbre) et des coupures d'électricité dans près de 20 000 foyers français (Bretagne, Loire et Normandie).

En conséquence, les risques côtiers sont maintenant à l'agenda politique. Les deux pays ont en effet de longues côtes – 5 500 km en France, 7 800 km en Espagne –, et disposent de stratégies d'adaptation, qui combinent ouvrages d'art (digues, levées), solutions fondées sur la nature (restauration des marais salants) et d'autres options (« retrait géré » ou relocalisation, soit le déplacement des communautés et des biens vers un endroit plus sûr à l'intérieur des terres). La prévention des risques en limitant le développement fait également partie de ces stratégies, par le biais de lois sur les côtes, qui peinent toutefois à prendre en compte la nature dynamique du littoral et à coordonner les acteurs concernés. Les écosystèmes côtiers sont naturellement à la fois résistants et changeants, les plages de sable, les dunes ou la végétation côtière pouvant servir de tampon naturel contre les inondations, mais sont également victimes de dégradations, dues à des événements extrêmes ou à des interventions humaines, qu'elles soient intentionnelles ou non. Par exemple, les digues protègent une partie du littoral, mais peuvent bloquer le mouvement des sédiments, entravant ainsi les processus naturels d'accrétion et d'érosion et stressant les écosystèmes voisins, tels que les zones humides. Par conséquent, les stratégies d'adaptation doivent adopter une approche holistique prenant en compte le cycle de vie des cellules sédimentaires et les modifications permanentes des écosystèmes.

Si, en Espagne et en France, les plans et stratégies utilisent des évaluations de la vulnérabilité des côtes, y compris l'identification des zones sensibles, ils doivent être révisés régulièrement en raison de l'évolution de l'environnement.

En outre, les lois côtières peinent à coordonner les acteurs concernés. Même lorsque les plans sont dynamiques, leur mise en œuvre révèle la complexité de la gestion d'un patchwork de structures de propriété avec des intérêts souvent contradictoires entre les habitants, les municipalités, les promoteurs et les entreprises. La gestion des décisions de retrait ou de relocalisation, par exemple, est particulièrement complexe car elle remet en cause les droits de propriété privée. Néanmoins, la poursuite du développement dans des zones vulnérables et l'investissement de sommes importantes dans des structures d'ingénierie, ou le financement des efforts de reconstruction après des catastrophes (selon une approche de maintien du statu quo) risquent d'entraîner une maladaptation et un verrouillage sur des stratégies de protection non durables. Par conséquent, l'adaptation à long terme repose sur des accords de gouvernance visant à coordonner les acteurs, à établir un consensus et à équilibrer le développement économique et la protection de l'environnement. Par exemple, la promotion de l'engagement par le biais de consultations contribue à mobiliser les compétences et l'expertise des acteurs publics et privés qui ont des intérêts le long de la côte et, si elle est complétée par le renforcement des capacités, peut contribuer à garantir que ces acteurs disposent des outils et des ressources nécessaires pour comprendre les effets du changement climatique et planifier à moyen et long terme (Losada et al., 2019)2 .

Le défi de la révision des lois sur la gestion du littoral 

Les plans nationaux d'adaptation en Espagne (PNACC, 2006) et en France (PNACC-2, 2018) mettent en évidence la vulnérabilité des zones côtières. Le PNACC espagnol appelle à l'intégration de l'adaptation dans les lois, en particulier la loi sur le littoral (loi 22/1988), qui a été réformée en loi sur la protection et l'utilisation durable du littoral (loi 2/2013). Outre l'intégration de la protection de l'environnement, la loi fixe les critères du domaine public et restreint le développement privé (jusqu'à 100 mètres du littoral et extensible à 200 mètres, par décision des autorités locales). De même, la Loi Littoral (1986) en France limite l'aménagement à au moins 100 mètres du rivage.

Datant des années 1980, ces lois côtières sont à un tournant critique tant les pressions du développement et les impacts du changement climatique ont conduit à une vulnérabilité accrue.

À la suite des impacts de la tempête Gloria en janvier 2020, le ministère espagnol de la Transition écologique a annoncé son intention de réviser la loi nationale sur les côtes. Dans le passé, des réformes ont été menées pour faire face à l'urbanisation croissante. Cependant, les incertitudes juridiques concernant les droits de propriété entre les entités publiques et privées dans un environnement changeant ont déclenché des tensions, en particulier lorsque des maisons privées sont tombées dans le domaine public en raison de la perte de plages au fil du temps, là où la ligne des hautes eaux s'est déplacée vers l'intérieur des terres (López-Gutiérrez et al., 2016)3 . Certaines activités de protection du littoral, telles que la construction de barrages, ont perturbé les processus naturels avec des effets sur les zones humides. Pour faire face à ces problèmes, les révisions législatives visent à renforcer les écosystèmes, en particulier les zones humides et les dunes, grâce à des initiatives fondées sur la nature pour rendre ces systèmes plus résistants face au changement climatique (Escolar & Rejón, 2020)4 . Les réformes prévues renforceront la protection des réserves et des parcs nationaux, notamment par la mise en œuvre d'un plan national pour les zones humides en 2021. En bref, la révision de la loi sur le littoral mettra l'accent sur la conservation des zones côtières et le renforcement des processus naturels.

Comme en Espagne, le littoral français est un espace de développement attractif, en particulier pour les résidences secondaires depuis les années 1960. L'augmentation des risques climatiques sur les zones côtières a toutefois des impacts majeurs. L'élévation du niveau de la mer, les inondations et l'érosion marine devraient mettre en danger entre 5 000 et 50 000 maisons d'ici la fin du siècle, en plus des ports et de quelques grandes villes (Madelenat, 2019)5 . Ainsi, lors de la quatrième réunion du Conseil de défense écologique en février 2020, le ministère de la Transition écologique a demandé de nouvelles mesures de réduction des risques le long du littoral. Cela inclut, à court terme, l'interdiction de nouvelles constructions dans les zones à risque d'érosion, et à long terme la création d'un nouveau permis de construire pour ces zones qui n'autorisera que les édifices et constructions non pérennes et amovibles (Boughriet, 2020)6 . La sensibilisation du public et la transparence des informations fournies aux acheteurs sur l'exposition aux risques de recul du trait de côte joueront également un rôle dans ces nouvelles initiatives.

Vers une approche prospective

Ces réformes en Espagne et en France visent à renforcer les pratiques durables le long de la côte pour ouvrir la voie à une adaptation à long terme. Tirer les leçons des tendances passées peut aider à identifier les facteurs de vulnérabilité et les dépendances qui créent des blocages, et ainsi limiter la maladaptation. Les trajectoires d'adaptation consistent en une approche prospective qui permet de séquencer les mesures d'adaptation possibles à moyen et long terme (Magnan & Duvat, 2016)7 . Les différents futurs climatiques auront des impacts différents et les trajectoires d'adaptation permettent de planifier une série d'actions tout en offrant une certaine flexibilité. Parmi les options, les réformes devront relever le défi d'ouvrir des options d'expropriation (programmes de rachat) pour préparer les politiques de retrait et de relocalisation dans les zones de plus en plus exposées aux risques côtiers. Par exemple, en France, deux plans d'action ont été mis en œuvre, l'un portant sur la relocalisation (2012-2015) et l'autre sur la gestion intégrée des côtes (2017-2019) après la tempête Xynthia en 2010 qui a particulièrement affecté la façade Atlantique du pays. Plus récemment, le Sénat a articulé la manière de faire avancer ces plans d'action, en particulier en examinant le rôle des outils juridiques, tels que la loi sur le littoral concernant le recul et l'expropriation des côtes.

Si les zones côtières sont très vulnérables au changement climatique, elles sont aussi des zones de contentieux potentiels en ce qu'elles présentent d'importantes opportunités de développement (maisons en bord de mer), de tourisme et d'activités économiques (pêche, ostréiculture, riziculture). Les plans visant à réviser les mécanismes de régulation en matière d'urbanisme et à renforcer la protection des écosystèmes devraient être conçus conjointement grâce à un dialogue entre les parties prenantes. Les autorités publiques auront un rôle important à jouer dans ce processus en communiquant les évaluations de la vulnérabilité et en facilitant les partenariats afin d'encourager un développement tenant compte des risques et de mobiliser les investissements dans différentes mesures d'adaptation. L'efficacité des initiatives dépendra de la coordination entre les parties prenantes et plus particulièrement de la formulation de l'acceptabilité (des options d'adaptation et des niveaux de risque) ; dans ce cadre, les outils et dispositions de gouvernance joueront un rôle clé pour favoriser l'adaptation à long terme.


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