Le 20 mars 2023, les États membres du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) ont approuvé le Rapport de synthèse afférent au sixième Rapport d’évaluation. Sa conclusion principale : un avenir résilient et vivable est encore à notre portée, mais seulement si nous réduisons fortement, rapidement et durablement les émissions de gaz à effet de serre au cours de cette « décennie critique » afin de limiter le réchauffement à 1,5 °C avec un dépassement minimal ou nul. Ce billet de blog met en lumière 6 points clés du rapport, ainsi que les principales réactions politiques, notamment les propositions du secrétaire général des Nations unies concernant un programme d'accélération de l'action climatique mondiale et un pacte de solidarité climatique du G20.

Rapport de synthèse : de quoi s’agit-il, et pourquoi est-il important ?

Le résumé de 37 pages du Rapport de synthèse à l'intention des décideurs résume les enseignements tirés de l'ensemble des rapports du GIEC produits au cours des 7 dernières années, soit : les contributions des groupes de travail au 6e Rapport d’évaluation (Groupe de travail I, Science du climat; Groupe de travail II, Impacts, adaptation et vulnérabilité; et Groupe de travail III, Atténuation du changement climatique) et les 3 rapports spéciaux qui ont précédé (Réchauffement de 1.5ºC, Changement climatique et usage des terres, Océans). 

En tant que principale contribution scientifique indépendante au premier Bilan mondial de l'Accord de Paris sur le climat – dont la conclusion politique de haut niveau lors de la COP 28 en décembre devrait indiquer comment les gouvernements, les entreprises, les investisseurs et autres prévoient de « corriger le tir » de notre action collective vers un avenir sûr –, la principale valeur ajoutée du Rapport de synthèse est de dégager les messages les plus importants de l'ensemble du 6e cycle d’évaluation (AR6), de rappeler l'urgence de la situation et d'offrir des orientations pour le nécessaire changement de braquet d’une action ambitieuse dans les années restantes de cette « décennie critique ».

Si le secrétaire général des Nations unies a qualifié le Rapport de synthèse de « manuel de survie pour l'humanité », c'est aussi en raison de son calendrier critique : le prochain cycle d'évaluation du Giec (AR7) devrait s'achever en 2028, soit presque trop tard pour éclairer l'action avant 2030 – alors même que le Rapport de synthèse souligne que nos choix avant 2025 sont essentiels.

1. Un constat sévère : un réchauffement sans équivoque et des impacts croissants mais inégaux

Le Rapport de synthèse rappelle que les activités humaines sont sans équivoque à l'origine du réchauffement climatique, la température moyenne à la surface du globe atteignant 1,1°C en 2011-2020 par rapport aux niveaux préindustriels, et les concentrations de CO2 dans l'atmosphère n'ayant jamais été aussi élevées depuis au moins 2 millions d'années. L'utilisation des combustibles fossiles est le principal moteur du réchauffement climatique : en 2019, environ 79 % des émissions mondiales de GES provenaient de leur utilisation dans l'énergie, l'industrie, les transports et les bâtiments, et 21 % de l'agriculture, de la sylviculture et d'autres formes d'utilisation des terres. 

Le rapport souligne également que les phénomènes météorologiques extrêmes, de plus en plus nombreux, induits par le changement climatique, ont déjà des effets néfastes et causent des pertes et des dommages aux écosystèmes et à l'homme. Environ 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des contextes très vulnérables au changement climatique ; entre 2010 et 2020, les personnes vivant dans des régions très vulnérables risquaient 15 fois plus de mourir d'inondations, de sécheresses et de tempêtes que celles vivant dans les régions les moins vulnérables. Des mortalités massives d'espèces sont déjà observées sur terre et dans les océans, et certains écosystèmes se rapprochent d'un point de non-retour.

Les politiques actuellement mises en œuvre nous conduisent vers un réchauffement planétaire de 3,2°C d'ici 2100 et, si les contributions déterminées au niveau national (CDN) des pays étaient pleinement mises en œuvre, elles nous conduiraient probablement à une hausse des températures supérieure à la limite de 1,5°C, voire à plus de 2°C.

2. Les émissions doivent être réduites rapidement, en profondeur et de manière soutenue dans le temps

Le Rapport de synthèse estime que les émissions produites jusqu'à présent ont déjà « cuit » le niveau de réchauffement de la planète à 1,5°C, que nous atteindrons dès le début des années 2030. Cependant, le Giec est également très clair sur le fait que le maintien de l'augmentation de la température au niveau sûr de 1,5°C, avec un dépassement limité ou nul, est toujours à notre portée, mais qu'il nécessite des réductions urgentes, profondes et durables des émissions de GES. Le Rapport de synthèse souligne les dangers qu'il y a à s'éloigner du garde-fou des 1,5°C : chaque augmentation du réchauffement climatique entraîne des risques croissants pour l'humanité et les écosystèmes (y compris le risque de déclencher des points de basculement climatiques) et réduit les possibilités d'adaptation et d'atténuation. En outre, les trajectoires de 1,5°C et de 2°C nécessitent une radicalité similaire de l'effort d'accélération dans les 3 à 7 prochaines années pour débloquer la transformation dans tous les secteurs.

Pour parvenir à un taux net de CO2 nul d'ici 2050 et maintenir l'objectif de 1,5°C, les émissions de CO2 doivent être réduites de 48 % d'ici 2030, de 65 % d'ici 2035 et de 99 % d'ici 2050. Une certaine élimination du dioxyde de carbone (CDR en anglais) sera également nécessaire pour contrebalancer les émissions résiduelles de GES provenant de secteurs difficiles à décarboner tels que l'aviation, l'agriculture, le transport maritime et l'industrie lourde, mais le Rapport de synthèse souligne que la CDR devrait être utilisée avec précaution compte tenu des défis majeurs en matière de durabilité si elle devait être déployée à grande échelle.



Source: IPCC Synthesis Report Summary For Policymakers, Figure SPM.1

Conformément à l'objectif collectif de 2050, le secrétaire général des Nations unies a exhorté les dirigeants des pays développés à accroître leur ambition en mettant à jour leurs objectifs zéro émission nette afin de les atteindre à une date aussi proche que possible de 2040 – les États-Unis, l'Union européenne et la plupart des autres pays ont actuellement une date butoir de 2050 – et a appelé les dirigeants des économies émergentes à s'engager ou à actualiser leurs objectifs à une date aussi proche que possible de 2050 – l'engagement actuel de la Chine pour zéro émission nette est fixé à 2060, celui de l'Indonésie également, et celui de l'Inde à 2070.

3. Élimination progressive des combustibles fossiles : un message plus clair que jamais 

Le Giec indique clairement que les émissions de CO2 provenant des infrastructures existantes de combustibles fossiles vont dépasser le budget carbone restant pour 1,5°C, et que la mise en place de toutes les infrastructures de combustibles fossiles actuellement prévues entraînerait une probabilité de 83 % d'atteindre des niveaux de réchauffement dangereux (2°C).

Pour parvenir à des systèmes énergétiques zéro émission nette, le Giec précise qu'il faut « une réduction substantielle de l'utilisation globale des combustibles fossiles, une utilisation minimale des combustibles fossiles non brûlés et le recours à la séquestration et au stockage du carbone dans les systèmes de combustibles fossiles restants ; des systèmes électriques qui n'émettent pas de CO2 net ; une électrification généralisée ; des vecteurs énergétiques alternatifs dans les applications qui se prêtent moins à l'électrification ; la conservation de l'énergie et l'efficacité énergétique ; et une plus grande intégration dans l'ensemble du système énergétique ». 

Le Giec identifie la suppression des subventions aux combustibles fossiles1 comme une politique clé pour réduire les émissions – jusqu'à 10 % des émissions de GES d'ici 2030 –, mais qui doit être structurée de manière à ne pas nuire aux plus vulnérables. 

Le Giec identifie également l'énergie solaire et éolienne, l'efficacité énergétique et la réduction des émissions de méthane comme les options d'atténuation les moins coûteuses et les plus efficaces dans le secteur de l'énergie. Le captage et le stockage du carbone (CSC) pourraient permettre une certaine réduction des combustibles fossiles, mais cette technologie vieille de 50 ans n'est encore mûre que pour le traitement du gaz et la récupération assistée du pétrole, c'est-à-dire pour produire davantage de combustibles fossiles. Le Rapport de synthèse souligne que « la mise en œuvre du CSC se heurte actuellement à des obstacles technologiques, économiques, institutionnels, écologiques, environnementaux et socioculturels », et le Groupe de travail III a souligné que le CSC était l'une des options d'atténuation les plus coûteuses et les moins prometteuses d'ici à 2030.

En réponse aux principales conclusions du Giec sur les combustibles fossiles, des dirigeants d’îles du Pacifique – dont beaucoup de pays disparaîtraient si la température augmentait de plus de 1,5°C – appellent les gouvernements à s'engager à « gérer une élimination mondiale, équitable et sans réserve du charbon, du pétrole et du gaz » lors de la COP 28 et au-delà. En outre, lors de la récente réunion ministérielle de Copenhague sur le climat, le président égyptien de la COP 27 a indiqué que des consultations seraient organisées, dans la perspective de la COP 28, sur l'élimination progressive des combustibles fossiles. Le secrétaire général des Nations unies a également publié son programme d'accélération, appelant les gouvernements et le secteur privé à :

  • mettre fin à l'utilisation du charbon d'ici 2030 dans les pays de l'OCDE et d'ici 2040 dans tous les autres pays ;
  • parvenir à une électricité à zéro émission d'ici 2035 dans les pays développés et d'ici 2040 au niveau mondial ;
  • cesser toute autorisation ou financement de nouveaux projets pétroliers et gaziers, conformément aux conclusions de l'AIE, et arrêter toute expansion des projets pétroliers et gaziers existants ;
  • réduire progressivement la production de pétrole et de gaz, conformément à l'objectif de zéro émission nette en 2050 ;
  • Inviter les PDG des sociétés pétrolières et gazières à présenter des plans de transition crédibles, complets et détaillés vers l'objectif de zéro émission nette, cohérent avec l'objectif de 1,5°C, qui détaillent des réductions d'émissions claires pour 2025 et 2030, ainsi que des efforts visant à modifier les modèles d’affaires, à éliminer progressivement les combustibles fossiles et à développer les énergies renouvelables.

4. Objectifs clés pour 2030 : protéger les écosystèmes et réorienter la demande

Le rapport Giec-IPBES de 2021 a clairement indiqué que pour obtenir les résultats nécessaires en matière de climat et de biodiversité, il fallait prendre des mesures cohérentes dans ces deux domaines. Le Rapport de synthèse souligne l'importance de la protection et de la restauration des forêts et des autres écosystèmes : de toutes les mesures d'usage des terres, c'est la gestion améliorée des forêts qui offre le plus grand potentiel d'atténuation économique, la réduction de la déforestation dans les régions tropicales présentant le potentiel d'atténuation total le plus élevé d'ici à 2030. Le Giec souligne en outre que la résilience de la biodiversité et des services écosystémiques à l'échelle mondiale dépend de la conservation efficace et équitable d'environ 30 à 50 % des terres, des eaux douces et des océans de la planète. L'engagement de mettre fin à la déforestation d'ici à 2030, pris par 145 pays en 2021 dans la déclaration des dirigeants de Glasgow sur les forêts et l'usage des terres, est plus urgent que jamais2 , tout comme la mise en œuvre du cadre mondial pour la biodiversité de Kunming-Montréal adopté lors de la 15e COP biodiversité en décembre dernier.

Le Giec insiste également sur le fait que si les réductions actuelles des émissions de CO2 dues aux mesures d'efficacité sont éclipsées par l'augmentation des émissions dans de nombreux secteurs, l'intensification significative de l'action du côté de la demande (par exemple, la réduction de la demande d'énergie, la modification des régimes alimentaires, les mesures d'efficacité énergétique) pourrait entraîner des réductions significatives des émissions de 40 à 70 % dans des secteurs tels que les bâtiments, les transports terrestres et l'alimentation. Au cours des dernières années, l'Iddri a étudié les facteurs clés qui sous-tendent ces actions, des actions historiquement sous-estimées par les décideurs, y compris le nouveau contrat social qui pourrait s'avérer nécessaire.

5. Renforcer l'adaptation et l'action intégrée

Le Rapport de synthèse met en exergue certaines des principales conclusions du rapport sur l’adaptation du Groupe de travail II (Iddri, 2022). Les impacts du changement climatique seront pires que ce qui avait été évalué précédemment, et bien que des mesures d'adaptation soient prises aux niveaux national et local, elles restent insuffisantes et inadéquates pour s'attaquer aux causes profondes de l'exposition et de la vulnérabilité. En outre, les limites de l'adaptation sont atteintes dans certains contextes, et le seront dans davantage de territoires et de secteurs à l'avenir, générant des risques résiduels qui ne pourront probablement pas être surmontés. Le rapport insiste également sur le fait que l'absence d'une atténuation profonde, rapide et durable et d'une mise en œuvre accélérée des mesures d'adaptation au cours de cette décennie entraînera des pertes et des dommages supplémentaires, qui toucheront de manière disproportionnée les populations les plus vulnérables.

Le secrétaire général des Nations unies a également insisté sur la nécessité de protéger les communautés les plus vulnérables, en réformant les banques multilatérales de développement, en respectant les engagements financiers pris à Copenhague, Paris et Glasgow, en réabondant le Fonds vert pour le climat, en fournissant une feuille de route pour doubler le financement de l'adaptation d'ici 2025, et en mettant en œuvre cette année le nouveau fonds pour les pertes et dommages adopté lors de la COP 27.

Le Giec propose enfin le concept de « trajectoires de développement climato-résilientes » pour exprimer la nécessité d'intégrer tous les niveaux d'action d'atténuation et d'adaptation au climat pour qu'ils se soutiennent mutuellement – le panel d'options d'adaptation réalisables et potentiellement efficaces aujourd'hui sera de moins en moins important au fil de l'augmentation du réchauffement de la planète. L'Iddri a exploré une meilleure intégration de l'atténuation du climat et des mesures d'adaptation dans une vision nationale et dans des projets concrets, notamment le travail mené par l’initiative Deep Decarbonization Pathway sur les stratégies à long terme pour le Sénégal.

6. Le rôle du financement en tant qu'instrument clé de la transformation 

Le Giec souligne que l'augmentation du financement, le transfert de technologie et la coopération internationale sont des éléments clés pour accélérer l'action à l'échelle nécessaire. Il estime que les besoins en matière de financement de la lutte contre le changement climatique sont 3 à 6 fois plus importants que ce qui est actuellement mis en œuvre, mais il constate également que des capitaux mondiaux suffisants peuvent être mis à disposition si les principaux obstacles à la réorientation de ces capitaux vers l'action climatique la plus nécessaire sont surmontés. L'augmentation de ces flux nécessite une action engagée de la part des gouvernements, des régulateurs financiers, notamment par l'intermédiaire des banques centrales, et des investisseurs.

Le secrétaire général des Nations unies a ainsi appelé tous les gouvernements à préparer des plans nationaux de transition énergétique compatibles avec les mesures nécessaires pour atteindre 1,5°C, et à les mettre à la disposition des investisseurs. Cette conclusion trouve un écho important dans une évaluation récente de l'Iddri sur l'élaboration de stratégies de long terme en Argentine, au Brésil, en Chine, en Inde, en Indonésie, au Mexique et en Afrique du Sud – chacun de ces pays a indiqué que les obstacles à l'accès au financement constituaient la principale entrave à l'amélioration de l'action climatique. Cela correspond également aux enseignements tirés de l'examen des partenariats pour une transition énergétique juste, potentiels ou existants, dans différents contextes africains.

Conclusion

Le Rapport de synthèse réaffirme tout ce que nous devons savoir pour faire face à la crise climatique. Comme l'a déclaré le président du Giec lors de la publication du rapport, la science est claire, la volonté politique doit maintenant suivre. Le pacte de solidarité climatique du G20 pour 1,5°C proposé par le secrétaire général des Nations unies, qui appelle « tous les grands émetteurs à faire des efforts supplémentaires pour réduire leurs émissions et les pays plus riches à mobiliser des ressources financières et techniques pour soutenir les économies émergentes », ainsi que les discussions, à l’occasion de la conférence ministérielle de Copenhague sur le climat, sur les « actions transformationnelles » nécessaires constituent un premier signal prometteur. Les processus politiques doivent néanmoins se poursuivre tout au long de l'année afin d'accroître encore l'ambition et d'obtenir, lors de la COP 28, et notamment par le biais du Bilan mondial, un signal clair et des actions qui donnent à tous la certitude que les gouvernements, les principaux acteurs économiques et autres décideurs intensifient effectivement leur réponse à l'échelle nécessaire pour garantir un présent et un avenir sûrs pour tous.
 

  • 1 L'Agence internationale de l’énergie a récemment constaté (https://www.iea.org/reports/fossil-fuels-consumption-subsidies-2022) que les subventions à la consommation mondiale de combustibles fossiles ont doublé en 2022 par rapport à 2021, pour atteindre un montant jamais vu de 1 000 milliards de dollars (à côté duquel l'engagement de 100 milliards par an financement de la lutte contre le changement climatique, qui n'a toujours pas été respecté, fait pâle figure).
  • 2 La question de la redevabilité et de la mesure des progrès de ces initiatives et engagements pris en dehors et en complément du cadre de la CCNUCC et de l'Accord de Paris est essentielle, car la transparence sur les progrès et l'impact est très faible pour le moment, mais le Giec n'a pas pour mandat de surveiller ces performances.