Le sommet des dirigeants sur le climat organisé par le président Joe Biden est une excellente initiative pour montrer que les États-Unis sont de retour dans l'effort multilatéral pour faire face à l'urgence climatique. Le sommet se déroulant dans le contexte d'une crise mondiale de la santé, de l'économie et de la dette, et compte tenu du décalage entre les efforts de relance actuels et la transformation nécessaire pour atteindre les objectifs climatiques et l'Agenda 2030 pour le développement durable, c'est l'occasion de lancer un débat mondial plus large sur une réinitialisation économique, et sur la manière de faire advenir à la fois la résilience et la protection contre les crises et les transformations nécessaires. À cet égard, le Rapport sur le développement humain 2020, intitulé La prochaine frontière : le développement humain et l'Anthropocène, apporte une contribution très précieuse en jetant un pont entre les discussions sur le développement humain, le climat et l'environnement.

Le Rapport sur le développement humain (RDH) est une publication phare du Programme des Nations unies pour le développement et le fait qu'il place l'Anthropocène au cœur de son dernier rapport n'est pas anodin. « Ce sont les personnes, et non les arbres, dont les choix futurs doivent être protégés » affirmait le premier RDH, publié en 1990. Ainsi, le fait que son édition 2020 n’oppose plus les arbres et les personnes est un signal important de la part de la communauté du développement humain qui devrait déclencher une réponse de la part de la communauté climatique. Après l'adoption de l'Agenda 2030 et des Objectifs de développement durable en 2015, c'est une occasion supplémentaire pour les communautés du climat et du développement humain de porter conjointement des agendas transformateurs concrets au cœur des discussions internationales.

Vaincre les inégalités de représentation et ouvrir des espaces de débat et de solutions citoyennes 

La principale contribution de l'approche du développement humain est qu'elle met l'accent sur le renforcement des capacités des personnes, ce qui élargit leur liberté et leurs choix. L'idée sous-jacente est que les individus deviennent les agents de leurs propres trajectoires de développement durable, en orientant les innovations durables en fonction de leurs objectifs et de leurs valeurs. Ce souci de donner aux individus et aux groupes la capacité d’agir et d’induire eux-mêmes le changement exige l'ouverture d'espaces de participation, de débat public. Il remet en question l'efficacité des solutions rapides et privilégie les innovations alimentées par des processus délibératifs de prise de décision partagée et d'apprentissage collectif. Il sera important d'interroger les dirigeants présents au sommet Biden sur leur volonté d'ouvrir de tels espace de débat public sur des trajectoires de développement alternatives dans leurs pays.

L'approche du développement humain peut ajouter une perspective inégalités aux discussions sur le climat. Il s'agit tout d'abord de s'attaquer aux inégalités en matière d'accès au pouvoir et de prise de décision concernant les trajectoires de développement. L'opposition au changement est alimentée par les inégalités dans la prise de décision et par les intérêts particuliers qui ont le pouvoir d'encadrer les informations disponibles. Le RDH pointent les liens entre asymétries de pouvoir et problèmes environnementaux, sous-entendant qu’il faut renforcer le pouvoir de groupes aujourd’hui inaudibles. L'administration Biden a ces questions de représentation dans le viseur, et est bien placée pour s’attaquer aux rapports de force sous-jacents. Elle devrait être aussi offensive pour pousser un programme transformationnel que l'administration Trump l'a été pour s'y opposer. Cela nécessite du courage pour accepter que ceux qui bénéficient de manière disproportionnée du statu quo puissent y perdre.

Le rapport indique également comment les incitations et la réglementation doivent évoluer afin de recadrer les incitations. Tout d'abord, il énumère les incitations au sein des « entreprises financières ainsi que des autorités réglementaires qui les supervisent ». Deuxièmement, il aborde la question des prix, qui, s'ils ne reflètent pas les véritables coûts sociaux et environnementaux, faussent les comportements. Troisièmement, il appelle à mettre en place des incitations à l'action collective, y compris au niveau international. La communauté du développement humain et celle du climat devraient unir leurs forces pour élargir l'accès aux négociations. « Plutôt qu'un état déterminé à atteindre », affirme le rapport, « la durabilité peut être considérée comme un processus de débat et de délibération inclusif »1 . Le rapport souligne également que le débat ne suffira pas, et que le changement systémique nécessitera également la mise en œuvre de solutions fondées sur la nature pilotées par les populations.

La tarte, les parts et le four : redéfinir le progrès humain

Une autre contribution importante de l'approche du développement humain est un débat de longue date sur la meilleure façon de mesurer le progrès humain. L'indice de développement humain, un indice composite de l'éducation, de l'espérance de vie et du revenu national par habitant, s'est révélé un outil utile dans le débat politique sur la définition des objectifs de développement. Avec la prise de conscience que l'augmentation de la taille du gâteau ne suffit plus si les parts ne sont pas équitablement réparties, un indice de développement humain ajusté aux inégalités a été lancé. Aujourd'hui, le RDH 2020 examine les moyens d'intégrer les pressions planétaires dans la mesure du développement humain, en ajoutant à l'équation le four dans lequel la tarte est cuite.

Selon le RDH 2020, l’Anthropocène appelle à une nouvelle métrique du développement humain. Il propose quelques idées concrètes, comme l'ajustement de la composante « revenu » de l'IDH en soustrayant les coûts sociaux du carbone et l'inclusion du capital naturel dans la définition de la richesse. Il suggère également de prendre en compte les émissions de gaz à effet de serre et l'empreinte matérielle. Reste à savoir si un « IDH composite ajusté aux pressions planétaires » pourrait devenir une nouvelle boussole commune ou si un tableau de bord serait un outil plus utile et plus lisible.

La question la plus importante sera de savoir si la nouvelle métrique commune sera utilisée pour orienter les débats politiques sur les trajectoires de développement durable, bien au-delà des pays en développement pour lesquels l'IDH a été le plus souvent cité. Le sommet Biden pourrait s'inspirer de cette discussion et lancer une initiative visant à remplacer le PIB comme indicateur de référence du progrès. À un moment où l'importance du care et les interactions entre les pressions planétaires et la santé humaine sont devenues visibles partout dans le monde, l'occasion est idéale pour mettre sur la table de nouvelles idées sur la façon de redéfinir le progrès.

Investir dans une relance verte favorable aux populations les plus pauvres

Le sommet Biden se déroulant en pleine pandémie de Covid-19, les investissements clés pour l'emploi et une relance verte seront l'un des principaux thèmes à l'ordre du jour2 . Tout aussi importante, une discussion serait nécessaire sur les capacités inégales des gouvernements à planifier et à verdir leurs trajectoires de reprise économique, et au-delà des gouvernements, sur la manière inégale dont les différentes populations bénéficient de ces plans. Dans le cadre du RDH (Coup de projecteur 5.3, pp.247-250), Voituriez et Chancel (2020) soulignent que, déjà limités en nombre, les plans de relance verte tels que les investissements dans les infrastructures vertes, les incitations aux achats des consommateurs, le soutien aux emplois verts et les facilités de crédit pour les secteurs ou activités verts, y compris la recherche et le développement, se trouvent presque exclusivement dans quelques pays à revenu élevé. Les exceptions sont les Fidji, le Kenya et l'Ouganda.

En outre, le RDH souligne que les écarts se creusent tant pour l'indice de santé environnementale que pour l'indice d'empreinte matérielle par habitant, ce qui signifie que si les résidents des pays développés bénéficient d'une eau et d'un air plus propres, ils augmentent également leur charge déjà plus élevée sur la planète. Pour gérer le développement humain dans l'Anthropocène, il faut faire de l'action climatique et de la lutte contre les inégalités une priorité commune. Par conséquent, les politiques environnementales en faveur des pauvres devraient figurer à l'ordre du jour du sommet des dirigeants. Par exemple, comment les investisseurs publics et privés peuvent-ils concevoir des lignes de train à grande vitesse de manière à ne pas accroître encore plus le fossé entre les villes et les campagnes en ne reliant que les grandes villes, mais plutôt en les intégrant dans un ensemble plus large d'investissements pour le développement ferroviaire. Dans leur contribution au RDH, Voituriez et Chancel analysent la manière dont les politiques vertes peuvent affecter les inégalités en examinant l'incidence des impacts en bas, au milieu et en haut de la distribution des revenus. En ce qui concerne les transports, le débat ne devrait pas se limiter aux subventions pour les véhicules électriques, mais aussi au développement des chemins de fer et aux transits rapides par bus verts qui bénéficient à de plus grandes parties de la population. Le sommet Biden pourrait lancer des coalitions d'action sur les politiques environnementales en faveur des pauvres, qui pourraient inclure le développement global des transports verts, mais aussi celui de moyens de cuisson non polluants et l'électrification rurale. L’agenda du Sommet Biden laisse cependant entrevoir un risque de se concentrer sur le déploiement de technologies au détriment de solutions climatiques en faveur des plus pauvres (et parfois de faible ambition technologique).

Pour résumer, l'approche du développement humain, fondée sur le renforcement des capacités d'action des populations, la mise en œuvre de politiques en faveur des plus pauvres, et une métrique spécifique du développement humain, a beaucoup à offrir à la communauté climatique. Comme pour l'Agenda 2030 et les Objectifs de développement durable, le RDH 2020 est une invitation de plus à lancer des discussions et des coalitions plus larges pour une réinitialisation économique durable.