Le changement climatique a déjà un impact sur les sociétés et les écosystèmes sous toutes les latitudes, mais les réponses politiques en matière d’adaptation ne sont toujours pas à la hauteur pour limiter les dommages importants au niveau mondial. Le 6e cycle d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), qui s’est clos avec l’approbation du Rapport de synthèse, a permis de présenter de nouvelles preuves scientifiques quant au risque climatique et aux solutions. Ce billet revient sur les principales conclusions de ce cycle en ce qui concerne l'adaptation au changement climatique, et en souligne quelques implications en matière de politique internationale et recherche scientifique.

Les impacts climatiques seront pires que ce que l’on pensait 

Même en cas de forte réduction des émissions de gaz à effet de serre, le monde est confronté à des risques imminents généralisés, substantiels et potentiellement irréversibles liés au changement climatique. Le travail d’évaluation des risques du GT2 est plus complet que dans les précédents rapports du Giec et concerne différents territoires (Afrique, Australie/Nouvelle-Zélande, Europe, Amérique du Nord, régions polaires, etc.) et secteurs (alimentation, santé, infrastructures, etc.) en fonction de scénarios de réchauffement contrastés (1,5°C, 2°C, 4°C). Il actualise également ses cinq « motifs d'inquiétude » (Reasons For Concern, RFC) utilisés pour illustrer les risques climatiques agrégés, trans-systèmes et à l’échelle globale. La figure ci-dessous illustre comment le risque augmente dans les RFC avec des températures plus élevées (notamment au-dessus de +2°C). Le rapport montre que, par rapport à l’évaluation précédente de 2014 et en raison d’une meilleure compréhension des risques en cascade (liée à un plus grand nombre de publications scientifiques), les niveaux de risques passent de « élevés » à « très élevés » dans tous les RFC et à des niveaux de réchauffement global plus faibles. Cela s’ajoute aux estimations récentes selon lesquelles, d’ici 2100, le risque climatique mondial sera multiplié par deux ou quatre en cas de réchauffement mondial de 2°C et 4°C respectivement, et que chaque 0,5°C supplémentaire de réchauffement augmentera le risque climatique mondial d’un tiers. 

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Figure. Motifs d’inquiétude tels qu’évalués dans le rapport du GT2 du RE6 (sources : auteur, d’après Giec 2022).

L’adaptation se met en place sur le terrain

Dans ce 6e cycle, le GT2 a réalisé la toute première évaluation globale de la littérature scientifique sur l’adaptation humaine. Les résultats montrent que : premièrement, des mesures d’adaptation sont prises dans toutes les régions et tous les secteurs ; deuxièmement, la grande majorité des réponses sont mises en place au niveau local (par les ménages et les individus, ainsi que par les gouvernements locaux), en particulier dans les régions agricoles et les grandes zones urbaines ; troisièmement, les réponses d’adaptation sont principalement comportementales (amélioration des habitations, changements de cultures/de bétail ou d’activité économique par exemple), plutôt que techniques et/ou infrastructurelles (par exemple dans le secteur de l’eau) et institutionnelles ; enfin, la plupart des réponses d’adaptation documentées sont signalées en Afrique et en Asie, notamment pour traiter les problèmes liés à l’alimentation et à la pauvreté.

Toutefois, le rapport indique également que la littérature scientifique apporte encore peu de preuves de la réduction effective des risques liée aux réponses mises en œuvre (dans ∼3 % des >1 600 publications analysées), ou de la mesure dans laquelle les réponses remettent en question les normes sociales, économiques et institutionnelles et les limites de l’adaptation. Le rapport du GT2 ne peut donc conclure si nous sommes sur la voie de l’adaptation, ou plutôt sur une trajectoire vers des niveaux de risque plus élevés et/ou une maladaptation généralisée (c’est-à-dire une augmentation de la vulnérabilité à long terme). 

L’adaptation peut réduire considérablement le risque, mais pas l’éradiquer

Néanmoins , le GT2 a développé des évaluations basées sur les avis d’experts afin de compléter certains résultats des rapports spéciaux sur les terres et les océans/la cryosphère montrant que l’adaptation a le potentiel de diminuer très fortement le risque climatique mondial dans tous les scénarios de réchauffement. En utilisant les trajectoires socio-économiques partagées (Shared Socioeconomic Pathways – SSP) – c’est-à-dire des scénarios à l’échelle mondiale basés sur les conditions sociétales liées aux tendances démographiques, économiques, de gouvernance, etc., et pouvant faciliter ou entraver l’adaptation –, le GT2 souligne que les risques de malaria et de morbidité et mortalité liées à la chaleur, par exemple, peuvent être limités à un niveau modéré dans le cas d’un réchauffement inférieur à 2°C avec la mise en œuvre d’un SSP1 « Durabilité » par rapport à un niveau de risque élevé dans le cas d’un SSP3 « Rivalité régionale ». Plus généralement, le GT2 montre que la mise en œuvre de scénarios ambitieux d’adaptation au changement climatique est l’une des trois conditions essentielles, avec des efforts d’atténuation substantiels et des modes de développement qui n’exacerbent pas la vulnérabilité au changement climatique, pour prévenir les interférences dangereuses avec le système climatique (appelées « risques climatiques graves » dans le rapport).

Ces enquêtes révèlent toutefois que même une adaptation ambitieuse ne peut empêcher totalement l’augmentation des risques climatiques, ce qui soulève les questions de « risques résiduels » et de « limites de l’adaptation » examinées plus en détail dans le rapport. Cela correspond, par exemple, aux estimations antérieures d’une augmentation des risques résiduels dans un scénario d’adaptation élevée d’environ un tiers et d’un doublement du niveau de risque mondial actuel dans le cadre d’un réchauffement de 2°C et de 4°C, respectivement, d’ici 2100. Ces conclusions vont faire l’objet d’une attention toute particulière des pays et observateurs au sein de la la Convention Climat des Nations unies (CCNUCC), lesquels cherchent à opérationnaliser le Réseau de Santiago en matière d’assistance technique et à définir des arrangements financiers sur le sujet des Pertes et Préjudices. Cependant, l’évaluation quantitative des risques résiduels et des limites d’adaptation reste extrêmement difficile, scientifiquement parlant, et par conséquent toutes les questions soulevées dans les débats politiques ne trouvent pas encore de réponse complète (par exemple, concernant l’influence précise du changement climatique sur le niveau des dommages causés par les catastrophes météorologiques/climatiques, voir notamment Boyd et al. 2021).

L’adaptation va au-delà de la gestion des risques, zones et secteurs individuels

Le GT2 enrichit également les connaissances sur la dynamique en cascade des impacts climatiques et les interactions entre les risques climatiques, qui se combinent pour générer un « effet boule de neige » qui influence considérablement l’ampleur, la durée de vie, le taux d’émergence et la propagation spatiale des risques individuels à des secteurs, des zones ou des groupes de population spécifiques. Malgré les limites de la quantification des risques systémiques et composés, le GT2 reconnaît que les risques climatiques graves seront probablement plus élevés, dureront plus longtemps et se produiront à la fois plus tôt et à des échelles plus grandes que celles qui ont été examinées dans le rapport lui-même. Les besoins en matière d’adaptation ne peuvent donc pas être considérés uniquement en fonction des risques, des zones et/ou des secteurs, mais doivent également être pris en compte de façon transfrontalière. 

Implications sur le plan politique et scientifique

  • Il est nécessaire de poursuivre les recherches scientifiques sur l’efficacité d’un large éventail de mesures liées à l’adaptation afin de mieux comprendre si la réduction des risques climatiques a réellement lieu. En outre, il est essentiel d’évaluer comment les mesures d’adaptation peuvent également entraîner des effets contre-productifs potentiels (maladaptation). Pour combler ce déficit de connaissances, la communauté internationale impliquée dans les questions et politiques climatiques pourrait demander un rapport spécial du Giec sur « les preuves et les conditions favorables à une adaptation climatique efficace à toutes les échelles » dans le cadre du futur 7e cycle d’évaluation (RE7).
     
  • Il est urgent de mettre en place une initiative scientifique internationale pour suivre les progrès de l’adaptation au niveau mondial, en plus des initiatives existantes axées sur les politiques, telles que le rapport du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) sur les écarts d’adaptation, entre autres. Quelques éléments fondateurs émergent, par exemple avec l’outil de suivi des progrès en matière d’adaptation au niveau mondial de l’Iddri (qui rassemble de multiples sources d’information par le biais d’une méthode basée sur le jugement d’experts), l’Initiative de cartographie de l’adaptation au niveau mondial (examen systématique de la littérature scientifique) et la Plateforme internationale pour les métriques d’adaptation (qui rassemble des informations sur les métriques existantes).
     
  • L’évaluation du GT2 met également en avant une dimension politique importante de l’adaptation : l’impératif de mieux se préparer à faire face aux risques résiduels et aux limites de l’adaptation. À cette fin, les décideurs politiques auront besoin que la communauté scientifique s’implique davantage pour comprendre non seulement le réchauffement et les conditions sociétales dans lesquelles une adaptation ambitieuse sera possible, mais aussi le niveau et les caractéristiques des limites d’adaptation et des conséquences inévitables. Le rapport spécial RE7 susmentionné pourrait servir de catalyseur pour faire progresser les connaissances sur les risques résiduels et les limites d’adaptation, pour une série d’exemples du monde réel et/ou d’archétypes territoriaux plus génériques (par exemple les villes de taille moyenne, les hautes montagnes, les atolls urbanisés, les petites zones agricoles, etc.). Cela nécessite une interface science-politique afin de garantir que le mécanisme politique des pertes et dommages intègre mieux les informations scientifiques les plus récentes sur les risques résiduels et les limites d’adaptation. 
     
  • Les politiques d’adaptation doivent également se préparer à intégrer le risque systémique (c’est-à-dire en cascade, composé et transfrontalier entre les secteurs, les juridictions et les populations) des dangers climatiques ainsi que les réponses associées, à l’intérieur et à l’extérieur des frontières. Il existe des plateformes telles que l’initiative Adaptation sans frontières (Adaptation without borders) qui peuvent jouer un rôle décisif, par exemple en soutenant les Parties à la CCNUCC pour qu’elles incluent systématiquement un nouveau composant/chapitre dans leurs documents d’adaptation afin de décrire leurs risques systémiques/composés respectifs ainsi que leurs stratégies pour y faire face.